Sur la chasse, un concours d’une nature spéciale a été lancé, celui de la plus grosse bourde jamais énoncée. En principe, Willy Schraen, président de la Fédération nationale des chasseurs, est donné gagnant avec des réactions en série.
Le 9 novembre 2021, s’exprimant à propos de la chasse en enclos sur RMC, il affirme n’avoir « rien à foutre de réguler » la faune pendant la chasse ; seul le plaisir de tuer compte. Cela a l’avantage d’être clair.
A la même période, il proposait que les chasseurs puissent jouer le rôle de police de proximité pour lutter contre la délinquance rurale et environnementale. On frémit.
En mai 2022, lors d’une émission politique, il invite les Français à « se promener chez eux » pour éviter les accidents de chasse, ce qui, ajouté à sa déclaration que « la nature n’est pas à tout le monde », lui vaut quelques critiques.
En juin 2022, il passe à la vitesse supérieure, il suggère que la vague de chaleur est une « manipulation » pour inciter à voter écologiste.
Le concours paraît plié mais n’oublions pas Emmanuel Macron qui a relevé le gant avec brio, le 4 octobre 2021, avec son : « Un chasseur, il aime son chien, il aime les animaux, il aime la nature, sinon il ne ferait pas de chasse ». Très fort. Surtout que cette phrase a été prononcée lors d’une visite dans un refuge de la SPA, censée montrer son intérêt pour le sort des animaux. Bien sûr, le verbe « aimer » a plusieurs sens : le charcutier aime le cochon,… mais ce n’est pas ce sens que le président cherchait à donner, semble-t-il. Ce n’est pas non plus une antiphrase ou le maniement d’un paradoxe ; le terme est pris au sérieux, au premier degré. Il est vraiment en train de nous dire que « aimer » n’est pas incompatible avec « tuer ». Le chasseur, certes, aime se promener en forêt, aime observer la nature, il est même possible qu’il prenne soin de ses chiens, mais ses capacités d’émerveillement et d’amour s’arrêtent là. Quand il tire sur un chevreuil, se prenant sans doute pour le descendant de nos ancêtres chasseurs de mammouths, non, il ne ressent pas de l’amour.
Du reste, les chasseurs eux-mêmes n’en demandent pas tant. Ils se disent « seulement » écologiques[1]. Ce qui est d’ailleurs curieux, comme si tuer chaque année plus de 20 millions d’animaux d’élevage (faisans, perdrix, lapins… et même des sangliers et des cerfs)[2] ou tirer sur des espèces menacées de disparition[3] avaient quoi que ce soit à voir avec la gestion de l’environnement et de la nature sauvage. Sans compter que ce déchaînement d’amour et d’écologie prive la population de promenades paisibles en forêt pendant quasiment la moitié de l’année. Les accidents se succèdent avec une grande régularité ; pour la saison 2020-2021, avec 80 accidents dont 7 mortels, la Fédération nationale des chasseurs avait trouvé ce bilan « particulièrement positif » !
Comment peut-on à ce point inverser le sens des mots ? Le langage garde-t-il une utilité dans ces conditions ? Depuis longtemps déjà, les chasseurs parlent par euphémismes : ils ne tuent pas, ils « prélèvent » ; ils n’exterminent pas une espèce, ils font de la « gestion adaptative » (c’est-à-dire que lorsqu’il ne reste plus que quelques couples d’une espèce, ils attendent un peu avant de recommencer à tirer dessus) ; ils ne parlent plus d’espèces « nuisibles », mais d’espèces « susceptibles d’occasionner des dégâts » (oubliant qu’elles sont aussi susceptibles de rendre de grands services) ; ils n’utilisent pas des moyens de chasse cruels et non sélectifs, ils font de la « chasse traditionnelle ».
