Dans les savanes boisées d’Afrique de l’Est, une famille d’oiseau, les indicatoridés (indicatorae), coopèrent depuis des millénaires avec les hommes pour récolter du miel. Le partenariat s’est construit au fil des évolutions concomitantes au point d’être aujourd’hui une composante culturelle des peuples. Cette relation illustre la finesse des interactions qui lient les hommes aux non-humains avec lesquels ils partagent un habitat.
Les synergies entre la richesse des écosystèmes et la capacité des essaims à produire du miel a ancré l’apiculture dans le champ de la Conservation de la biodiversité. Cette activité est encouragéé à proximité des aires protégées pour (r)établir un lien entre les communautés et leur environnement, notamment en liant les intérêts financiers des participants à l’intégrité de l’habitat. Des techniques apicoles ‘modernes’, productivistes, sont mises en place au détriment des cultures du miel locales, modifiant l’appréhension locale du Vivant.
Quelles sont les implications de la généralisation d’un certain type d’apiculture sur la relation qui lie hommes et indicateurs depuis des millénaires ? Qu’est ce qui est en jeu dans l’imposition de pratiques apicoles ‘modernes’ ? Les mesures de protection doivent-elles prendre en compte des aspects culturels locaux même ils semblent contradictoires avec le respect de la biodiversité ?
Une relation mutualiste
Un sifflement retentit avec insistance dans la savane boisée. Sous la canopée, un oiseau effectue des vols circulaires, dévoilant les tâches jaunes qui parsèment son ramage. Il s’agit d’un grand indicateur (Indicator Indicator) qui essaye de capter l’attention d’un individu méllivore afin de le guider jusqu’à la cachette d’un essaim sauvage qu’il a préalablement repéré. Il est à la recherche de partenaires ayant le poil suffisamment dur pour résister aux piqures, comme le blaireau à miel, ou étant suffisamment adroits, comme l’homme avec son pouce opposable, pour accomplir la délicate extraction.
Une fois l’attention du collaborateur retenue, l’indicateur sifflera de branche en branche afin de guider son acolyte de circonstance en direction d’un tronc, d’une souche ou d’un terrier où est établie une colonie d’abeille. Le rôle de l’indicateur s’arrête ici et c’est au tour du complice de remplir sa part du contrat en récoltant le miel. L’oiseau attend que le service rendu lui soit payé, il guette les alvéoles de cire et le couvain délaissé par le chasseur.
Cette relation inter espèce qui bénéficie aux parties impliquées de façon réciproque est qualifiée de « mutualiste ». L’indicateur oriente la chasse tandis que le partenaire rend accessible les produits de la ruche. Dans la culture Lomwé, un peuple du Nord du Mozambique, on raconte que si le chasseur de miel ne récompense pas l’indicateur au moment de la récolte, l’oiseau guidera son prochain complice en direction d’un lion.
Les origines de la relation
Les rapports entre hominidés et indicatoridés ont évolué en fonction des modifications de l’habitat. Au cours du Pliocène, le rafraichissement et l’assèchement du climat ont favorisé le développement de savanes boisées qui offrent un habitat favorable à l’alimentation des abeilles A.melifera qui se sont alors multipliées. Cette abondance se serait traduite par une modification du régime alimentaire des hominidés, qui serait devenu plus riche en miel.
C’est dans ce contexte qu’aurait commencé la relation hominidés / indicatoridés. L’oiseau dont l’âge est estimé à 3 millions d’années, se nourrissait alors des chutes d’alvéoles lors du transport du miel. Ce type de relation est qualifié de « commensaliste », les bénéfices ne sont pas équitables, seul l’oiseau profitait de l’action de l’homme.
Avec l’usage d’outils de récolte et la domestication du feu il y à 1 million d’années, la part de nourriture laissée aux indicateurs aurait décrue. Le comportement de ‘guide’ se serait alors développé, instaurant le rapport mutualiste décrit plus tôt.
