Valérie Croisille : Cécile SQUARZONI, vous êtes vétérinaire et présidente de l’association APEBA (Association pour l’Education à la Bienveillance Animale), créée en 2017, qui lutte contre la maltraitance animale à la Réunion. Avant toute chose, pourriez-vous nous donner un panorama de ce qu’est la condition animale à la Réunion et évoquer les différents types de maltraitance auxquels vous êtes confrontée au quotidien ?
Cécile Squarzoni : La Réunion, qui est un département d’outre-mer, fait face à une très forte prévalence de maltraitance animale, plus élevée qu’en métropole. Il y a beaucoup de violences intrafamiliales, et comme on le sait, les violences intrafamiliales sont répercutées sur les êtres les plus vulnérables, comme les animaux, les enfants, les femmes. On a aussi très régulièrement des animaux qui sont attachés au fond de la cour, sans abri, au soleil, dans la terre, pas nourris, ou nourris tous les 3-4 jours, qui ne sont pas regardés, pas considérés, qui sont vraiment perçus comme les derniers êtres vivants et qui ne font pas partie de la famille. Ceci résulte d’un manque d’éducation des enfants sur la bienveillance animale et la place de l’animal dans la famille en tant qu’animal-câlin et pas animal-objet. Il y a donc beaucoup de violences physiques et de violences intrafamiliales, et les animaux en payent le lourd tribut, comme les enfants.
Les autres actes de maltraitance que l’on voit, ce sont les actes de tortures et de cruauté qui sont perpétrés dans les rues, sur des chiens errants ou volés dans les jardins. Ces animaux sont piégés avec des appâts, puis stockés dans des squats (bâtiments inhabités) ou dans les ravines, puis torturés pendant de longues heures par de jeunes tortionnaires souvent mineurs. Ces actes horribles sont décrits dans la presse depuis 2016. Pourquoi cela n’est-il pas jugulé ? Au contraire, cela empire, c’est maintenant chaque jour, chaque semaine que des faits similaires sont signalés.
Valérie Croisille : Pourriez-vous nous expliquer plus précisément le modus operandi de ces tortionnaires d’animaux ?
Cécile Squarzoni : Ce sont des actes qui sont prémédités, puisqu’ils achètent des appâts, du jambon, des saucisses dans les grandes surfaces ; ensuite, ils appâtent les chiens, les attrapent avec des ficelles, des collets, ou même des cages (on retrouve des cages dans les lieux de stockage), et ils les stockent, attachés, sans eau, sans nourriture, dans différents endroits. Il y a donc préméditation, repérage de chiens, de meutes, de mamans qui font des chiots… On sait qu’ils repèrent les femelles et les portées de chiots, et quand les chiens commencent à marcher et à ramper, vers un mois, ils les volent pour les torturer. Ce sont des proies extrêmement vulnérables qu’ils repèrent.
Ensuite il y a stockage : ils stockent ces chiens pendant quelques jours, quelques semaines, en les affamant, en les frappant, en les déstabilisant complètement (on les retrouve tétanisés, traumatisés) ; ils leur coupent souvent les oreilles et les queues à vif, à la machette ; et ensuite, ils les torturent un week-end.
Il y a aussi de la reproduction. Ils gardent certaines femelles qu’ils marquent en leur coupant la queue, et ils leur font faire des portées pour les torturer ou servir d’appâts pour les combats de chiens. On sait que les chats sont également concernés : ils les volent dans la rue, s’en servent pour les combats de chiens, et les dépècent, leur coupent les membres au cutter.
Les chiots servent soit à de la torture, soit à des combats de chiens, soit pour la vente entre marginaux ou bandes et trafiquants.
Tout est programmé et prémédité, organisé sur plusieurs villes. Ce sont très souvent des mineurs qui pratiquent ces actes de cruauté, ce qui est extrêmement grave, et qui sont enrôlés ou poussés par de jeunes majeurs qui les forcent à le faire.
Valérie Croisille : Lors de la conférence en ligne sur les animaux de la rue organisée par les avocats du Barreau de Paris en février 2023, vous aviez évoqué le cas d’un tortionnaire de chiens qui était passé à l’acte sur un être humain. Pourriez-vous nous en dire plus ?
