Comme toute personne responsable (sauf sous le coup d’une interdiction par la loi), les adultes protégés ont le droit de connaître le bonheur d’avoir des animaux de compagnie, des compagnons de vie, et les bénéfices de leur présence ne sont plus à démontrer. Dans l’exercice vétérinaire, les praticiens ont l’occasion de soigner les animaux d’adultes protégés, et ces rencontres amènent à quelques réflexions.
Qui sont les adultes protégés ? Et quelles protections ?
Les adultes protégés sont définis comme des personnes vulnérables : « définie comme une altération des facultés mentales ou, dans le cas seulement où elle empêche le sujet d’exprimer sa volonté, comme une altération des facultés corporelles, la vulnérabilité doit être la cause de l’impossibilité de la personne de prendre en charge ses intérêts personnels et patrimoniaux » écrit Gilles Raoul-Cormeil[1]. Diverses mesures vont alors être mises en place selon le degré d’autonomie de la personne, autonomie que le juge des tutelles tente de préserver au maximum : sauvegarde de justice en mesure provisoire, curatelle, tutelle, habilitation familiale[2]. Les deux principaux régimes rencontrés où le protecteur sera une personne ou un organisme extérieurs sont donc la curatelle et la tutelle, et le décret[3] prévu par l’article 496 du Code civil définira la teneur de ces régimes.
Ce décret définit principalement deux grandes catégories d’actes selon l’impact qu’ils peuvent avoir sur le patrimoine de la personne protégée : les actes d’administration qui relèvent d’une gestion dénuée de risque anormal, et les actes de disposition qui peuvent engager le patrimoine de la personne protégée car plus risqués.
Dans le cadre d’une tutelle, le tuteur a en charge exclusive les actes d’administration et conservatoires (ces derniers ne sont pas définis en tant que tels, pouvant relever des deux précédents, mais relevant à un instant donné d’une situation d’urgence) et doit s’assurer de l’autorisation du juge des tutelles pour les actes de disposition[4]. La personne protégée n’intervient donc pas, sauf si elle est en capacité physique et mentale de donner son avis. Dans le cadre de la curatelle, le curateur prend en charge les actes de disposition et la personne protégée peut faire seule les actes d’administration[5]. En cas de curatelle renforcée, le règlement des dépenses à des tiers est fait également par le curateur qui perçoit sur un compte dédié les revenus de l’adulte protégé[6].
Et les animaux de compagnie dans tout cela ?
Tout adulte protégé a bien évidemment le droit d’avoir un animal de compagnie, qu’il soit son compagnon avant sa mise sous protection ou pas. L’annexe 1 du décret précité présente la liste des actes regardés comme actes d’administration ou de disposition. A ce titre, « tout acte relatif à l’animal domestique de l’adulte protégé » est un acte d’administration. Pour un adulte sous tutelle, le tuteur assure donc la charge des animaux. Par contre, sous curatelle, la personne protégée garde son autonomie et assume toute décision concernant son animal de compagnie. Néanmoins, les frais seront réglés par le curateur en cas de curatelle renforcée. D’une manière générale, les frais d’entretien et de santé de l’animal doivent être intégrés au budget de l’adulte protégé[7].
La loi protège le lien entre l’adulte protégé et son animal, le considérant à juste titre comme un « bien affectif »[8] (puisqu’il reste « soumis au régime des biens sous réserve des lois qui le protègent »[9]).
Par contre certaines situations peuvent amener le protecteur à séparer maître et animal, lorsque celui-ci présente un danger pour son maître, danger physique ou financier[10] : le risque financier se rencontre si l’animal peut avoir une valeur « vénale » et que son achat ou son entretien nuisent à la gestion du patrimoine de l’adulte protégé. Dans ce cas l’animal entre dans la catégorie des actes de disposition et donc sous la responsabilité du protecteur, même pour un adulte sous curatelle. Quant au risque physique, il s’agit d’un éventuel risque de dangerosité notamment lorsque l’adulte protégé veut adopter un chien dit de catégorie[11]: dans le cas d’une tutelle, le juge des tutelles devra statuer, mais dans le cas de la curatelle par contre, aucune interdiction n’est formulée, le curateur a uniquement le devoir d’informer le majeur protégé de ses obligations (par exemple tenir le chien en laisse et muselé dans les lieux publics)[12]. Le danger physique peut être également une atteinte à « la tranquillité de la personne protégée, la sécurité des personnes physiques ou la décence du logement »[13], par exemple en cas de problème d’hygiène suite à la présence d’un trop grand nombre d’animaux. Mais en aucune manière une décision de cession ou de replacement ne pourra être prise par le curateur seul.
