Numéro 12Animaux domestiquesLa corrida, un acte de cruauté institutionnalisé

Daniel Combo17 juillet 2023414 min

En France, dès l’âge de 6 ans, un enfant peut intégrer une école taurine et apprendre à torturer des animaux. Aussi incroyable que cela puisse paraître, cet enseignement est délivré avec l’approbation de l’État !

Nous ne pouvons que mettre en relation les propos tenus le 24 mai 2023 par le président de la République Emmanuel Macron qui déclarait : « Il faut travailler en profondeur pour contrer ce processus de “décivilisation” » et les propos de Mahatma Gandhi qui disait :  “On reconnaît le degré de civilisation d’un peuple à la manière dont il traite ses animaux”.

Comment une civilisation dite évoluée peut torturer des animaux en public et en présence d’enfants, tout en prônant la réduction de la violence sociétale ? Ne sommes-nous pas devant une contradiction ?

Quelles sont les raisons évoquées par les adeptes de la corrida, pour que cette pratique, que nous pouvons qualifier de barbare (bien que ce terme déplaise à Monsieur André VIARD[1]) soit maintenue ?

La liste ne pourra pas être exhaustive, vu le nombre d’arguments divers et variés qui nous sont présentés.

La corrida est une activité motrice de l’économie locale

Nous avions une vingtaine d’années lorsqu’avec des amis, nous passions des soirées à la féria de Béziers. Nous étions là pour faire la fête, en compagnie d’élèves de l’école de rugby. Nous sirotions des litres de sangria et nous dansions sur les aires de « la lambada ». Était-il nécessaire que nous allions voir une corrida pour faire vivre l’économie des bodégas de la ville de Béziers ? La réponse est belle et bien non ! Aucun de nous ne serez allés voir la torture d’un animal innocent.

À cette époque, mes amis et moi ne savions pas ce qu’il se passait derrière les murs des arènes de Béziers. Nous étions venus pour l’ambiance, mais nous n’en savions rien de la torture que subissaient les taureaux.

La torture d’un animal innocent et pacifique, ne nous aurait et ne nous donnera jamais l’envie de faire la fête. Depuis notre enfance, avec mes amis, nous étions respectueux et protecteurs des plus vulnérables.

Par ailleurs, une activité ne se juge pas aux profits qu’elle engendre, sinon les trafiquants d’armes et de drogue pourraient eux aussi revendiquer le droit de poursuivre leur commerce.

La corrida est une tradition culturelle

Cet « art » qu’est la corrida serait une tradition culturelle et millénaire ! Mais est-ce en France que la corrida a toujours été pratiquée ?

Elle apparait en France, à partir des années 1852-1853, avec l’arrivée de l’impératrice Eugénie, d’origine espagnole, à partir du quelle la vogue de ce spectacle va se développer dans le pays, jusqu’à l’implantation d’arènes à Paris, à l’occasion de l’Exposition universelle de 1889.

Par conséquent la corrida n’est pas une tradition culturelle française !

Par ailleurs, l’excision est aussi un rite millénaire, une tradition profondément ancrée. Pourtant, le législateur l’interdit.

« De la même manière, je ne peux pas justifier l’enlèvement et le meurtre sacrificiel d’une jeune vierge par le fait que la codification de la pratique manifesterait mon respect à son égard. Le fait d’avoir des règles, des rites, un déguisement et, éventuellement, un grand respect pour sa victime, n’excuse ni ne justifie en rien ce qu’on lui fait subir. »[2]

La tradition peut expliquer pourquoi la corrida est pratiquée, mais ne la justifie pas.

Tous les progrès sociaux sont allés à l’encontre des traditions, de l’abolition de l’esclavage au droit de vote des femmes.

Il y a pire que la corrida à se soucier

 « Occupez-vous d’abord des humains ! Des enfants qui meurent de faim ! … ».

Cet argument est fallacieux, il est connu sous le nom de « sophisme du pire »

En effet, s’occuper de la misère des animaux n’est pas incompatible le fait de s’occuper de la misère humaine. Florence Burgeat et Jean-Pierre Margenaud expliquaient dans une tribune parue dans Le Monde : « À ceux qui considèrent que les avancées législatives en matière de protection des animaux, et plus encore l’idée de leur reconnaître des droits, comme une insulte à la misère humaine, il faut répondre que la misère humaine résulte de l’exploitation ou de l’indifférence à la souffrance des plus faibles et que c’est au contraire l’insulter, sinon la légitimer, que de prôner l’indifférence farouche à l’égard de la souffrance d’autres êtres plus faibles encore et qui ne peuvent jamais consentir. […] La protection des animaux et celle des plus faibles des hommes relèvent du même et noble combat du Droit pour aider ceux à qui il peut être fait du mal ».[3]

Par ailleurs, nous sommes convaincus que les adeptes de cet argument n’ont font pas plus dans une cause que dans l’autre.