Cécile Squarzoni : Il s’agissait d’un jeune qui avait été interpellé sur des faits, déjà, de torture animale à Mayotte. Ce jeune, ensuite, était venu à la Réunion, il avait alors moins de 16 ans (ce sont souvent des actes de mineurs isolés qui viennent à la Réunion et qui n’ont pas de parents sur place). A la Réunion, il a été interpellé en flagrant délit (ce qui est très rare) pour actes de cruauté et tortures sur un chien, avec des mineurs, des enfants de 8-10 ans, qui ont confirmé qu’il torturait des animaux – il y avait aussi d’autres témoins. Il frappait même les enfants pour qu’ils torturent le chien.
Ce personnage, qui avait 16 ans au moment des faits, a été relâché. Il était en liberté conditionnelle et a mené une attaque au sabre en réunion sur personne – une personne âgée. Il a donc été incarcéré ; il avait alors 17 ans. On voit bien ici la théorie du lien, qui est démontrée psychiatriquement : on s’entraîne sur des animaux qu’on torture, et ensuite, le passage à l’acte avec tortures physiques sur humains est très courant. Ce jeune homme a été jugé à l’âge de 17 ans pour récidive sur torture animale et agression sur personne, et a été condamné à 2 ans ferme, avec la fusion des peines. Mais il y avait beaucoup d’éléments qui ont permis de le condamner : récidiviste, 17 ans, et coupable d’attaque sur personne, après tortures animales.
Valérie Croisille : Merci d’être revenue sur ce cas, qui est en effet assez inquiétant, et qui interroge sur le risque de développement de la criminalité qui pourrait affecter l’île dans les prochaines années – voire avant, si l’on se fie à certains faits divers tout récents. Sachant qu’il s’agit essentiellement de mineurs, quels sont les moyens d’action et les ressources dont vous disposez pour lutter contre cette maltraitance ?
Cécile Squarzoni : Nous demandons essentiellement 4 actions :
On a demandé aux maires, aux communes, à la directrice de cabinet, au préfet que les sites où il y a des tortures animales, les squats dont les mêmes adresses reviennent sans arrêt, soient surveillés plus régulièrement par la police, pour avoir des interpellations – parce qu’il manque des flagrants délits, des interpellations, des peines prononcées pour le démantèlement des bandes.
La seconde chose que l’on demande, c’est d’intervenir dans les collèges, les lycées et les écoles de ces quartiers, qui sont toujours les mêmes, pour faire de l’éducation et de la sensibilisation à la bienveillance animale dans ces quartiers. Certains reviennent sans cesse depuis 8 ans, et ce n’est toujours pas fait. On demande à pouvoir intervenir en tant qu’association de protection animale et de bienveillance animale, pour éduquer et sensibiliser ces enfants avant qu’ils ne tournent mal. Or, ces actions éducatives-là ne sont toujours pas menées, sauf dans un quartier, à St Denis, le quartier de la Chaumière, pour lequel il y a un plan de sauvegarde, et la mairie y est très active. Pourquoi les autres quartiers – le Moufia, Ste Clotilde, Butor, Fayard, Bras-Fusil – ne sont-ils pas ciblés avec programmation d’actions pédagogiques sur la bienveillance animale, régulièrement, et dès que les squats sont signalés ? C’est urgent et essentiel. Cela fait plus de 3 ans qu’on le demande et ce n’est pas engagé. C’est à l’initiative de certains professeurs que des actions se font.
La troisième chose que l’on demande, c’est qu’il y ait de vraies actions de répression, et aussi de protection de l’enfance. Ces enfants sont non seulement des victimes dans leur famille, sans encadrement, sans parent, mais deviennent aussi ensuite des tortionnaires. Il faut qu’il y ait un suivi actif de ces familles, des actions sociales, de soutien auprès de ces enfants, mais aussi des actions de répression et de pénalisation auprès des familles qui les accueillent et qui les laissent dehors la nuit, sans surveillance, à 10 ans ! Les tuteurs, les familles qui encadrent ces enfants, ne devraient pas permettre que ces enfants mineurs soient dans la rue à 23h, à 1h, à 2h du matin…. On se demande pourquoi ces familles ont encore le droit d’accueillir ces enfants mineurs isolés, alors qu’elles ne s’occupent pas d’eux, les laissent traîner sans cadre dans la rue et torturer les animaux.