Un dernier point à soulever concerne l’énoncé du texte du décret qui fait mention de l’« animal domestique » de la personne protégée : le législateur a en effet mis en place une liste positive des animaux dits domestiques[14], pouvant aller du chien, chat au lapin ou au zébu, et qui ne correspond pas à la définition de l’animal de compagnie. De ce fait, comment considérer certains animaux de compagnie non domestiques et pourtant très courants comme un hamster russe ou un octodon, par exemple ? L’imprécision de ce texte laisse la porte ouverte à des interprétations pouvant s’avérer fâcheuses…
Et en pratique ?
Si la compagnie des animaux représente pour chacun d’entre nous une source de bienfaits qu’il est impossible de chiffrer, il a été néanmoins prouvé que leur présence aux côtés de personnes souffrant par exemple de handicap ou de troubles autistiques permet de réduire le recours aux médicaments ou divers accompagnements, ce qui diminue les coûts pour la Sécurité Sociale[15]. Mais cette source de bienfaits, s’il est primordial de la préserver pour les adultes protégés, ne doit pas se faire au détriment du bien-être de l’animal qui ne peut se résumer à un outil de notre bien-être.
Dans la pratique vétérinaire ainsi que dans le travail au sein d’associations de protection animale, notamment Défense Animale Belfort[16], spécialisée dans l’aide aux animaux maltraités via actions en justice, diverses situations ont pu interpeller. Les bienfaits que les animaux de compagnie nous apportent ne doivent pas occulter les conditions indignes dans lesquelles certains vont vivre. La plupart des animaux pris par des adultes sous curatelle renforcée (le cas le plus fréquent que nous rencontrons en pratique puisque le curateur règle l’acte, la curatelle simple n’ayant pas à nous être précisée) sont chiens, chats mais aussi beaucoup de petits animaux tels que rongeurs ou oiseaux, car leur coût est restreint à l’achat. Mais si leur coût d’achat est ridicule, celui de leur habitat si on désire respecter leur bien-être est bien plus important ! Il en est de même pour leurs soins. La société actuelle manque encore grandement de connaissances en sciences du comportement de ces animaux qu’on regroupe sous l’acronyme de NAC[17]. Leur vente facile en animalerie, sans les conseils adéquats, aggrave ce problème[18], et le danger est que la personne protégée ne dispose pas des ressources nécessaires, financières ou intellectuelles, pour approfondir un sujet bien plus vaste et difficile qu’il n’y paraît. Cela peut impacter de façon négative toute la vie de cet animal, son bien-être, voire motiver un abandon dans des conditions qui pourront être obscures. De façon plus pragmatique et pour les animaux mieux connus que sont chiens et chats, des soins réguliers et essentiels peuvent s’avérer compliqués pour certaines personnes : un exemple en est le chat présentant une allergie à la salive de puces, qu’il faut effectivement traiter, mais dont il faut traiter aussi l’environnement, ce qui n’est ni une chose si évidente à faire ni sans danger. Ces situations rencontrées en pratique mettent donc en évidence le premier écueil qui est la mise en balance du bien-être des personnes désirant un animal de compagnie et le bien-être de ces derniers.
