Les études sur les animaux d’élevage ont souvent pour premier but d’augmenter la rentabilité de ces derniers, plutôt que de les étudier pour leurs propres intérêts. Par exemple, le bien-être des vaches est surtout étudié dans un objectif sous-jacent d’augmenter la production de lait. Étant donné le nombre de vaches élevées chaque année dans le monde, la nécessité de comprendre qui elles sont et comment elles perçoivent et comprennent le monde est une problématique importante pour la question de leur bien-être et de leurs droits. La pensée commune sur les vaches est qu’elles sont lentes, dotées d’un regard vide, sans personnalité et avec comme seul but sur terre que de produire du lait et de la viande pour les humains. Cependant, les récentes recherches en éthologie renversent ces stéréotypes et nous montrent qu’elles sont bien plus complexes et sensibles que de simples brouteuses d’herbe ou des machines à produire du lait.
Les vaches possèdent un large champ visuel. Elles voient mieux de près que de loin. Elles distinguent bien le rouge, l’orange et le jaune, comparativement au bleu, au gris et au vert. Les vaches sont plus attentives aux objets en mouvement qu’aux objets fixes et sont souvent effrayées par des mouvements soudains. Leurs capacités auditives sont plus développées que celles des humains. Elles possèdent un bon sens gustatif : elles distinguent le sucré, le salé, l’amer et l’acide et ont une préférence marquée pour les aliments sucrés et salés. L’odorat des vaches est extrêmement fin. L’olfaction joue un rôle majeur dans leur vie sociale et reproductive. Il a par exemple été montré qu’elles peuvent sentir si un congénère est stressé rien qu’à partir de son urine. Elles sont également très sensibles au toucher et à la douleur, tandis qu’un contact tactile agréable comme le grattage derrière les oreilles peut les apaiser.
Les vaches sont capables de réaliser des apprentissages. Elles peuvent par exemple apprendre et mémoriser la localisation d’une source de nourriture, ou encore associer un son avec la survenue consécutive d’un choc électrique à la limite d’une clôture virtuelle. Elles possèdent une bonne mémoire à long terme et conservent le souvenir d’une association entre un indice visuel et une récompense alimentaire pendant au moins un an. Leur bonne mémoire spatiale et leur capacité à associer des lieux à la quantité et à la qualité de la nourriture qui s’y trouve leur permet de paître avec une efficacité optimale.
Les bovins forment des catégories sociales et distinguent les individus ” familiers ” des “non familiers”. Elles reconnaissent leurs congénères et sont capables de discriminer les individus apparentés et non apparentés en utilisant les caractéristiques morphologiques de chaque individu. Elles peuvent aussi différencier leur propre espèce des autres espèces. Elles savent différencier les humains à l’aide de leur visage, de leur corps ou de la couleur de leurs vêtements. Des études ont notamment montré que les veaux se souviennent des humains qui ont interagi de manière positive (nourriture) ou négative (manipulation brutale) avec eux et présentent des réactions positives (s’approcher) ou de peur en fonction de ce souvenir.
Les vaches s’organisent en structure sociale matrilinéaire. Les groupes de vaches comportent des leaders qui vont influencer les activités du groupe, en initiant par exemple certaines activités ou déplacements. Elles forment des liens sociaux durables et ont des partenaires préférentiels avec qui elles restent à proximité dans leurs activités quotidiennes. Elles pratiquent aussi le toilettage mutuel pour renforcer leurs liens. Les individus subordonnés évitent souvent les individus plus dominants. Les vaches entretiennent de forts liens affectifs avec leurs veaux et adaptent leurs comportements maternels à leurs besoins. Par exemple, les veaux avec un poids plus faible bénéficient d’une protection maternelle accrue et d’un temps d’allaitement plus long. Les veaux et leur mère peuvent se reconnaître au sein d’un grand troupeau. Dès leur plus jeune âge les veaux sont capables de différencier l’appel de leur mère de celui des autres vaches et réciproquement. Les vaches apprennent les unes des autres, elles apprennent par exemple où brouter à leurs petits. Nous savons également que les vaches ont des personnalités (sociable, anxieuse, curieuse, audacieuse, etc.) et des préférences alimentaires personnelles.
La littérature sur les émotions chez les animaux d’élevage est abondante et confirme qu’ils éprouvent un large éventail d’émotions (peur, colère, déception, ennui, dégoût, plaisir). On sait aujourd’hui que plus le blanc des yeux des vaches est visible, plus l’animal a peur ou est frustré. De même, la posture des oreilles est un indicateur de l’état émotionnel chez les vaches : une vache détendue aura les oreilles en arrière et pendantes, a contrario une vache en état d’alerte aura les oreilles droites et en avant. Il a été observé des signes d’émotions positives et d’excitation accrue chez les vaches lors de la réussite d’une tâche, ce qui suggère qu’elles éprouvent un sentiment de satisfaction et d’auto-efficacité. En tant que mammifères hautement sociaux, les vaches réagissent fortement à l’isolement social, la présence d’un congénère peut les calmer ou à l’inverse, s’il est stressé, engendrer un stress chez les autres membres du groupe (contagion émotionnelle).