La quatrième action : c’est de parler et d’intervenir auprès des responsables religieux et des associations des communautés, pour parler aux enfants et aux adolescents du respect de l’animal et du vivant, et pour qu’il y ait de vraies actions efficaces avec ces associations, un accompagnement des enfants à la dérive, et également pour identifier les leaders, les cibler et protéger les petits. Ce n’est toujours pas réalisé. Pourquoi cette thématique n’est-elle pas traitée, mis à part à St Denis ?
Valérie Croisille : Ces actions-là pourraient donc essentiellement être mises en place (ou pour certaines, facilitées) par les pouvoirs publics, mais nombreux sont ceux qui se demandent comment, à titre individuel, ils pourraient aider. De quelles façons les citoyens pourraient-ils apporter leurs contributions à ce combat contre la torture animale ? Comment aider les associations ?
Cécile Squarzoni : Oui, il y a nécessité que les pouvoirs publics, l’Etat, la préfecture, les communes, les ministères de l’Education et de l’Intérieur s’impliquent, parce que c’est extrêmement grave : il y a des actes de torture et de cruauté chaque jour, chaque semaine ! Au moment où je vous parle, il y a des chiens qui sont attachés, qui vont être frappés, torturés, brûlés, découpés, écartelés ce week-end. On sait que c’est tous les jours, toutes les semaines, et c’est terrible d’imaginer ça.
Ensuite, oui, il y a des mouvements citoyens qui pourraient aider, dans les actions éducatives, dans les écoles, ou autres évènements. Il y a du repérage à faire aussi : il faut signaler les faits, ne pas rester impuissants et silencieux, et dénoncer tout ce qui est visible dans les rues. Il y a une vraie prise de conscience nécessaire dans les communautés, pour que ces jeunes, souvent des mineurs isolés, soient pris en main et ne soient pas laissés sans cadre, sans poursuites – des jeunes qui, du coup, s’acharnent à pratiquer des tortures sur nos animaux domestiques avec un sentiment d’impunité.
Valérie Croisille : Et depuis la métropole, que peuvent faire les citoyens pour aider ?
Cécile Squarzoni : Depuis la métropole, les citoyens peuvent en parler et partager nos posts. Il faut diffuser ces horreurs dans les médias et toucher des réseaux d’influenceurs pour dénoncer ces actes. Ils peuvent essayer d’agir auprès des fondations et des grandes associations de métropole qui devraient nous soutenir et nous aider financièrement. On est démuni face à ces violences, on n’a pas assez de moyens pour y faire face, et on a besoin que ce soit médiatisé en métropole. On a évidemment aussi besoin de fonds pour faire face aux frais vétérinaires qui s’accumulent sur la maltraitance et ces actes de tortures. Où sont les grandes fondations et associations de protection animale ? On a besoin d’aide et d’être soutenu face à ces tortionnaires sans nom.
Voici d’ailleurs la cagnotte pour aider sur nos sauvetages de squats : https://www.leetchi.com/fr/c/sauvetages-des-animaux-tortures-ile-de-la-reunion-2119085
Valérie Croisille : Merci pour ces précisions. A ce sujet, lorsqu’un chien ou un chat est récupéré dans un squat, quelles sont les démarches que vous devez accomplir concrètement, à la fois pour l’animal, et pour que tout soit mis en œuvre pour que soient poursuivis les tortionnaires ?
Cécile Squarzoni : On a régulièrement des animaux qu’on sauve de squats. Mais il y a extrêmement peu d’interpellations et de flagrants délits, car les tortures sont pratiquées la nuit, tard, vers 1h ou 2h du matin, donc il y a vraiment très peu d’actes judiciarisés car quasiment aucune interpellation.
Quand on récupère des animaux vivants, on doit trouver en urgence des familles d’accueil pour les animaux, en quelques heures, et c’est très compliqué. En effet, à la Réunion, il n’y a que 2 refuges, c’est difficile pour les accueils et les sauvetages, qui sont continuels. Ensuite, il faut les soigner, les nourrir évidemment, aller chez le vétérinaire pour évaluer leurs blessures physiques, mais aussi morales et psychologiques. Il y a des chiens qui auront besoin d’appui de comportementalistes, qui sont extrêmement peureux, traumatisés et tétanisés… Tout cela demande énormément de prise en charge financière pour l’association et des accueils à trouver en permanence. C’est très lourd financièrement pour l’association, donc on aurait besoin qu’il y ait un fonds solidaire pour nous aider dans les soins de ces animaux sortis de tortures ou de squats, car on a un déficit de 25 000 euros par an sur ces frais vétérinaires.