Un échange homme/oiseau
Les indicateurs pratiquent le parasitisme de couvée interspécifique, c’est-à-dire qu’ils placent leurs œufs dans le nid d’autres qui prennent en charge l’éducation des petits. Les oisillons naissent avec un bec doté de dents acérées qui leurs permet de tuer le reste de la couvée et de dissimuler leur différence. La capacité à tisser des interactions avec les hommes n’est alors pas transmise, elle serait innée et s’adapterait au cadre du lieu où il grandit.
Un niveau plus complexe d’échange a été observé au sein du peuple Yao, à l’est du Lac Malawi (Spottiswoode et al., 2016). Les chasseurs de miel appellent les oiseaux en émettant un cri guttural, “brr-hm”. Cette invitation sonore à la récolte double les chances de rencontrer un indicateur et augmente les probabilités de récolter du miel de 17% à 54%. Chez les Hazda du nord de la Tanzanie, les indicateurs sont appelés par des sifflements, en Zambie c’est le bruit de la machette qui coupe le bois qui attire l’attention des oiseaux.
D’après Spotisswoode le type de signal sonore importe peu, c’est son signifiant qui compte : le bruit implique la présence de l’homme, insatiable chasseur de miel, donc de nourriture.
L’étude menée chez les Hazda (Wood, 2014) documente une nouvelle ramification des rapports entre hommes et indicatoridés. Les alvéoles et le couvain sont enterrés afin de pousser l’oiseau à continuer son rôle de guide, la privation temporaire garantit la poursuite de la collaboration. La relation peut alors être définie comme un « mutualisme manipulateur », les bénéfices sont conditionnés par les attentes de l’une des parties. L’homme complexifie les paramètres de l’échange sans recourir à la domestication.
Les variations entre les relations qui lient les Lomwé, les Yao ou les Hazda avec le grand indicateur, sont le produit d’histoire distinctes modelées par des besoins différents. La diversité des relations mutualistes illustre que le rapport inter espèce est le produit de constructions culturelles.
Basile Guillot
Préservationniste engagé pour le respect des cultures indigènes @ Parc National de Gilé
Il y a un commentaire
Hausser
5 mai 2022 à 13h36
Merci Basile pour cette intéressante contribution relative à ce qu’on appelle souvent “la chasse au miel”, à la différence de l’apiculture, qu’elle soit traditionnelle ou moderne. Cette relation particulière avec le grand indicateur concerne effectivement la plupart des ethnies des milieux de savanes, puisqu’elle se retrouve également dans les savanes de l’est du Burkina, ou encore dans celles du nord Cameroun et Centrafrique. J’apporterais toutefois un bémol à ton exposé, c’est le fait qu’aujourd’hui, on a une pression anthropique beaucoup plus importante sur les ressources en miel qu’auparavant, et qu’il y a très peu d’exemples dans lesquels les peuples indigènes se voient reconnus des droits de gestion sur leurs territoires de vie et ont donc peine à faire respecter leurs usages et leurs pratiques de gestion par des acteurs extérieurs (parmi les exceptions on peut mentionner le cas des Hadzabe dans la Yaeda valley en Tanzanie). Depuis deux ans nous voyons apparaitre dans l’ouest de la Tanzanie avec inquiétude l’utilisation de tronçonneuses pour abattre les arbres dans lesquels des colonies d’abeilles sauvages sont repérées. Si ces tendances et ces pratiques se confirment, la chasse au miel, à quelques exceptions près (certaines zones du bassin de Congo, d’Ethiopie, de RCA, de Tanzanie, de Zambie, du Kalahari), pourrait bientôt être assimilée à d’autres formes de chasse traditionnelles qui ont disparu en raison de la raréfaction des ressources, comme la chasse à l’éléphant à la sagaie pratiquée à cheval jusque dans les années 1970 aux confins de la Centrafrique, du Tchad et du Soudan, documentée par le très beau livre “la chasse oubliée” de J. L. Temporal.