Notons à cet égard, la judicieuse remarque de Jean-Baptiste Jeangène Vilmer : « … l’humanitarisme intelligent passe la frontière des espèces. »

Le taureau bravo (ou toro de lidia) ne souffre pas

D’après un philosophe, il parait que les matadors et les aficionados seraient des gens comme vous et moi, ils ne seraient pas moins sensibles à la souffrance que les autres[4]. Il s’agit dans ce cas du « sophisme de la bonne intention ».

Les aficionados citent des études effectuées au laboratoire de Juan Carlos Illera del Portal, directeur du Département de physiologie animale de la faculté vétérinaire de l’université de Madrid, selon lesquelles le taureau, grâce à son « bouclier hormonal », n’éprouverait que très peu de douleur, son organisme produisant dix fois plus de bêta-endorphines (opiacés endogènes qui atténuent les effets de la douleur) que l’homme.[5]

Or, Georges Chapouthier, directeur de recherche émérite au CNRS, fait remarquer que l’étude de Juan Carlos Illera del Portal ne fournit aucune indication sur la méthodologie utilisée et aucune référence à des publications scientifiques. Il qualifie d’« absurde » l’idée selon laquelle la libération d’endorphines signifierait que le taureau ne souffre pas. Les études publiées montrent au contraire qu’une décharge massive d’endorphines par le cerveau est le signe même qu’un animal est soumis à une intense douleur et que le corps tente de minimiser son impact. »[6]

José Enrique Zaldívar, membre du Collège de vétérinaires de Madrid, réfute lui aussi l’hypothèse selon laquelle l’élévation de la quantité de bêta-endorphines dans le sang diminue nécessairement la douleur. Le taux de bêta-endorphines très élevé que l’on trouve chez le taureau prouve qu’il a subi de très fortes agressions physiques et psychologiques, et non le fait qu’il ne souffre pas.[7]

D’après la déposition de Zaldívar Laguía devant les députés catalans, le 4 mars 2010, la plupart des études réalisées par des vétérinaires d’arènes rapportent que les piques des picadors, les premières armes utilisées contre le taureau, provoquent des lésions affectant plus de vingt muscles. Cette pique, la puya, est « une arme métallique coupante et acérée, de 6 cm de tige et de 2,5 cm de pointe pyramidale, dont chaque arête est aussi affûtée qu’un bistouri. […] Non seulement sont sectionnés muscles, tendons et ligaments, mais également des veines, artères et nerfs importants. Les résultats indiquent que la profondeur moyenne de ces blessures est de 20 cm et on a observé des trajectoires allant jusqu’à 30 cm ». Ces piques provoquent « fractures d’apophyses spinales et perforation de vertèbres, fractures de côtes et des cartilages de conjugaison […]. Sont inévitables les lésions de la moelle épinière, les hémorragies du canal médullaire et la lésion de nerfs très importants […] ». Le taureau perd également entre 3 et 7 litres de sang.[8]

Viennent ensuite les banderilles tranchantes comme des lames de rasoir à l’extrémité desquelles se trouve un harpon. Elles sont plantées dans le dos du taureau pour évacuer son sang et éviter qu’il ne meure trop tôt d’une hémorragie interne causée par les piques. Le matador enfonce enfin une épée recourbée de 80 centimètres dans le garrot de l’animal épuisé. Elle est censée atteindre la veine cave caudale et l’aorte postérieure, situées dans la cage thoracique de l’animal. Dans les faits, l’arme touche le plus souvent les cordons nerveux proches de la moelle épinière, entraînant une intense difficulté respiratoire chez l’animal[9].

Souvent, la lame déclenche une hémorragie interne ou déchire un poumon. Dans ce dernier cas, le taureau vomit son sang et meurt asphyxié. Si le taureau ne meurt pas, le matador répète l’opération avec une plus petite épée qu’il plante entre les deux cornes de l’animal pour lacérer son cerveau. Si cela ne suffit toujours pas, un péon porte le coup de grâce avec la puntilla, un coutelas acéré. Mais, selon Zaldívar, la puntilla ne provoquerait pas une mort instantanée, mais une mort par asphyxie, par la paralysie des mouvements respiratoires entraînant une hypoxie encéphalique.[10]

Et tout cela sans douleur !