Concernant les interpellations, les procès, les poursuites judiciaires, ils sont rares, car il y a très peu d’interpellations et de flagrants délits. Parfois, il y a des jeunes qui sont arrêtés dans les squats avec des chiens attachés, sans flagrant délit d’actes de tortures ; mais hélas, ils sont relâchés, car mineurs et pas d’actes à leur reprocher avec des preuves, donc c’est très compliqué.
Valérie Croisille : Pensez-vous qu’il y aurait un espoir, ou en tout cas une volonté, de modifier la loi pour sanctionner ces délinquants mineurs coupables de tortures animales ? Est-ce qu’en ce moment, les autorités semblent prendre enfin conscience de la mesure de ce fléau ?
Cécile Squarzoni : Oui, ils ont pris conscience de la mesure du fléau, mais je pense à une moindre mesure.
Le préfet (J. Filippini), qui était là depuis 2 ans, mais qui hélas vient de partir, a mené une politique active pour lutter contre l’errance et la maltraitance animales, et c’est à souligner. Il était à notre écoute. On espère que son remplaçant fera de même et sera actif sur ce dossier.
Grâce au sous-préfet aussi (J.P. Normand), 50 000€ ont enfin été donnés au Rectorat sur 3 ans, pour que les professeurs mènent des activités sur la bienveillance animale, il était temps.
La mairie et la commune de St Denis nous épaulent énormément, nous financent, nous appuient dans ce combat, mais ce sont quasiment les seuls. On fait la tournée des squats de St Denis avec la police municipale, qui est à nos côtés avec la police nationale également, qui est exceptionnelle. Dans les autres communes de St André et St Benoit, les forces de l’ordre sont extrêmement efficaces et sensibilisés au contexte, car ils font face à des actes de délinquance incessants également de ces mêmes jeunes.
Mais à St André, St Benoit, qui sont des hotspots de tortures animales, la population dénonce moins qu’à St Denis : les faits sont donc plus rarement déclarés… Pour le Port, St Louis, il y a de plus en plus de tortures animales et de squats signalés. Mais les communes ne sont pas encore mobilisées, notamment les maires ; par contre, la police et la gendarmerie sont à nos côtés. On est assez époustouflé par le silence de nos élus, maires et députés, mis à part à St Denis…
Il y a notamment le sujet de laisser venir à la Réunion des mineurs isolés, qui, pour certains d’entre eux, perpétuent ces actes de torture et de cruauté à la Réunion…
Pourquoi les associations des communautés restent-elles silencieuses – il n’y a aucune réaction, aucune intervention, pas de prise en main du dossier ni du sujet par les communautés et les représentants religieux… ? Pourquoi ?
Les maires, mis à part à St Denis, ne réagissent pas et ne mettent pas en œuvre des discussions bilatérales entre les communautés, entre les pouvoirs sociaux, les actions dans les écoles, alors que cela fait 8 ans que les squats et les tortures animales sont dénoncés !
Pourquoi n’y a-t-il pas un plan de sauvegarde des quartiers et de lutte contre ces tortures animales ? Pourquoi n’y a-t-il pas un plan d’éducation et de sensibilisation dans les écoles, dans ces quartiers connus, qui sont sans cesse cités pour les mêmes actes de torture depuis 8 ans ? Pourquoi n’y a-t-il pas des moyens mis en œuvre pour éviter que ces enfants deviennent des criminels et commettent des actes de violence sur personne dans 5 ans ? Ne pas réagir, c’est laisser faire, laisser des animaux être torturés, être capturés dans des conditions horribles ! C’est laisser faire une jeunesse qui est sacrifiée, qui n’est pas encadrée et qui est dans l’ultra violence déjà, à l’affût du moindre animal pour le torturer… Ça fait froid dans le dos.
Valérie Croisille : Le phénomène va de surcroît en s’amplifiant puisqu’il y a quelque temps, il était limité à la zone nord-est de la Réunion, mais cela commence à présent à gagner du terrain sur l’ensemble de la Réunion…
Cécile Squarzoni : Tout à fait. On a des signalements à St Leu, à St Louis, à St Pierre, au Port, c’est dramatique ! Ces tortures et actes de cruauté sont un phénomène récurrent, régulier, et qui s’étend sur toute l’île. C’est effrayant puisque ce sont des mineurs ou des jeunes qui les réalisent… Où sont les parents, les familles, les tuteurs ? Où sont les associations d’encadrement de ces enfants ? Que font-elles sur ce sujet, sur le thème du respect de l’animal ? Pourquoi ce silence assourdissant ? Pourquoi personne ne prend en main ces enfants et ces jeunes qui sont déjà dans l’ultra violence ? Pourquoi on laisse faire et on accepte ces actes horribles ?
