Le 10 décembre 2024, choix symbolique puisque journée internationale des droits des animaux, s’est tenu ce premier séminaire issu du partenariat entre le pôle animal de la clinique juridique de l‘ HEDAC (Haute Ecole des Avocats Conseils) et l’APRAD (Association de Protection des Animaux par le Droit). Ce partenariat a pour but de réunir et croiser les compétences, l’APRAD comptant dans ses rangs des personnes titulaires d’un diplôme de droit animalier mais venant d’horizons différents,, afin de sensibiliser entre autres les jeunes avocats au droit des animaux, au respect des lois les concernant, et d’œuvrer en faveur de leur bien-être.
Un regard sur le passé, pour mieux comprendre le présent
En introduction de ce séminaire, Claire Bouglé, maître de conférences à l’Université de Versailles Paris-Saclay, a proposé une réflexion basée sur l’œuvre « la Terre » de Giuseppe Arcimboldo (1570), mettant en évidence que déjà au 16ème siècle autant la société que les juristes se questionnaient sur les limites entre l’humain et l’animal, comme en atteste le tableau de Lavinia-Fontana de « la jeune fille poilue » (portrait d’Antonietta Gonsalvus). L’étude des animaux se basait tout autant sur des bestiaires d’animaux plus ou moins fantasmagoriques que sur de véritables encyclopédies : ainsi Arcimboldo s’est-il inspiré des animaux réels de Maximilien II pour créer son tableau, idéal d’une entente réciproque entre l’humain et l’animal. En France, la ménagerie du Château de Versailles du roi Louis XIV était également l’expression d’un autre rapport aux animaux, qu’on ne faisait plus combattre mais qu’on gardait au mieux, avec une recherche de leur bien-être et une approche de leur sensibilité, amenant les juristes de l’époque à se pencher sur la question.
Thibault Barbieux, maître de conférences à l’Université de Paris-Saclay, s’est penché quant à lui sur l’hermine, animal et aussi image de la pureté, de la justice, de la royauté et du duché de Bretagne. Comment ce petit animal protégé par la Convention de Berne en est-il arrivé à tant de représentations symboliques ? Petit mustélidé à la fourrure à l’époque très recherchée et luxueuse, blanche de neige, il devient le symbole de la pureté et donc de la justice, portée de ce fait par le clergé puis par les clercs. Le rôle de justice du roi amène à son utilisation de ce fait sur les manteaux d’apparat royaux. Mais pourquoi la Bretagne alors que l’hermine est originaire d’Arménie ? Grâce au roi breton Pierre 1er Mauclerc (« mauvais clerc ») qui a « brisé son blason » d’un carré d’hermines, rappel de son passé clérical, au 13ème siècle. Comme l’exprime M. Barbieux : y-a-t-il plus herminé qu’un juriste breton ?
Les conceptions actuelles de l’animal dans le droit en question
Notre société également se penche sur la place de l’animal, tant d’un point de vue éthique que juridique. La summa divisio du droit, entre personnes et biens, ne laisse pas la place à l’animal, être vivant doué de sensibilité, du moins pour les animaux vivant « sous la coupe » des humains…Nadège Reboul Maupin, professeur de droit à l’Université de Paris-Saclay, propose un concept de « bien vivant » : au contraire du Professeur Marguénaud qui opte pour que l’animal devienne un sujet de droit en obtenant une personnalité technique, le concept de bien vivant met en avant la distinction entre le vivant et l’inerte tout en permettant de garder une activité économique d’élevage. Ainsi, un régime applicable aux animaux biens vivants, différent selon les animaux, mettrait en place des devoirs d’assistance et une sensibilité émotionnelle différents selon ces animaux, la notion de droit de propriété étant de même redéfinie en y ajoutant la notion de devoir.
Clara Bernard-Xemard, maître de conférences à l’Université de Paris-Saclay, s’est pour sa part penchée sur la place de l’animal pendant le divorce et la considération que lui accordent les juges. Dans les cas de divorce suite à des violences conjugales, les juges ont pour usage de confier la garde de l’animal à la victime, afin qu’il ne devienne pas un moyen de pression, ce qui constitue en soi une reconnaissance de la place de l’animal dans la famille. Dans les autres situations, l’animal est encore considéré comme un bien et confié à un maître exclusif, même si quelques décisions courageuses de magistrats avant-gardistes ont mis en place des droits de visite et d’hébergement, censurées par la suite par la Cour d’appel…Actuellement, les critères d’attribution reposent sur les règles de propriété des biens meubles, mais aussi sur le lieu de résidence principale des enfants, le besoin affectif que peut ressentir un des deux époux, mais également sur le bien-être de l’animal : qui lui offrira les meilleures conditions de vie ? Autrefois sujet de sarcasmes, le devenir de l’animal dans le divorce devient une question récurrente sur laquelle les juges doivent statuer, d’où une nécessaire évolution des règles.