Le Sénat s’est chargé d’examiner la question de la sécurité à la chasse, dans un rapport publié en septembre 2022[4] et se retrouve partie prenante de ce concours de « bons mots ». Ce rapport a été élaboré suite à une e-pétition ayant obtenu 122 000 signatures, motivée par la mort par balle de Morgan Keane, 25 ans, tué en décembre 2020 par un chasseur qui l’avait confondu avec un sanglier alors qu’il coupait du bois près de chez lui pendant le confinement. Pour commencer, ce travail des sénateurs s’ingénie à relativiser le problème en signalant que la chasse ne représente que 4% des accidents liés au sport. Mais cela n’a rien à voir avec les autres sports (de montagne, aquatiques, etc.) où le pratiquant prend un risque pour lui-même, pas pour d’autres personnes. Ensuite, dans les recommandations pour améliorer la sécurité à la chasse, pour la plupart lénifiantes et ne répondant aucunement au drame des centaines « d’incidents » terrorisant les promeneurs et les riverains (ainsi que leurs animaux de compagnie), on apprend de belles choses :
« Concernant le permis de chasser, l’examen devrait mieux prendre en compte la croissance de la chasse au grand gibier et la diffusion des armes semi-automatiques et intégrer une épreuve vérifiant l’habileté au tir ». On comprend que ce n’était pas le cas jusqu’à présent.
« Il est également nécessaire d’interdire la chasse en état d’ébriété ou après la prise de stupéfiants ». Là aussi, rien n’était prévu jusqu’à ce jour contre de tels dangers publics.
Plus fort : « La suspension ou le retrait du permis de chasser pourraient être mieux gradués en fonction de la gravité des faits. En cas d’homicide par tir direct, le retrait du permis pourrait être systématique et une interdiction de le repasser pendant dix ans instituée ». On comprend ainsi non seulement que ce n’est pas en vigueur actuellement, mais aussi que les sénateurs trouvent qu’un type qui tue quelqu’un peut recommencer au bout de dix ans !
Au demeurant, ils ont pensé à tout en proposant de développer la formation des chasseurs aux premiers secours…
Ceci étant, le Sénat ne fait pas le poids face à Willy Schraen qui a tout de suite dégainé face à la remarque sur l’alcool et la demande de passer un certificat médical annuel : « Un mec bourré sur un vélo, c’est dangereux aussi », oubliant que l’ébriété en vélo est déjà punie. On notera le « aussi » !
L’autre grand lobbyiste du secteur, Thierry Coste, critique aussi ce rapport : « La question de la chasse est un marronnier qui revient faire polémique chaque année à la même période, depuis 25 ans », a-t-il déclaré à actu.fr[5]. Bizarre en effet, toujours cette polémique dès le premier mois de l’ouverture de la chasse ! A quoi cela peut-il bien être dû ? [6]
[1]La Fédération nationale des chasseurs a été, du reste, condamnée en appel, le 2 décembre 2022, pour avoir plagié l’identité visuelle de la Ligue pour la Protection des Oiseaux (LPO) dans sa campagne de communication où ils se proclamaient « premiers écologistes de France ».
[2]animal-cross.org/animaux-delevage-laches-pour-la-chasse-la-faune-sauvage-trepasse
[3]lpo.fr/decouvrir-la-nature/conseils-biodiversite/conseils-biodiversite/juridique/oiseaux-menaces-et-chasses-en-france
[4]senat.fr/notice-rapport/2021/r21-882-notice.html
[5]actu.fr/societe/chasse-que-contient-le-rapport-du-senat-pour-mieux-encadrer-la-pratique-et-pourquoi-ca-coince
[6]Depuis, l’ouverture de la saison 2022-2023, à la date du 30 novembre, il y a déjà eu 67 accidents, dont 4 décès humains – source : collectif « un jour un chasseur »
Evelyne Moulin
Médecin
Auteure de La chasse est mauvaise pour la santé, Ed. Asclépiades, 2019
Roland Cash
Médecin
Candidat aux législatives 2022 dans l’Indre pour le Parti animaliste