Valérie Croisille : On ne peut effectivement que partager vos interrogations. Par ailleurs (et c’est aussi un phénomène lié), on sait qu’à la Réunion, il y a un véritable problème avec le nombre de chiens errants ou divagants (des chiens qui ont un maître, mais qui sont laissés en liberté dans la rue). On sait aussi que les fourrières semblent être aux aguets pour capturer ces chiens. Est-ce que vous pourriez nous en dire plus sur le sort qui attend ces animaux récupérés par ces fourrières ? Quel est le fonctionnement de ces fourrières ?
Cécile Squarzoni : Oui, l’errance animale est vraiment terrible et à un niveau très élevé à la Réunion, c’est une situation d’urgence. Les pouvoirs publics avec lesquels nous échangeons couramment mettent les moyens pour la réduire, mais se focalisent sur un objectif : c’est réduire l’errance « visible » ; or, ce qui n’est pas l’action efficace, au contraire. Scientifiquement, c‘est prouvé. En effet, l’errance « visible », c’est 5% à 20% des animaux qui sont errants et se reproduisent dans les rues… Et s’attaquer aux animaux visibles ne résout pas l’errance. La preuve : les chiffres ne baissent pas, et il y a toujours plus d’euthanasies à la Réunion, soit plus de 12 000 par an ! Ce qu’il faut, c’est arrêter le robinet : réduire la reproduction, réduire les abandons, réduire le trafic d’animaux avec des actions d’éducation, de répression et de la stérilisation à grande échelle. Ce n’est pas fait.
Concrètement, réduire l’errance « visible » et envoyer en fourrière des chiens présents dans les rues et les euthanasier ne résout pas du tout le problème, car cela n’agit pas du tout sur la dynamique de reproduction. Il y a 12 000 euthanasies par an à la Réunion, ce qui représente le record national ! Pourquoi continuer dans ce sens ? Les vraies bonnes actions sont de réduire la reproduction, stériliser les femelles, identifier les animaux, réduire les abandons, et actuellement, elles ne sont pas menées suffisamment, car elles doivent être largement priorisées dans les lignes budgétaires.
Actuellement, il y a 5 fourrières sur l’île, alors qu’il n’y a que 2 refuges, ce qui est aberrant avec le taux d’errance animale : le manque d’accueil sur le territoire fait que les associations sont noyées. Ces 5 fourrières euthanasient 40 chats et chiens par jour au bout de 5 jours : c’est un record national désespérant ! Ce sont pour 4 sur 5 des entreprises privées qui font une partie de leur chiffre d’affaires sur ces actions. Elles ne diffusent pas les chiens aux associations (sauf 2 sur 5), ne les mettent du coup pas à l’adoption, ne font pas de diffusion pour les sauver alors qu’ils sont à 85% adoptables. Ils sont quasiment tous euthanasiés en silence, pour 85 à 90% ! Quel scandale ! Les fourrières en métropole mettent en place des actions de promotion des adoptions, et en font sortir 85% vivants – exactement le nombre inverse de la Réunion. Il y a un vrai problème à la Réunion sur le fonctionnement de ces fourrières, mis à part Cycléa et le TCO qui essayent d’en sauver.
De plus, les gens viennent abandonner en fourrière leurs animaux ! Il y a la moitié des chiens qui ne sont pas des chiens capturés (et donc pas des chiens errants), mais des chiens qui sont abandonnés sur site, ce qui est interdit par la loi française. Les fourrières vont même récupérer des chiens à domicile, ce qui est complètement interdit ! Elles doivent se consacrer exclusivement aux animaux errants et dans les rues. Elles vont même jusqu’à faire des tarifs pour faciliter les abandons : au lieu de payer 10 euros par chien abandonné, il y a une réduction de 5 euros à partir du 11ème chien abandonné en fourrière ! Incroyable… et on laisse faire !
