Numéro 7Animaux domestiquesLes biais anthropomorphiques et leur impact sur la relation humain-chat

Leslie Palant15 avril 20225 min

L’anthropomorphisme consiste à attribuer des caractéristiques, des pensées et des sentiments humains à d’autres entités, animées ou inanimées. Dans le cadre qui nous intéresse aujourd’hui, cela reviendrait à dire de notre petit félin qu’il peut par exemple être jaloux, nous faire la tête ou encore nourrir des envies de vengeance. Or ces projections peuvent être un obstacle dans notre bonne compréhension du chat et peser négativement sur le relationnel qu’on entretient avec lui.

Il y a du bon dans l’anthropomorphisme

Avant toute chose, il faut savoir que l’anthropomorphisme est une caractéristique fondamentale de l’espèce humaine. Quand nous observons et interprétons notre environnement, notre premier point de référence et de comparaison est en effet forcément nous-mêmes. Cette construction mentale, que nous appliquons inconsciemment dès l’enfance, est donc tout à fait naturelle, inévitable, et en ce sens, non critiquable.

En outre, l’anthropomorphisme a fortement contribué à faire progresser l’éthologie, l’étude du comportement animal. S’interroger sur les similitudes entre humains et animaux non humains est une source précieuse d’hypothèses, de pistes de recherches, qui permet de faire avancer nos connaissances. Les animaux peuvent-ils faire preuve d’empathie ? Créer des liens sociaux ? Ressentir de la frustration ? Si les réponses à toutes ces questions vous semblent aujourd’hui évidentes, ça n’a pas toujours été le cas, et l’anthropomorphisme a longtemps été perçu par les scientifiques comme une forme de romantisme fantaisiste, de naïveté anti-science. Heureusement, les temps ont bien changé, et nous parlons désormais ouvertement des capacités cognitives et des émotions animales.

Anthropomorphiser les autres espèces, c’est aussi une première étape vers la prise en compte de leur sensibilité, des souffrances que l’on peut leur infliger, et par conséquent un moyen de faire évoluer positivement notre vision de l’animal et la façon dont il est considéré dans nos sociétés.

Les dérives de l’anthropomorphisme

Si nous faisons tous preuve d’anthropomorphisme avec nos animaux, si nous les traitons parfois comme des petits humains dans l’intimité de notre quotidien, s’ils sont perçus comme des membres à part entière de notre famille, il n’en reste pas moins qu’il est important de les considérer pour ce qu’ils sont : des espèces différentes, avec des motivations et des besoins propres.

Le danger se situe donc ici : avons-nous conscience de cet anthropomorphisme ? S’il est manié avec un recul suffisant et utilisé intentionnellement comme un outil métaphorique – ou humoristique ! – il ne présente pas de risque. Mais dès lors que l’on oublie que l’identité pseudo-humaine que nous projetons sur notre animal est le résultat d’une perception anthropocentrée, on tombe dans le pendant négatif de cette construction mentale. L’anthropomorphisme devient alors un biais cognitif qui transforme nos interprétations en vérités erronées. Et c’est justement quand il se substitue à une connaissance objective du comportement animal qu’il peut mener à un cercle vicieux d’incompréhensions réciproques et de difficultés relationnelles.

L’impact sur la relation humain-chat

Ces incompréhensions, j’en suis témoin tous les jours dans ma pratique de comportementaliste félin. Elles impliquent souvent des réactions inappropriées qui nuisent à la relation humain-chat et au bien-être de l’animal. Accusé à tort d’être manipulateur, dominant, jaloux, rancunier, le chat est ainsi injustement jugé, réprimandé, puni, voire abandonné. 

Une des illustrations les plus représentatives de ces mésinterprétations est de penser que le chat fait exprès d’adopter un comportement dérangeant pour l’humain parce qu’il cherche à se venger ou à exprimer un mécontentement. Il y a pourtant toujours une explication purement féline derrière des actes qui peuvent nous sembler, de notre point de vue, intentionnels, voire provocateurs.

Je vous en donne quelques exemples :

« Si Gribouille a fait pipi sur les chaussures de mon nouveau petit ami avec qui je viens d’emménager, c’est forcément parce qu’il est jaloux ! » Et si Gribouille était tout simplement perturbé par cette personne inconnue arrivée du jour au lendemain dans son espace de vie, et par tous ces nouveaux objets aux odeurs étrangères qui viennent brouiller ses repères olfactifs ? Encore faut-il savoir – ce qui n’est pas évident, je vous l’accorde ! – que l’urine du chat est pour lui rassurante : réminiscence du cocon olfactif de ses premières semaines de vie, elle est associée au confort agréable et sécurisant du nid qu’il partageait avec sa mère.

« Princesse a très bien compris qu’elle n’a pas le droit de monter sur la table, d’ailleurs elle part toujours en courant quand je la prends sur le fait ! » Et si Princesse avait simplement compris que quand son humaine prend cet air menaçant ou excédé, il valait mieux déguerpir, sans pour autant avoir intégré qu’elle ne devait pas commettre un acte qui répond à un besoin inhérent à son espèce : celui de grimper ?

C’est aussi plein de bonnes intentions, et en projetant sur le chat des aspirations humaines, que nous commettons parfois des erreurs. De nombreuses personnes ignorent par exemple le mode de vie socio-facultatif du chat, et pensent bien faire en proposant à leur animal un compagnon de vie, alors que son tempérament, son âge ou l’environnement ne s’y prêtent pas. On dira alors de lui qu’il est « méchant » ou « caractériel » s’il cherche à mettre à distance ce petit chaton qui ne demande qu’à jouer, et dont il se serait en réalité bien passé !

De l’anthropomorphisme au « félinocentrisme »

Pour éviter ces écueils anthropomorphiques et construire une belle relation avec son chat, il est donc essentiel de prendre du recul et de tempérer nos élans et notre empathie par un savoir objectif. Aimer un animal ne permet malheureusement pas d’accéder à la connaissance spontanée de ses besoins, de son fonctionnement ou de son langage. Mais c’est cet amour qui doit nous pousser à apprendre, à voir le monde à travers ses yeux plutôt qu’à travers les nôtres, pour le comprendre et l’accepter tel qu’il est vraiment.


Leslie Palant
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Comportementaliste, spécialiste du chat

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