Mais le divorce n’est pas la seule situation pour laquelle une évolution est obligatoire : Christine Cheval, avocate, médiatrice et membre de l’APRAD, intervenant sur les catégories d’animaux et leur protection juridique, a mis en exergue la nécessaire construction du droit concernant les animaux. Alors que l’article 13 du Traité sur le fonctionnement de l’Union Européenne met en avant la prise en compte du bien-être des animaux, êtres vivants et sensibles, les humains catégorisent toujours les animaux selon leur utilité et les classent en deux catégories : les animaux domestiques (de compagnie ou de rente) considérés comme des individus, et les animaux sauvages définis par l’espèce à laquelle ils appartiennent. Ces derniers, vivant en liberté, sont pris en compte dans le Code de l’environnement en tant qu’espèces. La protection individuelle, essentiellement pénale, ne concerne donc que les animaux domestiques et les animaux sauvages apprivoisés ou vivant en captivité, par des textes figurant dans les Codes civil, pénal, rural et de la pêche maritime…avec un durcissement des peines depuis la loi visant à lutter contre la maltraitance animale du 30 novembre 2021. Cette dernière a amené à certaines évolutions, notamment sur les peines liées au vol destiné à alimenter le commerce illégal d’animaux, quel que soit l’animal, et sur la responsabilisation de l’humain, via le stage de sensibilisation. D’autres textes concernent l’expérimentation animale, l’élevage, les loisirs utilisant les animaux, et cette pléthore de textes complexifie la lutte contre la maltraitance animale qui aboutit à encore trop peu de sanctions.
Et des retours d’expérience de terrain…
Le séminaire s’est poursuivi par des interventions mettant en évidence la difficulté de la mise en pratique « sur le terrain » du droit concernant l’animal. Anne-Claire Gagnon, vétérinaire et présidente de l’AMAH, est intervenue sur le sujet du lien entre les violences intra-familiales et les violences sur les animaux. Témoins de ces violences, animaux et enfants en sont co-victimes, et les conséquences peuvent être terribles : les morsures mortelles par les chiens dont on apprend qu’ils ont subi des maltraitances représentent 21,1% des cas, il a été prouvé qu’un adolescent ayant assisté à des actes de violence sera plus enclin lui-même à la violence ou au harcèlement sur ses camarades. De la même façon, si un enfant maltraite un animal, il convient de chercher ce que lui a pu subir. Et faire parler un enfant de son animal peut libérer sa parole sur ce que lui-même peut vivre. Ainsi les animaux de compagnie sont à la fois victimes, co-victimes car témoins, instrumentalisés (par peur de représailles sur l’animal, la personne maltraitée hésite à quitter le foyer), sentinelles involontaires des violences domestiques.
Nathalie Soisson, avocate au barreau de Louisiane, ancienne avocate au barreau de Paris et présidente de l’APRAD, a partagé son expérience d’enquêtrice, au sein d’une association de protection animale. Ce rôle difficile demande de la prudence (ne pas rentrer chez les personnes sans y être invité, ne pas se mettre en danger), de la pédagogie, car beaucoup de maltraitances sont le fait d’ignorance, et il suffit parfois d’éduquer, de renseigner correctement le détenteur de l’animal pour rectifier la situation. Une attention particulière doit être portée à la possibilité de signalements abusifs : certains animaux sont malades, en soins, mais pas maltraités, voire être prétexte à des règlements de compte entre voisins. Si l’enquêteur, muni de preuves (photos, vidéos) fournies par le signalant (dont l’anonymat est respecté), est face à une maltraitance avérée, une plainte est rédigée auprès des forces de l’ordre, et l’association peut se porter partie civile, ce qui est recommandé pour éviter un classement sans suite. Dernier point : malgré l’envie qu’on peut ressentir, il ne faut jamais voler les animaux…
Claire Borrou-Mens, vétérinaire, ancienne référente bien-être animal au Conseil de l’ordre des vétérinaires et membre de l’APRAD, a présenté la place du vétérinaire dans le droit animalier, qui reste toujours très anthropocentré. Le vétérinaire a deux missions complémentaires et parfois opposées : protéger l’animal, le soigner, le respecter et ce quel que soit l’animal, certes, mais il a également une mission de protection vis-à-vis des humains : pour leur santé (hygiène des denrées d’origine animale, contrôle de la rage…) pour leur sécurité (animaux dangereux, animaux errants…). Il est parfois difficile de concilier ces deux aspects, ce qui met le praticien en porte-à-faux face à son éthique. De plus, les nombreuses incohérences du droit animalier, parfois incompatibles avec les données de la science, posent d’autres problèmes à son éthique : l’abattage rituel, la chasse en enclos, l’euthanasie de convenance, l’abattage d’un troupeau entier, l’euthanasie des chiens dits dangereux, autant de situations responsables d’une part du malaise de la profession. Une réflexion s’impose pour retrouver une cohérence dans les textes.
Enfin, Christine Cheval a amené le sujet de la médiation de la consommation pour régler des litiges concernant les animaux de compagnie. Sujet encore méconnu, le recours au médiateur de la consommation est un réflexe à avoir avant d’engager une procédure. Depuis 2016, tout professionnel qui a des clients consommateurs doit proposer un dispositif de médiation, gratuit pour le consommateur, le coût étant supporté par le professionnel. Par exemple, en cas de vente d’un animal de compagnie par une animalerie ou un éleveur, le client consommateur pourra demander une indemnisation si l’animal, malade au moment de l’achat, a besoin de soins vétérinaires importants. C’est une chose à garder en tête, depuis la fin de la garantie de conformité concernant les animaux.
Certaines de ces interventions ont fait l’objet d’une publication dans un grand livre du droit, « Animal & droit, Bestiaire – Patrimoine juridique – Défis contemporains ».. L’APRAD y a également contribué, sur le thème de « L’animal, entre la diplomatie et la guerre », co-écrit par Maxime Louis, juriste et vice-président de l’APRAD, et Brigitte Leblanc, vétérinaire et membre de l’APRAD. Cet ouvrage se veut le reflet des réflexions diverses que l’animal inspire au droit, en étudiant les approches historique et contemporaine sur tous les thèmes du droit, dans le but de retrouver l’harmonie entre l’humain et l’animal.
Brigitte Leblanc
Vétérinaire