Numéro 20Droit animalierUne association de protection animale de moins de cinq ans d’ancienneté peut-elle se constituer partie civile ?

Estelle Derrien15 juillet 20258 min

Dans un procès pénal, la partie civile se définit comme une victime de l’affaire qui souhaite solliciter devant le tribunal la réparation de son ou ses préjudices. L’article 2, alinéa 1, du code de procédure pénale dispose ainsi que « l’action civile en réparation du dommage causé par un crime, un délit ou une contravention appartient à tous ceux qui ont personnellement souffert du dommage directement causé par l’infraction »[1]. La partie civile peut être une personne physique mais également une personne morale, à charge pour cette dernière de démontrer qu’elle a subi un préjudice (moral et/ou matériel) certain, personnel et direct. À titre d’exemple, dans un arrêt certes ancien mais de référence, la Cour de cassation a estimé que la constitution de partie civile de l’association Comité national contre le tabagisme, était recevable dans un dossier relatif à une publicité clandestine en faveur du tabac[2]. Elle a en effet relevé que « les agissements de l’intéressé sont venus contrarier les efforts que (cette association avait déployés) pour la sauvegarde de la santé, notamment par de nombreuses campagnes d’information et l’édition d’une publication périodique », ce qui démontre « l’existence d’un préjudice direct et personnel subi par la partie civile en raison de la spécificité du but et de l’objet de sa mission ».

Concernant les associations de protection animale, le code de procédure pénale dispose en outre, en son article 2-13 qui a connu diverses réformes ces dernières années, que « toute association régulièrement déclarée depuis au moins cinq ans à la date des faits et dont l’objet statutaire est la défense et la protection des animaux peut exercer les droits reconnus à la partie civile en ce qui concerne les infractions prévues par le code pénal et aux articles L. 215-11 et L. 215-13 du code rural et de la pêche maritime réprimant l’abandon, les sévices graves ou de nature sexuelle, les actes de cruauté et les mauvais traitements envers les animaux ainsi que les atteintes volontaires à la vie d’un animal. Toute fondation reconnue d’utilité publique peut exercer les droits reconnus à la partie civile dans les mêmes conditions et sous les mêmes réserves que l’association mentionnée au présent article. »[3]. Se fondant dès lors sur ce texte, outre un arrêt rendu le 22 mai 2007 par la Cour de cassation[4], il est régulièrement soutenu qu’en dehors de ces infractions expressément visées par le texte d’une part, et/ou en l’absence d’une ancienneté de plus de cinq ans d’autre part, une association de protection animale ne pourrait pas se constituer partie civile dans un procès pénal… Une analyse plus approfondie tant du code de procédure pénale que de l’arrêt précité de la Haute juridiction, permet toutefois de démontrer qu’une telle interprétation est très critiquable.

Tout d’abord, la Cour de cassation a certes estimé dans l’arrêt du 22 mai 2007 susvisé que l’association ne pouvait pas se constituer partie civile puisque le litige concernait une infraction non expressément visée par l’article 2-13 du code de procédure pénale : « l’article 2-13 du code de procédure pénale n’autorise cette association à intervenir devant la juridiction pénale qu’en ce qui concerne les infractions réprimant les sévices graves ou actes de cruauté et les mauvais traitements envers les animaux ainsi que les atteintes volontaires à la vie d’un animal ». Toutefois, il convient de rappeler que la Haute juridiction juge en droit et a donc pour mission de vérifier que les tribunaux et Cours d’appel ont correctement appliqué la loi. Or, dans l’affaire précitée, la Cour de cassation ne vise que les « articles R. 654-1 du code pénal, R. 215-4, R. 214-17, L. 214-3, alinéa 2, du code rural, 2-13, 591 et 593 du code de procédure pénale » et en aucun cas l’article 2 du code de procédure pénale. Plus simplement, elle a ainsi tranché la question de savoir si une association de protection animale pouvait se fonder sur l’article 2-13 du code de procédure pénale pour se constituer partie civile dans un dossier, quand bien même elle ne respecterait pas scrupuleusement les dispositions de ce texte, soit en termes d’ancienneté, soit en termes de qualification des faits. La Cour de cassation a bien évidemment répondu par la négative. Elle n’a toutefois nullement jugé dans cet arrêt qu’il serait interdit pour une association de se constituer partie civile sur le fondement de l’article 2 du code de procédure pénale, le litige porté à sa connaissance ne portant manifestement pas sur ce point. Or force est de constater que le code de procédure pénale n’interdit pas à une association de protection animale qui ne remplirait pas les conditions posées par son article 2-13, de se constituer partie civile sur le fondement de l’article 2 si elle estime avoir subi un préjudice personnel et direct du fait de l’infraction. Au contraire, la Cour d’appel de Paris a rappelé, dans un arrêt rendu le 1er décembre 2014 (dossier n°13/07971), que « considérant, sur la recevabilité de l’action en justice des associations, que, même hors habilitation législative, une association peut agir en justice au nom d’intérêts collectifs lorsque ceux-ci entrent dans son objet social ». Autrement dit, si une association de protection animale ne remplit pas les conditions définies à l’article 2-13 du code de procédure pénale pour bénéficier d’une constitution de partie civile “d’office”, notamment si elle compte moins de cinq ans d’ancienneté, elle peut former ce recours et solliciter la réparation de son préjudice sur le fondement de l’article 2 dudit code si elle estime que l’infraction a porté atteinte à son objet statutaire.