Ce qui est effrayant, c’est que 90% de ces chiens sont euthanasiés, alors que 85% de ces chiens sont des chiens sociables et adoptables. Ils pourraient être adoptés, sauvés, mais non, ils sont euthanasiés en silence. C’est un vrai scandale, notamment car ce sont nos impôts qui financent ces actes. L’euthanasie n’est pas la solution efficace sur l’errance animale, car on ne touche pas à la dynamique de population, et donc le nombre de chiens ne diminue pas du tout. On gaspille de l’argent sur des actions inefficaces à long terme. C’est la pression de stérilisation qui doit être priorisée, et il faut prendre exemple sur les pays qui ont réduit et éliminé l’errance, en Europe par exemple.
Valérie Croisille : La situation est en effet effrayante, tragique… Pourriez-vous poursuivre sur les moyens à mettre en œuvre pour régler ce problème de l’errance animale ?
Cécile Squarzoni : Les moyens sont extrêmement simples : il faut multiplier par 5 les campagnes de stérilisation.
Au lieu de mettre un budget énorme et de prioriser l’euthanasie, l’euthanasie des chiens sociables et adoptables, on laisse reproduire des centaines et des milliers de chiens chez les personnes et dans les rues ! Capturer des chiens et s’attaquer à l’errance visible, qui ne représente que 5 à 20% de la population totale, entraînent des effets rebonds, et au final, une augmentation de la population, car la dynamique de population n’est pas du tout impactée. Il faudrait multiplier par 5 les campagnes de stérilisation, mettre en œuvreune réelle répression contre la divagation et les abandons, imposer l’identification par des contrôles systématiques. Il y a moins de 40% des chiens et des chats qui sont identifiés et stérilisés à la Réunion ! Donc les gens les laissent divaguer et les abandonnent facilement, et cela alimente indéfiniment l’errance et les euthanasies.
Tant qu’on ne priorisera pas la stérilisation animale et qu’on ne fera pas du « stériliser-relâcher » dans les rues (il y a trop de chiens pour être adoptés à la Réunion, et cette méthode réduit l’effet rebond des captures), tant qu’on ne fera pas du TNR (c’est-à-dire « capturer, stériliser, relâcher »), qui est la recommandation de l’IFAW (Fonds International pour la Protection des nimaux), de l’OMSA (Organisation Mondiale de la Santé Animale), et de toutes les grandes organisations internationales, les euthanasies des chiens sociables et adoptables vont continuer sans aucun effet sur la population. Il n’y a aucun pays au monde qui a réussi à réduire l’errance animale sans le TNR, c’est-à-dire la stérilisation des chiens errants et divagants. L’Allemagne, le Danemark, L’Italie ont appliqué le TNR avec succès. Si nos politiques ne le comprennent pas, dans 100 ans, on en sera toujours au même stade. Ils vont continuer à euthanasier des chiens qu’on aura laissé se reproduire, que la fourrière ira ramasser dans la rue ou chez les gens (service à domicile)… Ce sont nos impôts qui sont utilisés pour cela, et nos élus laissent faire, sans action d’éducation ou de répression auprès des citoyens.
Valérie Croisille : On comprend pleinement votre indignation face à cette situation, où bon nombre de chiens réunionnais sont pris finalement dans une alternative tragique : être récupérés et euthanasiés par la fourrière, ou tomber entre les mains de tortionnaires qui vont les soumettre aux pires barbaries… Merci infiniment pour ce témoignage très fort, Cécile Squarzoni.
Cécile Squarzoni : Merci beaucoup à vous de nous aider et de nous accompagner… Tant qu’il n’y aura pas d‘électrochoc et une prise de conscience pour un changement des actions, ce sera sans fin. On laisse naitre des animaux qu’on abat 6 mois ou un après, en fourrière. C’est insensé et horrible.
A propos de l’APEBA :
L’association Pour l’Education à la Bienveillance Animale (APEBA) est une association à but non lucratif et déclarée d’utilité publique. Depuis 2017, elle œuvre à la bienveillance et à la protection animale pour un mieux-vivre ensemble avec les animaux à La Réunion.
Propos recueillis le 04 novembre 2024 par Valérie Croisille, maître de conférences.
Photo de couverture : Chienne retenue prisonnière, attachée à une palette, dans un squat de Ste Clotilde.
Photos : ©APEBA
Valérie Croisille
Maître de conférences
Co-directrice des études, Département d'Etudes Anglophones (FLSH, Université de Limoges)
Membre de l'EHIC (Espaces Humains et Interactions Culturelles)
Membre de l'ORCA (Observatoire de Recherche sur la Condition Animale)