En Espagne le ramassage de 183.103 chiens a été signalé en 2019. Le chiffre n’est pas exhaustif car il ne tient pas compte de la totalité des associations de protection animale existantes, ni des récupérations et sauvetages réalisés par des particuliers ou encore des chiens morts par accident ou sacrifiés par leurs propriétaires. Il n’existe pas de chiffres officiels, seulement un sondage commandé par une fondation privée. Bien que probablement le nombre de chiens abandonnés surpasse les deux cents mille par an il n’y a pas de groupes de chiens errants dans la plupart des centres urbains.
Etre à la tête de façon récurrente du ranking Européen des abandons, un des plus grands symptômes de « possession irresponsable », ne reçoit pas de réponse administrative appropriée, ni de réponse politique à la hauteur de ce que l’on peut attendre dans le contexte européen. En Espagne il est d’usage d´assigner les règles juridiques liées aux animaux à leur exploitation et ainsi les normes concernant les chiens ont plus à voir avec la chasse et le gardiennage, qu’avec la protection de ces animaux. Pour le code Civil espagnol les animaux sont toujours des choses : semovientes ou res nullius. L’obligation de reconnaissance des animaux comme des êtres sentients (sentient beings) est encore dans la liste des questions en attente, celles qui seront traitées un jour, peut-être demain car aujourd’hui nous sommes trop occupés…
Le Ministère de l’Agriculture accorde une place prééminente à la chasse en la considérant comme étant une activité socio-économique importante pour le développement du milieu rural. Une élite locale et étrangère s’amuse en tirant des coups de feu sur la faune locale ou sur des animaux élevés dans des fermes et libérés afin qu’ils soient tirés le week-end. Ce qui est sûr c’est que les sociétés cynégétiques conservent tous leurs privilèges. 1,6% de la population possède un permis de chasse et prend en otage en saison haute 85,65% du territoire national. Ce même Ministère de l’Agriculture, de la Pêche et de l’Alimentation (MAPA) est responsable du domaine de la protection animale ce qu’il confond trop souvent avec le contrôle de qualité des produits qu’il considère comme des ingrédients pour la consommation humaine. Sur son site internet, dans ses budgets, et dans beaucoup d’autres actions le MAPA ne se montre jamais aussi diligent avec les animaux que lorsqu’il s’agit des titulaires de la chasse ou de l’élevage. C’est comme si l’on demandait au lion de prendre soin des gazelles.
Pour exemple, le projet de décret royal d’aménagement des structures accueillant des animaux (Núcleos zoológicos), qui était conçu comme étant une des lignes d’action pour la possession responsable, et qui semble exempter de l’obligation de soin les propriétaires de chiens utilisés pour la chasse ou pour la protection du bétail et des terrains. Il semblerait que pour le législateur la fonction modifie la condition biologique. Et en réalité, ce n’est pas ainsi : à même espèce mêmes droits. Personne ne peut s’affranchir des engagements adoptés lors de la ratification en 2017 de la Convention européenne de Strasbourg qui protège les animaux de compagnie, parce que tous les chiens ont besoin d’un minimum d’attention de par leur nature et non pas selon le caprice des humains.
Le Ministère de Justice aussi parie sur un recul en matière de protection animale. L’avant-projet de Loi sur le Code de Procédure Pénale ferait abstraction de l’accusation populaire et de l’accusation particulière pour les délits de maltraitance animale. Le procureur, avec très peu de moyens matériels et intellectuels pour poursuivre ce type de délits, aura beaucoup de difficultés pour obtenir des condamnations effectives qui punissent les torts perpétrés contre des animaux.
La complicité institutionnelle et transversale avec des pratiques qui portent atteinte aux soins des animaux expliquerait pourquoi on tolère la reproduction indiscriminée, l’absence d’identification et les abandons. À mon avis s’il n’y avait pas une certaine passivité face aux abandons et à la maltraitance, le Service de Protection de la Nature serait plus rigoureux avec le registre annuel de galgos abandonnés. Pendant que les associations sauvent des milliers de lévriers dans les mois qui suivent la fin de la saison de chasse, l’unité qui dépend de la Garde Civile, SEPRONA indique dans son rapport l’abandon de seulement 8 chiens en 2019 et de 52 en 2018. Dans ce sens, l’Union européenne a envoyé il y a quelques jours[1] une lettre au Gouvernement Espagnol et aux responsables des 17 communautés autonomes faisant valoir que “ Nous considérons que le traitement des chiens de chasse en Espagne est en contradiction avec les valeurs européennes et nous ne trouvons aucune justification à la différenciation entre la protection qui s’octroie aux animaux de compagnie, face à celle qui est donnée aux lévriers et autres chiens de chasse, considérés comme des animaux de travail”.
La population civile espagnole a montré être bien plus avancée en matière de protection animale que ne semble l’être ses dirigeants. Un bon exemple est l’étendue du réseau de bénévoles qui gèrent éthiquement les colonies félines et auquel fait référence Agnès Dufau dans son article pour le magazine. Il y a plus de 200 000 chiens abandonnées chaque année, dans les territoires les moins développés. Ils ne se voient pas car le remarquable travail des associations rendent ces abandons invisibles puisqu’il n’existe pas de groupes de chiens errants. Dans les communautés autonomes plus paternalistes, le sacrifice d’animaux reste en vigueur et des milliers de chiens sont tués peu de jours après être arrivés dans les fourrières (perreras) avec l’excuse que n’y ait pas de place pour eux et que personne n’en veut. Des tonnes de cadavres sont récupérées par des entreprises, certaines fabricantes de croquettes de basse qualité qu’elles vendent à des collectivités.
La condamnation à mort de tellement d’innocents pousse beaucoup de personnes à chercher une solution dans l’exportation des animaux au-delà de leur communauté autonome et de leur pays. Des couloirs d’adoption se créent, qui ne présentent pas de garanties suffisantes. Nous pourrons traiter cela dans un prochain article, car au-delà de l’analyse des problèmes nous devons pouvoir développer les solutions.
Cet article est la traduction de l’article d’Emma Infante en espagnol.
Photos © : JOSEP MARIA NAVARRO et MONICA PAMIES
[1] https://www.animalwelfareintergroup.eu/sites/default/files/2021-03/EN%20Letter%20hunting%20dogs%20Spain_0.pdf
Emma Infante
Master en Derecho Animal y Sociedad, Postgraduada en Antrozoología
Master en Droit Animalier, postdregree on Anthrozoologie (L’étude du rapport humain et les autres espèces d’animaux)
2 commentaires
claude Fée
26 avril 2021 à 7h41
Merci pour cet article bien documenté, les consciences évoluent. En Espagne aussi, il faudra bien que les politiciens tiennent compte de cette protestation et que le sadisme sur les animaux soit enfin combattu !
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