Le second écueil, toujours en pratique vétérinaire, est le manque de communication entre les intervenants que sont la curatelle et le vétérinaire : lorsque l’adulte protégé voit ses finances gérées par le curateur, il est d’usage que le vétérinaire contacte la curatelle, surtout si les soins éventuels s’avèrent relativement onéreux (pouvant faire passer certains actes d’administration au statut d’acte de disposition), afin d’obtenir un accord ou de mettre en place un échéancier de règlement, pour ne pas porter préjudice aux finances de l’adulte protégé. Mais que faire en cas d’urgence la nuit, le weekend, les jours fériés ? Ou plus simplement lorsque le service est fermé aux contacts téléphoniques, certains offrant une « fenêtre » d’ouverture assez réduite ? Le praticien n’a pas à connaître les moyens financiers de la personne sous curatelle, mais il doit y adapter parfois les soins des animaux, et cela sans pouvoir attendre une demi-journée pour joindre le curateur. Il est arrivé de s’entendre reprocher par le protecteur d’avoir soigné un animal en urgence réelle sans avoir au préalable contacté le service de curatelle, fermé…
Dans d’autres cas, il serait également intéressant que le praticien puisse, sans pour autant lever le secret professionnel, parler au curateur de certains problèmes qui pourraient dégénérer, par exemple une tendance à la surpopulation animale, des conditions sanitaires qui semblent un peu « légères », ou un besoin ponctuel d’aide pour des soins (dans l’exemple précédent, une aide pour déparasiter le logement ). Pourquoi attendre que le problème devienne ingérable ou soit dénoncé en manque de soins ou maltraitance ? Dans certains cas, une aide ponctuelle par un service d’aide à domicile permettrait de régler le problème à moindre frais et sans altérer ce lien important entre l’animal et son maître.
Enfin, il faut également parler de certaines situations rencontrées par les associations de protection animale, quelquefois contactées par des adultes protégés désespérés car se sentant, à tort ou à raison, contraints de se séparer de leur animal par leur protecteur. Rappelons que dans le cadre de la curatelle, l’adulte protégé garde le contrôle de tout ce qui concerne son animal domestique, néanmoins certaines pressions peuvent être difficiles à supporter pour cet adulte vulnérable. Dans la plupart des cas, le protecteur cherche à juste raison à éviter une atteinte au bien-être de l’animal. Mais certains cas rapportés sont plus inquiétants : Mme X, trouvant son chat mort ensanglanté et soupçonnant un acte malveillant, s’est vu refuser une autopsie par sa protectrice qui lui a conseillé également d’enterrer son chat dans la forêt, en toute illégalité[19]. Ou le cas de cette petite chatte errante depuis plus d’un an, enfin captée par l’association Les Chats du cœur brestois, et qui s’avère appartenir à une personne sous curatelle décédée depuis plus d’un an[20]. En l’absence d’héritier et de famille, comment gérer au mieux ce cas de figure pour protéger l’animal ? Ces cas représentent certainement une exception, et chacun reconnaît le difficile travail des protecteurs. Néanmoins, s’agissant d’adultes vulnérables et d’animaux « êtres vivants doués de sensibilité [21]», il apparaît que certaines améliorations doivent être apportées…
Que faire ? Quelques pistes ?
Il semble tout d’abord primordial que les protecteurs d’adultes protégés possédant des animaux de compagnie soient préparés à la particularité de leur tâche : qu’il s’agisse déjà de personnes ayant un abord positif de cette relation homme/animal de façon à pouvoir disposer de l’empathie et la compréhension nécessaires tant vis-à-vis de l’homme que de l’animal. De plus, une formation au bien-être animal, tel que cela se pratique de plus en plus dans le milieu judiciaire, leur permettrait de mieux appréhender d’éventuels problèmes de manque de soins ou de maltraitance, d’y trouver une solution parfois ponctuelle (aide à domicile, aide aux soins vétérinaires…), de mieux évaluer globalement la relation de ces deux êtres : est-elle bénéfique pour leurs bien-êtres respectifs ?[22]
Cela supposerait également des visites régulières (sans être invasives!) au domicile de l’adulte protégé, dans le respect bien sûr de sa vie privée mais de façon à s’assurer de la salubrité du logement, tant pour sa sécurité sanitaire que pour celle des animaux détenus. Cet aspect est particulièrement important pour les NAC (par exemple lapin, hamster) qui ne sortent pas de leur domicile, au contraire des chiens et parfois des chats, et pour lesquels de ce fait aucun signalement ne peut venir de l’extérieur en cas de problème.
