Militer sur le terrain ou organiser des campagnes de fond – ce que j’ai fait pendant plus de vingt ans – c’est possible lorsqu’on a du temps. Battre le pavé les samedis après-midi, passer des heures au téléphone avec des militants, des journalistes, visiter des élevages ou des ménageries de cirque, rédiger des rapports… c’est difficilement compatible avec une vie de famille et avec un travail…
Aussi, il m’a fallu un temps pour « décrocher ». A un moment, on culpabilise de ne pas pouvoir faire plus et on se sent presque responsable de faire moins. Mais lorsqu’on fait le choix d’avoir des enfants, il faut aussi assumer son rôle de parent. Militer au détriment de ses propres enfants n’aurait pas de sens. Ce moment de vie est donc consacré à mes jeunes enfants et je ne veux pas les embarquer dans des luttes antispécistes qui ne sont pas de leur âge. Le temps pour eux est à la découverte et à l’émerveillement. Il ne s’agit pas pour autant de les enfermer dans une illusion, ils sont végétariens et savent pourquoi , mais de les préserver de toute cette réalité cruelle et assez désespérante.
Les poèmes illustrés : « A la lisière de l’homme »
La transition s’est donc fait naturellement. La plume que j’utilisais pour écrire des articles ou des rapports s’est mise au service d’une autre forme de sensibilisation : la littérature.
Le premier projet est arrivé soudainement en voyant un moustique sur la table de ma terrasse. On s’est regardé, enfin je l’ai regardé. Et tout a commencé, un poème est né en quelques minutes : « le moustique et l’enfant » ou comment deux êtres que tout oppose ont un intérêt commun à ne pas se confronter.
Un moustique se posait
Patiemment, patiemment
Un moustique se posait
patiemment il attendait.
Un enfant le regardait
curieusement, curieusement
un enfant le regardait
curieusement, il observait.
Le moustique se demandait
étrangement, étrangement
le moustique se demandait
étrangement, et s’il me tapait ?
L’enfant s’inquiétait
soudainement, soudainement,
l’enfant s’inquiétait
soudainement, et s’il me piquait ?
Le moustique s’envolait
l’enfant s’en allait
S’envolant, s’en allant
sans une goutte de sang.
La suite s’est construite naturellement en abordant les différents milieux dans lesquels les animaux sont exploités. Le choix a été de traiter ces sujets en se plaçant du côté de l’animal ou d’un témoin neutre, en excluant toute accusation ou forme de procès. La réalité – et parfois la froideur des faits – se suffit à elle même.
« Pour qui ce lait que tu emportes
Pourquoi maman, tu fermes la porte ?
Où t’échappes-tu, dans ce camion
Vers quel ailleurs, quel horizon ?»
Les poèmes sont construits en respectant les règles de la versification classique, c’est-à-dire avec des rimes et une rythmique, et même pour certains avec une forme codifiée telle que le sonnet (2 quatrains – 2 tercets et des alexandrins)
« Vent se lève et emporte les hymnes de ses frères
Appels désespérés se brisent sur la pierre.
Du bassin de cette orque, en d’absurdes cristaux. »
Chaque poème est conçu dans son écriture pour servir le propos. Ainsi « carrousel » utilise la redondance du mot « tournent » pour évoquer la répétition des actes des poneys harnachés à une roue pour promener les enfants. Le poème « Valse » qui aborde le difficile thème des abattoirs, est construit sur un rythme de 3 pieds qui composent la vie d’un animal dit de boucherie : l’élevage – le transport – l’abattage.
À l’abri
Des regards
Débarquer
Bétaillères
Sous les cris
L’œil hagard
Paniqué
Des ornières
D’autres jouent sur la forme afin de servir le propos, ainsi le poème « tableau de chasse » commence sur douze pieds « Gracile renard, la fourrure flamboyante » et évolue au rythme des animaux qui tombent sous les balles ou les pièges des chasseurs, les vers s’effacent en même temps que les animaux meurent : 12 pieds, 11, 10, 9….
Ces poèmes sont pensés en tant que support pour amener les enfants et les élèves à s’interroger sur leur relation avec les animaux. Tant la forme – la construction des poèmes et les illustrations de Miya – que le fond sont des portes ouvertes vers un questionnement. Pourquoi le veau pleure-t-il sa mère ? Pourquoi les poussins mâles veulent-ils fuir ? Pourquoi l’éléphant se balancent-ils ? Ou pourquoi Bastien un petit garçon perd – il la tête face à son lapin en croûte ?
Ce recueil, résultat d’un an de travail avec l’illustratrice, est destiné aux enfants à partir de 8 ans et peut être utilisé tant par les enseignants que par les parents.
Le roman « la pépinière des anges »
Ce roman s’est fait parallèlement au recueil, il ne traite pas directement de la condition animale puisque l’histoire évoque le parcours d’une fille à la recherche de son père.
Mais pourtant plusieurs épisodes nous font entrer directement, et sans que le lecteur comprenne pourquoi, dans l’enfer des élevages ou dans la peau d’un poisson coincé dans des filets de pêche par exemple :
« Soudain, l’air entre dans mes branchies, je suffoque, la pression est insupportable, je me débats pour fuir la douleur. L’énorme nasse dans laquelle je suis piégé se pose sur le pont d’un gigantesque chalutier. Je vois l’homme, son regard usé qui mécaniquement scrute le tas de vies marines qui gît sur le ponton. »
Comme l’écrit le compositeur René Marc Bini dans la préface du recueil : « Il y a une rémanence qui n’existe dans aucun raisonnement, aucun argumentaire, et qui est le propre de ce qui nous caractérise fondamentalement : nous sommes des êtres émotionnels. »
La littérature, tout comme les supports visuels ou sonores sont une autre porte de sensibilisation. Alors que les rapports stimulent l’intellect, dans une société où le raisonnement cartésien prime – même s’il ne permet pas de légiférer en conséquence – ces autres formes de communication touchent plus facilement notre cœur et nos capacités à nous émouvoir positivement et permettent ainsi à leur manière d’ouvrir nos consciences.
Latsuna
Auteur