En élevage, les vaches peuvent subir des expériences angoissantes et non naturelles de la naissance à l’abattage. Bien que de plus en plus de scientifiques s’intéressent au monde mental des animaux d’élevage, nous possédons encore très peu de connaissances sur la manière dont ils perçoivent et comprennent leur environnement. En parallèle, la nécessité toujours croissante de rentabilité induit un milieu de vie souvent non adapté à leurs besoins. Les conditions de vie en élevage offrent majoritairement un environnement pauvre et peu stimulant, avec des possibilités limitées de manifester leurs comportements naturels. Cela engendre de l’ennui, de la frustration et favorise l’apparition de comportements anormaux liés au stress. Nous savons aussi que l’éducation de la mère et les premières expériences de vie dès le jeune âge ont une influence importante sur le bien-être et la cognition (l’intelligence) des animaux. Or, il est souvent d’usage de séparer le veau de la mère immédiatement, ou peu après la naissance dans les élevages laitiers. Les veaux sont dans de nombreux cas élevés dans des enclos individuels pendant la période d’allaitement. De nombreux travaux ont démontré que les vaches laitières et leurs veaux éprouvent de la détresse lors de ce sevrage précoce. L’isolement social et la séparation précoce induisent des émotions négatives (stress), un biais de jugement pessimiste (voire le verre à moitié vide), une plus grande sensibilité au stress et diminuent la socialité, les comportements de jeu, la curiosité, la consommation d’aliments et entraînent des déficits cognitifs (apprentissage, flexibilité comportementale, etc.) chez le veau. Les bovins à cornes sont aussi soumis à la pratique de l’écornage (coupe des cornes), une procédure stressante et douloureuse. Le voyage jusqu’à l’abattoir et l’abattage sont aussi source de stress.
Les connaissances sur les capacités cognitives et le monde sensoriel des animaux non-humains nous aident à mieux comprendre leurs comportements et à éviter de les exposer à des situations stressantes. Ainsi, l’éthologie, la science qui étudie le comportement et la cognition des animaux, met en évidence les inadéquations entre les pratiques d’élevage actuelles et l’intelligence de ces individus sensibles.
Les données actuelles ne font qu’effleurer l’intelligence des animaux d’élevage, mais elles nous montrent déjà que ces individus possèdent des capacités sensorielles, cognitives, émotionnelles et sociales beaucoup plus sophistiquées que nous le pensions.
Une meilleure connaissance du monde mental des animaux nous dévoile que nous ne sommes pas si éloignés des autres espèces animales, eux aussi peuvent apprendre, raisonner ou encore souffrir. L’attribution de capacités cognitives chez les animaux d’élevage n’est pas seulement pertinente pour améliorer leur bien-être, elle influence aussi les choix des consommateurs. Il a aussi été montré que la tendance à attribuer des capacités cognitives de haut niveau aux animaux d’élevage induit un refus et un dégoût à l’idée de les manger. À la lumière de ces connaissances scientifiques, il est important de prendre les mesures nécessaires pour éviter aux animaux des souffrances qui pourraient être évitées (vegan-pratique.fr/veggie-challenge ).
Sources:
Leterrier, C., Aubin-Houzelstein, G., Boissy, A., Deiss, V., Fillon, V., Lévy, F., Merlot, E., & Petit, O. (2022). Améliorer le bien-être des animaux d’élevage : Est-ce toujours possible ? – SESAME. revue-sesame-inrae.fr/ameliorer-le-bien-etre-des-animaux-delevage-est-ce-toujours-possible
Marino, L., & Allen, K. (2017). The Psychology of Cows. Animal Behavior and Cognition, 4, 474‑498. doi.org/10.26451/abc.04.04.06.2017
Nawroth, C., Langbein, J., Coulon, M., Gabor, V., Oesterwind, S., Benz-Schwarzburg, J., & von Borell, E. (2019). Farm Animal Cognition—Linking Behavior, Welfare and Ethics. Frontiers in Veterinary Science, 6, 24. doi.org/10.3389/fvets.2019.00024
Nawroth, C., & Rørvang, M. (2021). Advances in understanding cognition and learning in cattle. doi.org/10.19103/AS.2020.0084.02
Nawroth, C., & Rørvang, M. V. (2022). Opportunities (and challenges) in dairy cattle cognition research : A key area needed to design future high welfare housing systems. Applied Animal Behaviour Science, 255, 105727. doi.org/10.1016/j.applanim.2022.105727
Chaire bien-être animal, (2022). Fiche Espèce – Tout savoir sur la vache laitière ! chaire-bea.vetagro-sup.fr/fiche-espece-tout-savoir-sur-la-vache-laitiere
Delphine Debieu
Vulgarisatrice et animatrice scientifique
2 commentaires
Fabienne CHAMBON
6 décembre 2023 à 21h55
Super article, merci!
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