Un partenariat pourrait être mis en place avec le vétérinaire traitant afin que les informations importantes sur les soins des animaux et leur bien-être puissent circuler, dans le respect bien sûr du secret professionnel[23] et donc avec l’accord de l’adulte protégé. Car il est regrettable que le praticien n’ait comme seul moyen d’action que de signaler une maltraitance, alors qu’en agissant de manière préventive, les manques de soins, qui plus est non-intentionnels mais liés à une altération des facultés de l’adulte protégé, pourraient être évités. Il serait également utile que les praticiens puissent disposer d’un contact dédié d’urgence avec le service de curatelle, afin de gérer au mieux les intérêts de l’animal et de son maître notamment en cas d’urgence.
Enfin, l’animal doit voir son avenir assuré notamment en cas de décès de l’adulte protégé, il doit donc apparaître dans « l’inventaire des biens » pour que son existence soit connue, et il serait positif de prévoir par exemple un mandat de protection future où un gardien serait nommé en cas de décès ou d’inaptitude de son maître, ce qui serait une anticipation souhaitable[24].
En définitive, notre société ne peut continuer à gérer les animaux de compagnie comme des biens, même au sens de la loi. Et cette constatation trouve son écho tout particulièrement parmi certains des plus fragiles, les adultes protégés et leurs animaux.
[1] « L’animal domestique du majeur protégé » G.Raoul-Cormeil, in FX Roux Demarre (dir), Animal et Santé, éd. Mare et Martin 2021.
[2] village-justice.com/articles/gestion-des-biens-des-majeurs-proteges-decret-pour-voir-clair
[3] Décret n° 2008-1484 du 22 décembre 2008 relatif aux actes de gestion du patrimoine des personnes placées en curatelle ou en tutelle, et pris en application des articles 452, 496 et 502 du code civil.
[4] Articles 504 et 505 du Code civil.
[5][v] Article 467 du Code civil.
[6] Article 472 du Code civil.
[7] Article 503 du Code civil.
[8] Article 426 du Code civil.
[9] Article 515-14 du Code civil.
[10] Article 459 du Code civil.
[11] Article L211-13 du Code rural et de la pêche maritime.
[12] Article 457-1 du Code civil.
[13] Ibid note 1
[14] Arrêté du 11 août 2006 fixant la liste des espèces, races ou variétés d’animaux domestiques.
[15] M. Falaise, « Quelle protection pour l’animal auxiliaire de travail ? », in FX. Roux-Demarre (dir), Animal & Santé, Colloque Droit & Science politique, Brest, 23 et 24 septembre 2021, Éditions Mare & Martin, 2021.
[16] defenseanimalebelfort.org
[17] Nouveaux Animaux de Compagnie.
[18] savoir-animal.fr/les-nouveaux-animaux-de-compagnie-nac-dans-nos-foyers-une-maltraitance-passee-sous-silence
[19] Source : Défense Animale Belfort.
[20] Source : Les Chats du cœur brestois. chats-du-coeur-brestois.jimdo.com
[21] Article 515-14 du Code civil.
[22] Par exemple : france3-regions.francetvinfo.fr/occitanie/herault/montpellier/montpellier-des-policiers-formes-par-la-spa-pour-apprehender-la-maltraitance-animale
[23] veterinaire.fr/la-profession-veterinaire/la-reglementation-professionnelle/le-code-de-deontologie-commente/sous-section-2-dispositions-applicables-tous-les-veterinaires/paragraphe-1er-devoirs-generaux-du-veterinaire/article-r242-33/r242-33-alinea-v
legifrance.gouv.fr/codes/section_lc/LEGITEXT000006070719/LEGISCTA000006181756/
[24] Ibid note 1.
Brigitte Leblanc
Vétérinaire
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Roberta Giovannini
16 août 2022 à 11h15
Gli animali vanno solo amati e curati e nutriti e non usati per qualsiasi altra cosa. Non sono oggetti sono anime