Partant de ces détails, la corrida fait souffrir, même si le but recherché n’est pas celui-ci.

Ce n’est parce qu’une pratique peut être expliquée, qu’elle est juste !

La moralité d’une action ne se jugent pas les intentions des protagonistes, mais sur les actes et les effets qui en découlent.

La corrida inspire de grandes personnalités

 Les amateurs de la corrida font appel à de grands noms tels que Goya, Delacroix et Picasso, en s’appuyant sur leur passion pour cet « art ».

Ces personnages nous sont sympathiques, et cela légitimerait une telle pratique. Cela s’appelle les sophismes « d’appel à l’autorité » et « de la bonne compagnie ».

Mais il n’y a aucun lien logique entre la sympathie que peuvent susciter ces personnalités et la légitimité des pratiques qu’elles apprécient.

Que la corrida ait suscité une inspiration pour l’art n’en fait pas une bonne pratique pour autant.

« L’art s’inspire de tout, y compris du pire, et heureusement qu’il a cette liberté ».[11]

On peut également trouver la stratégie inverse, le « sophisme de la mauvaise compagnie ». Les exemples sont nombreux pour dénigrer les anti-taurins. Ainsi, on arrive à ridiculiser ou à dresser un portrait caricatural, afin de discréditer la cause.[12]

Cependant, comparons aussi ce que nous ont transmis d’autres hommes, écrivains, juristes et philosophes, qui, eux aussi, connaissaient suffisamment la corrida pour se permettre d’écrire, comme le fit Émile Zola : « Je suis absolument contraire aux courses de taureaux, qui sont des spectacles dont la cruauté imbécile est, pour les foules, une éducation de sang et de boue. » Cela fait-il de Zola un crétin ou un mauvais écrivain ?

La corrida représente la victoire de la culture contre la nature bestiale

Depuis quelques années, les aficionados font appel à une argumentation philosophique et présentent la corrida étant « la soumission de la nature brute (violente) au libre arbitre humain, victoire de la liberté sur la nature ».[13]

La culture serait ainsi définie comme arrachement à la nature. Il s’agit d’une vision caricaturale, en effet, le dualisme de Descartes est dépassé.

Par ailleurs, le philosophe Alain Renaut reconnait le taureau de combat comme un produit extrêmement calibré, contrôlé, maîtrisé, un chef-d’œuvre de l’élevage, donc de la culture.

La nature brute du taureau est plus dans le regard que nous portons que dans son comportement naturel. Effectivement, le taureau, comme tous les herbivores est plus enclin à fuir qu’à attaquer.

La corrida renvoie plutôt à un schéma viriloïde, qui démontre la domination et la brutalité de l’humain sur la nature pacifique du taureau.

Le taureau est déifié et on lui offre une mort glorieuse

 Il parait que certaines civilisations ont traité le taureau comme un dieu, qu’elles le respectaient.

Cet argument relève de l’anthropocentrisme. En effet, le taureau se moque bien d’être comparé à un dieu s’il souffre et meurt dans l’arène.

Par ailleurs, d’autres prétendent qu’il vaut mieux mourir noblement et rapidement dans l’arène que de façon abjecte dans un abattoir. En vérité, dans un cas comme dans l’autre, mieux vaut rester en vie. Francis Wolff demande en effet aux défenseurs des animaux « de choisir le sort le plus enviable : celui du bœuf de labour, celui du bœuf (ou du veau) de boucherie (élevé le plus souvent “en batterie”) ou celui du taureau de combat : quatre années de vie libre pour quinze minutes de mort au combat ».[14]

Il ne s’agit pas de choisir entre le mal et le pire, car dans les deux cas, on impose la mort à un animal qui n’a certainement pas envie de mourir. Idéalement, un taureau ne devrait être envoyé ni à l’abattoir ni dans l’arène. L’alternative logique à l’arène n’est pas l’abattoir, mais une vie tranquille dans un pré où il mourrait de sa belle mort.

Quand le choix doit impérativement se faire parmi un nombre limité de possibilités, toute personne sensée choisira celle qui entraîne le moins de souffrance. Mais ni la corrida ni l’abattoir ne sont des choix obligés. Le meilleur choix est d’épargner l’une et l’autre à l’animal.

La corrida humanise la bête

 Ces mêmes philosophes prétendent que la corrida humanise la bête. Vraiment ?

