La relation qui lie les peuples du miombo Est Africain et les grands indicateurs lors de la récolte de miel est qualifiée de « mutualiste ». Ce lien inter espèce est culturel et porteur d’une conception du Vivant particulière.
La finesse de cette entente contraste avec la brutalité qui caractérise les rapports à l’insecte A.Meliferae Scutellata, l’abeille à miel africaine. La plupart des techniques de prélèvement traditionnel seraient néfastes pour les colonies.
La complémentarité entre la productivité des abeilles et la richesse de la flore a été identifiée comme un levier de la protection des habitats par les conversationnistes. Des techniques ‘modernes’ sont diffusées pour générer des revenus et favoriser la création de liens entre hommes, flore et abeilles.
Dans quelles mesures l’apiculture participe-t-elle à la Protection des habitats ? La généralisation de l’apiculture ‘moderne’ est-elle une solution miracle face aux enjeux de perte de la biodiversité ?
Abeille et habitat
Les abeilles vivent en communauté hiérarchisée, leur destin est lié à la collectivité. A chaque étape de son existence, la femelle occupera successivement les fonctions de nourrice, bâtisseuse, magasinière, gardienne et ouvrière butineuse. Cette dernière tâche est celle à laquelle elle consacrera le plus de temps, il s’agit de la collecte des aliments dans les fleurs.
La croissance de la colonie repose sur l’approvisionnement en pollen et en nectar. Le premier constitue l’apport en protéine, essentiel à la production de la gelée royale qui alimente le couvain et à la sécrétion de la cire. Le nectar assure l’apport en sucre, la source d’énergie de l’insecte. Le miel est constitué par l’accumulation de micro-goulettes de nectar issues de différentes fleurs dans les alvéoles. Plus les fleurs ou les abeilles butinent sont proches, moins elles dépensent d’énergie à récolter et plus elles produisent de miel.
Dans un habitat forestier diversifié les plantes ont adopté des stratégies de reproduction différenciées. Les périodes de floraison au cours desquelles les fleurs sont fécondées par l’entremise des polinisateurs sont étalées dans le temps afin de limiter la compétition. Les abeilles vont choisir des lieux de résidence offrant une diversité végétale qui leur permet d’avoir un accès continu à une nourriture proche.
Des récoltes traditionnelles destructrices ?
Les produits de la ruche sont un élément incontournable de la culture des peuples du miombo. Chez les Lomwés, les lésions de la varicelle sont traitées avec de l’eau mélangée à de la cire d’abeille, le couvain est mangé pour améliorer la vue et le miel est utilisé pour cicatriser les plaies. Les alvéoles sont utilisées comme support d’intermédiation avec le monde spirituel et certaines abeilles sont protégées par des esprits sylvestres qui attaquent les chasseurs. Le miel a des propriétés médicales, spirituelles et nutritives, c’est un objet pluriel aux usages multiples qui imprègne les identités culturelles.
A proximité du Parc national de Gilé, les guerres nationales mozambicaines (1964-1992) ont entrainé une déconstruction des rapports entre hommes et abeilles . La pratique de récolte de miel la plus destructrice y est devenue la plus courante : une fois un essaim trouvé, l’arbre dans lequel il s’abrite est coupé puis enflammé, l’ensemble des rayons de la ruche sont prélevés annihilant la possibilité de convalescence pour la colonie.
Chez les Yao, des pratiques apicoles ancestrales ont survécu aux guerres. Les écorces de Julbernardia globiflora sont retirées, cousues et suspendues aux branches d’arbres mellifères pour capturer des essaims (Ribeiro, 2019). A la fin de la floraison, les ruches sont détachées et des rayons choisis prélevés avant que le miel ne soit consommé. Si ce prélèvement ne condamne pas l’essaim, il affecte, néanmoins la colonie.
Les prélèvements traditionnels semblent pétris de violence, toutefois, leur permanence atteste de leurs conséquences écologiques limitées. Pour les apiculteurs occidentaux, l’abeille à miel Africaine est « agressive », peut-être que son comportement est le fruit de son histoire tumultueuse avec les hommes ?
Conservation intégrée, apiculture commerciale
La conservation dite « intégrée » renvoie aux programmes de protection qui incluent les populations locales : lorsque les communautés perçoivent des bénéfices des projets, leurs intérêts se superposeraient aux préoccupations des conversationnistes. L’apiculture est une activité représentative de cette logique d’intervention, elle lie les intérêts de l’homme, éleveur, à la richesse de la biodiversité, source de nourriture. Certains projets encouragent alors le développement d’une apiculture commerciale, productiviste, qui vise à garantir un revenu rapide pour les bénéficiaires impliqués.
L’apiculture se technicise (usage de fumoir, sélection des rayons, etc.) et des innovations, produits de la ‘modernité’ occidentale, sont incrémentées, à l’image de la généralisation des ruches Langstroth, américaines, ou Kenyan Top Bar, développées au Kenya par des canadiens. L’inclusion du miel dans des circuits commerciaux privés, suppose l’harmonisation de la qualité du produit et des procédés de production aux exigences du marché.
En devenant une activité économique, l’apiculture se professionnalise, l’apiculteur exécute une action de production : l’élevage d’abeille. Le miel change alors de statut pour les populations, d’objet culturel pluriel il devient un simple produit.
L’interdépendance entre la richesse de la biodiversité d’un habitat et la capacité des abeilles à produire du miel permet de tisser des passerelles entre les hommes et la conservation. Les techniques apicoles « modernes », permettent aux populations de vendre du miel tout en bénéficiant des mesures de protection. Toutefois, son développement se fait au détriment des cultures du miel locales, produits de l’identité des peuples. Elle plonge les bénéficiaires dans le système monétarisé, porteur d’un système de valeurs étranger.
Basile Guillot
Préservationniste engagé pour le respect des cultures indigènes @ Parc National de Gilé