En France, le loup est un animal qui fait partie des écosystèmes du Paléarctique ouest, il y est donc naturellement présent jusqu’au XVIIIe siècle où il est déjà absent des vallées et régions les plus anthropisées.Sa régression est liée aux pratiques puis politiques systématiques d’élimination par les humains. Le milieu du XIXe siècle correspond à une accélération de la réduction du peuplement. Pour des raisons directes (destructions opportunistes et par politique de primes) et des raisons indirectes (disparition des proies sauvages, réduction du milieu propice à la reproduction) le loup disparaît officiellement de France peu avant le milieu du XXe siècle, avec ici ou là des réapparitions liées à des lâchers identifiés ou à des causes non élucidées qui n’ont pas permis la présence pérenne de l’espèce avant le début des années 1990. En revanche, des signes avant-coureurs semblent attester du retour naturel de l’espèce en provenance d’Italie où le loup s’est toujours maintenu après avoir failli disparaître au début des années 1970. En 1987, un loup est abattu à Fontan dans les Alpes-Maritimes et un autre à Aspres-les-corps (Hautes-Alpes) fin 1992 avant la reconnaissance officielle de la présence du canidé par les autorités. Ces loups étaient issus de la même population d’origine italienne qui va être la base de la recolonisation en France. La première attestation de retour du canidé sauvage date de novembre 1992 lors d’un comptage d’ongulés sauvages dans le Parc national du Mercantour.
Les pouvoirs publics ne communiquent officiellement sur ce retour qu’en avril 1993. Il s’agissait de s’assurer de la véracité de l’identification de l’espèce et de la mise en conformité du statut de protection de l’espèce avec le droit européen. Des scientifiques italiens alertaient les Français dès la fin des années 1980 au regard de la dynamique de colonisation du loup à partir des Abruzzes. Cette région a été le réservoir de départ de la recolonisation du sud des Alpes. Ainsi, les loups présents en France sont de souche dite « italo-alpine » même si maintenant, les individus présents dans le pays sont, pour la plupart, issus de spécimens nés en France. Des loups viennent toujours d’Italie cependant, et il n’est pas exclu qu’à termes, des spécimens viennent de souche d’Europe de l’Est identifiés en Allemagne et en Belgique. La provenance espagnole n’est pas non plus à exclure à termes, mais tous les individus identifiés dans les Pyrénées étaient de souche italo-alpine depuis la fin des années 1990, date des premières identifications dans les Pyrénées-Orientales. La colonisation lupine par le nord de l’Espagne semblerait bloquée par des pratiques de destruction nuisant à l’expansion de l’espèce et les Pyrénées françaises sont éloignées de plusieurs centaines de kilomètres de zone de peuplement espagnol.
D’après les dernières données de l’Office Français de la Biodiversité, la population de loup serait passée d’une estimation de 530 loup à 580 en 2019-2020 avec une croissance moindre de 9 % par an contre 22 % en 2018-2019. Si la baisse de la croissance ne peut être uniquement imputée à l’augmentation des tirs légaux et des éliminations illégales, cette corrélation peut légitimement poser question. En 2019, le plafond d’élimination, qui fonctionne en réalité comme un quota, est passé à 19 % de la population estimée soit une centaine de loups qui ont été tués en dérogation du statut d’espèce protégée par la directive européenne Habitats. La France s’autorise ces dérogations jugeant que l’état de conservation de l’espèce n’est pas en péril.
Géographiquement, la présence lupine s’étend avec des nouvelles zones où il y a des indices qui ne présagent pas forcément d’une installation pérenne. Ainsi, en 2019 et 2020, les régions Centre Val-de-Loire et Nouvelle-Aquitaine ont été marquées par des signalements de loups à plusieurs reprises. Il en est de même en Bourgogne et Normandie s’ajoutant aux régions plus anciennement fréquentées comme les Alpes, le Massif central, le Grand Est et les Pyrénées.