Que lui apprend-t-on ? Peut-on nous le préciser ? L’instruire, et pourquoi la tuer ? L’apprentissage doit vraiment se faire en lui plantant de l’acier dans le corps ?

La torture et la mort causée à un animal sont-elles moralement bonnes ? L’apprentissage de la morale, n’est-elle pas précisément une connaissance du bien et du mal qui permet de distinguer ce qui est bénéfique de ce qui est nuisible aux autres ? Elle exige qu’on accorde une valeur intrinsèque aux autres, que l’on ait de la considération pour eux, et que l’on tienne compte des aspirations légitimes qui leur sont propres, dont la première et la plus fondamentale est celle de vivre.

Torturer et tuer un animal qui ne nous a nui en aucune façon, est-ce cela l’éducation de la justice et du respect d’autrui ?

Quelle image de l’apprentissage donnons-nous aux jeunes générations ?

Pour conclure, rien ne peut justifier cette dérogation à l’article 521-1 du Code pénal.

En effet, maintenir cet alinéa entretient et banalise la violence. Elle reste un problème récurrent de notre société, profondément ancrée dans notre éducation.

De nombreux travaux scientifiques prouvent que la violence pratiquée contre les animaux est un facteur de violence contre les humains, de délinquance et par conséquent d’insécurité.

Si nous voulons apaiser notre « civilisation » et la faire évoluer, nous devons éduquer nos enfants au respect de l’autre, notamment des plus vulnérables.

Nous devons abolir la corrida au plus tôt, ne plus protéger et glorifier ces activités de grandes violences.

[1]www.youtube.com/watch

[2] – Jean-Baptiste Jeangène Vilmer, « Revue Semestrielle de Droit Animalier 2/2009 » p. 124

[3] – Burgat (F.) et Marguénaud (J.-P.), « Les animaux ont-ils des droits ? », Le Monde.fr, 15 juillet 2010.

[4] – Francis Wolff, « Gare à l’idéologie animaliste », L’Humanité hebdo, 15 septembre 2007, p. 18

[5] – Marc Roumengou, résumé des conclusions de Juan Carlos Illera, sur torofstf.com, et « Quand la science se penche sur la souffrance des toros », Libération.fr, 22 février 2007. Cités dans Wikipedia, article « Opposition à la corrida ».

[6] – Kemp (T. A. V. der), Nouët (J.-C.) et al., Homme et animal : De la douleur à la cruauté, L’Harmattan, 2008, p. 40-42.

[7] – José Enrique Zaldívar, « Rapport technique vétérinaire sur les corridas : Pourquoi il est indéniable que le taureau souffre », sur flac-anticorrida.org., p. 4-5.

[8] – Cité par Civard-Racinais (A.), Dictionnaire horrifié de la souffrance animale, op. cit., Kindle 1097

[9] – Wikipedia.fr, article « L’estocade »

[10] – José Enrique Zaldívar, « Rapport technique vétérinaire sur les corridas… », art.cit., p. 1.

[11] – Jean-Baptiste Jeangène Vilmer, « Revue Semestrielle de Droit Animalier 2/2009 » p. 121

[12]youtube.com/watch

[13] – Alain Renaut, « L’humanisme de la corrida », Critique 723-724, 2007, p. 94

[14] – Wolff (F.), « La vaine rhétorique des avocats des taureaux », Libération, 7 septembre 2010.


Daniel Combo
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Architecte-Urbaniste Diplômé d'État
Co-Correspondant du Parti animaliste des Bouches du Rhône
Titulaire du DU de droit animalier de Brive la Gaillarde

4 commentaires

  • ARECCHI

    26 juillet 2023 à 13h01

    Bravo pour cet article! Il est très bien structuré et donne un large éventail d’arguments contre la corrida. On voit que l’auteur dispose d’une solide culture générale et qu’il maîtrise le sujet.

    Répondre

    • Daniel COMBO

      26 juillet 2023 à 18h02

      Merci beaucoup, c’est gentil !

      Répondre

  • Nietto René

    17 juillet 2023 à 14h21

    Bonjour mon ami franchement tu as écrit cela avec merveille félicitations j’espère que ça fera bouger les pouvoirs publics et enfin ils arrêteront complètement cette corrida qui fait souffrir les animaux je suis 100 % avec toi mon ami

    Répondre

    • Dan

      17 juillet 2023 à 19h55

      Merci beaucoup mon ami !
      Avec des frères d’âmes comme toi, nous avancerons !
      Bises à tous les trois.

      Répondre

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