Cette dernière position est conforme à la jurisprudence de la Cour de cassation, notamment en matière de protection des espèces protégées. Plus particulièrement, l’article L.142-2, alinéa 1, du code de l’environnement dispose que « les associations agréées mentionnées à l’article L. 141-2 (lequel vise l’article L.141-1) peuvent exercer les droits reconnus à la partie civile en ce qui concerne les faits portant un préjudice direct ou indirect aux intérêts collectifs qu’elles ont pour objet de défendre et constituant une infraction aux dispositions législatives relatives à la protection de la nature et de l’environnement, à l’amélioration du cadre de vie, à la protection de l’eau, de l’air, des sols, des sites et paysages, à l’urbanisme, à la pêche maritime (…) »[5]. Ne peuvent bénéficier d’un tel agrément, que les associations exerçant « leurs activités depuis au moins trois ans, (…) régulièrement déclarées et exerçant leurs activités statutaires dans le domaine de la protection de la nature et de la gestion de la faune sauvage, de l’amélioration du cadre de vie, de la protection de l’eau, de l’air, des sols, des sites et paysages, de l’urbanisme, ou ayant pour objet la lutte contre les pollutions et les nuisances et, d’une manière générale, œuvrant principalement pour la protection de l’environnement »[6]. Au même titre qu’une association de protection animale peut se constituer partie civile dans un dossier de maltraitance sur le fondement de l’article 2 du code de procédure pénale, quand bien même les conditions fixées pour bénéficier de l’application de l’article 2-13 dudit code ne seraient pas remplies, la Cour de cassation a jugé à titre d’exemple, dans un arrêt rendu le 1er juin 2010 relatif à la destruction d’une espèce protégée (l’ourse Cannelle), que la constitution de partie civile de l’Association pour la protection des animaux sauvages et de l’association Nature Midi-Pyrénées étaient recevables puisque « ces associations exercent leurs activités statutaires dans le domaine de la protection de la nature »[7]. La partie mise en cause avait pourtant soulevé l’argument selon lequel ces associations « ne répondent pas aux critères prévus, d’une part, par l’article 2-13 du code de procédure pénale et, d’autre part, par les articles L.141-1 et L.141-25 du code de l’environnement »… De la même manière, pour autre et dernier exemple, la Cour de cassation a confirmé un arrêt de la Cour d’appel de Paris qui avait accueilli la constitution de partie civile d’une association après avoir « caractérisé l’existence d’un préjudice direct et personnel, distinct de celui de ses membres, subi par l’association en raison de la spécificité du but et de l’objet de sa mission »[8]. La Haute juridiction a rappelé dans ce cadre que la possibilité offerte par le code de l’urbanisme aux associations agréées de protection de l’environnement d’exercer les droits de la partie civile en ce qui concerne certaines infractions, « n’exclut pas le droit, pour une association non agréée, qui remplit les conditions prévues par l’article 2 du code de procédure pénale, de se constituer partie civile à l’égard des mêmes faits ».

Il convient enfin de rappeler que c’est le tribunal qui déterminera si l’association peut, ou non, se constituer partie civile. Dès lors, au stade préalable de la plainte, si la personne qui la représente conformément à ses statuts estime que l’association est victime dans une affaire, les services de police et de gendarmerie sont dans l’obligation de prendre sa plainte. L’article 15-3, alinéa 1, du code de procédure pénale dispose en effet que « les officiers et agents de police judiciaire sont tenus de recevoir les plaintes déposées par les victimes d’infractions à la loi pénale, y compris lorsque ces plaintes sont déposées dans un service ou une unité de police judiciaire territorialement incompétents (…) ». Dans tous les cas, s’il existe un doute, il est préférable de se faire assister par un avocat…


[1] legifrance.gouv.fr/codes/article_lc

[2] legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000007061835

[3] legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000037556885

[4] legifrance.gouv.fr/juri/id

[5] legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000033034726/2025-06-05

[6] legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000026849156

[7] legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000022394440

[8] legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000007074817


Estelle Derrien
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