Les enjeux de conservation du loup en France sont indissociables de ses impacts écologiques, sociaux, économiques et politiques, car les uns sont toujours évalués à l’aune des autres. Le retour du loup a matérialisé des efforts de conservation de la grande faune qui n’avait cessé de régresser au XIXe et XXe siècle. Les plans de chasse imposés aux chasseurs et les politiques de protection de certains espaces (réserves, parcs) ont conduit à l’augmentation des principales populations d’ongulés dans les campagnes et forêts. Le loup a d’ailleurs fait son retour dans les Alpes, espaces aux nombreuses aires protégées où les populations de chamois puis d’ongulés recolonisant la montagne (cervidés et sangliers) lui ont permis d’assurer les proies nécessaires à son développement. Le mouflon méditerranéen, espèce introduite aux origines diverses, a localement été un bon appui pour la colonisation du loup. Malgré les craintes des chasseurs, les mouflons, dont les effectifs étaient déjà variables à cause d’hivers rigoureux, n’ont pas été éradiqués bien que payant un lourd tribut au loup. On a même constaté des comportements d’adaptation à la prédation comme chez les autres ongulés. Un programme prédateur proie loups/ongulés mené dans le Mercantour et les Bauges a montré que la prédation du loup sur les populations d’ongulés sauvages n’avait pas d’incidences majeures sur les dynamiques démographiques. Interrompus un peu rapidement, cette étude aurait dû être poursuivie par d’autres recherches qui sont difficiles à initier en raison des tensons politiques liées à la présence du canidé. Il serait par exemple intéressant de mener des études en France sur les conséquences du « paysage de la peur », à savoir l’évolution de la pression des ongulés sur la végétation avec la présence d’un grand prédateur qui modifie la taille des hardes, les temps de pâturage en raison d’une vigilance accrue.
L’impact principal du loup est donc économique et socio-politique puisqu’il concerne l’élevage. Le carnivore sauvage serait potentiellement responsable de la mort de 12500 brebis selon les derniers chiffres de l’ONCFS (2018 et 2019). On remarque cependant une forte concentration des attaques sur dans certaines régions, départements voire exploitations. Les chiffres généraux doivent être questionnés. En 2019, 88 % des exploitations avaient moins de 5 attaques et 73 % deux ou moins de deux attaques. En revanche, 4 % des exploitations subissaient de 10 à 20 attaques et 1 % plus de 20. Cette concentration se fait principalement dans les Alpes du Sud, les Alpes-Maritimes en tête. En plus de la densité de loup qui est loin d’être le seul facteur, la mise en place des moyens de protection, la volonté ou non de les favoriser, le turn-over des éleveurs sur les estives, la volonté de « paix social » faisant que des départements sont moins regardants que d’autres dans le traitement des dossiers contribuent à cette diversité. Alors que le gouvernement ne cesse d’augmenter le nombre de tirs d’élimination de loups – ils ont été doublés de 2018 à 2019 puis réévaluer courant 2019 pour passer à 100 individus à abattre – les dégâts sur les troupeaux ne cessent d’augmenter. Comme l’espèce est protégée selon la directive Habitats, pour passer auprès de la législation européenne, ce nombre d’animal abattu relève de « plafonds », soit des maxima possibles et non obligatoires. Dans les faits et pour plaire à la profession agricole, ce sont des quotas, soit des objectifs. Les pouvoirs publics ont décidé d’intensifier les tirs de loup en sollicitant chasseurs, louveterie et une nouvelle brigade loup dédiée à l’élimination de certains canidés. En théorie très encadrés, ces tirs ne respectent pas toujours le protocole, ce qui permet aux associations de les attaquer en justice. Le problème de ces tirs est qu’ils éliminent souvent de « mauvais » loups, c’est-à-dire des spécimens qui ne sont pas forcément incriminés dans les attaques parfois excessives sur des troupeaux ne bénéficiant pas systématiquement de mesures de protection.
Les acteurs agricoles et plusieurs députés montagnards désignent le loup comme un exutoire, la forte charge symbolique que revêt le carnivore dépasse la contrainte technico-économique objective. Les tensions sont telles que les anti-loups vont jusqu’à commettre des actes de vandalisme et des menaces de morts. La colère est légitime, mais d’autres motifs importants du malaise agricole, comme la disparition des exploitations, le vieillissement des agriculteurs, des aides agricoles favorisant les mieux lotis, en suscitent bien moins. Cette question de multi-usage des territoires révèle également le malaise grandissant de territoires perdant leurs emplois ruraux et leurs services publics.
La question du loup n’est pas uniquement une question biologique, c’est avant tout une question sociale et politique, avec des aspects agro-techniques fondamentaux. C’est en traitant le plus sereinement possible ces éléments que l’on pourra arriver à des solutions constructives pérennisant la présence du loup en cohabitation avec des activités humaines accompagnées.
Farid Benhammou
Géographe, chercheur associé au Laboratoire Ruralités, enseignant en classes préparatoires, Poitiers.Co-fondateur du collectif GATO (Géographie, Animaux non humains et TerritOires).