Les Bishnoïs sont les membres d’une communauté vishnouïte présente dans l’État du Rajasthan (Inde). Leur relation au vivant, fondée sur vingt-neuf préceptes faisant office de loi, fait d’eux les pionniers d’une écologie activiste, protecteurs des forêts et des animaux sauvages.
Un écho vieux de plusieurs centaines d’années retentit depuis la ville bleue de Jodhpur au Rajasthan, pays des rois et des maharadjas. Cet écho est celui de la vision d’un prophète nommé Jambeshwar Bhagavan qui il y a un peu plus de 500 ans eut une vision. La nature se déchaînait et se vengeait des méfaits de l’homme, il en résulta un chaos et la fin de l’humanité. Jamboji, (c’est son surnom) âgé alors de 35 ans décida de modifier la destinée tragique de son peuple. En effet, celui-ci souffrait d’une terrible sécheresse au sein même du désert du Thar surnommé la vallée de la mort (Mârusthali en sanskrit). En 1485 il se rendit sur le mont Mukam haut lieu de pèlerinage aujourd’hui, afin de recevoir les 29 préceptes qui sauveraient leur vie. En hindi 29 se dit bishnoï. A ce moment-là, 535 ans plus tôt naquirent les premiers écologistes et activistes de l’humanité.
Difficile de ne pas trouver dans cette épopée écologiste et visionnaire une graine d’inspiration, une ébauche de solution à nos problèmes climatiques et du sens de la vie d’un point de vue plus large. Le rewilding ou réensauvagement est depuis une bonne vingtaine d’années connu et pratiqué dans nos sociétés occidentales par des précurseurs et protecteurs de la nature. Les Bishnoïs le pratiquent depuis le XVe siècle. À sa mort, leur guru leur promit de rester, parmi eux, dans tous les éléments de la nature et le feu. L’amour du vivant est légué à leurs enfants de génération en génération.
Pour ce peuple, tout ce qui est vivant est sacré. Les animaux, les végétaux et les humains sont tous égaux. C’est une loi divine pour ce courant de l’hindouisme que d’aimer la nature, les plantes et les animaux. Ce sont des créatures de Dieu. Ils luttent également depuis leur création contre les inégalités, et le concept de caste n’y échappe pas. Ils utilisent uniquement le bois mort pour faire du feu, ne pratiquent pas la crémation pour des raisons écologiques.
Amrita Devi, première éco-activiste
Il y a trois siècles, en 1730, Ajit Singh, maharadja de Jodhpur, voulut rénover et agrandir son palais. Il envoya ses soldats abattre des milliers d’arbres afin de réaliser ses travaux. Désespérée devant ce massacre, Amrita Devi leur demanda d’arrêter de tuer ces arbres sacrés. Elle s’opposa farouchement aux soldats en leur indiquant qu’elle préférait qu’ils lui coupent la tête. Elle s’enlaça à un arbre et se fit décapiter. Ses trois filles et son époux lui emboitèrent le pas ainsi que 359 autres Bishnoïs. Ce sont les « 363 ». Le massacre dura ainsi dix jours. Lorsque le Maharadja apprit cette tragédie, il fut touché et se rendit chez les Bishnoïs afin de leur présenter des excuses publiques. Il signa un décret royal, encore en vigueur aujourd’hui, interdisant de tuer les animaux et d’abattre des arbres en territoire bishnoï. Le sanctuaire de Kerjali, érigé en sa mémoire, est aujourd’hui un lieu sacré. Les animaux chassés et blessés viennent naturellement se réfugier en terres bishnoï où ils se savent en sécurité. Les villages bishnoïs sont faciles à reconnaître car ils sont entourés d’animaux sauvages. Les Bishnoïs partagent 10 % de leur récolte pour nourrir les animaux sauvages. Chaque individu doit planter au moins un arbre par an et partager son eau avec lui durant deux ans. Certains n’hésitent pas à donner leur vie pour un animal ou un arbre. Un des préceptes est de ne pas couper de bois vert. L’action au service de la nature et du vivant est au cœur de cette philosophie. Ils vouent leur vie à lutter contre le plastique et les déchets, la reforestation, la préservation des animaux.
Refuge pour animaux
Vishuda Nand est un prêtre bishnoï ; il s’occupe en parallèle de son temple d’un refuge et d’une clinique pour animaux sauvages. Les animaux blessés y sont choyés et soignés. Les animaux orphelins sont recueillis, nourris et élevés au sanctuaire ou dans les familles. Ils en sont l’un des membres à part entière jusqu’au moment où ils seront capables de retourner à la vie sauvage. Une ONG nommée Tiger Force a pour but de recueillir et soigner les animaux victimes de braconnage mais aussi attaqués par les chiens sauvages très présents dans le désert. Afin de lutter contre ce fléau, tout en respectant leurs principes, les autorités ont mis en place un refuge pour chiens sauvages où ils sont nourris et gardés afin d’éviter qu’ils ne tuent l’ensemble des animaux de la région. Ils prolifèrent et sont un véritable danger pour l’écosystème du désert. Le choix a été de les garder en vie plutôt que de les euthanasier ; de les inclure plutôt que de les exclure. De la même façon, la première maison de retraite pour animaux a vu son apparition. Les vaches âgées qui ne donnent plus de lait et qui deviennent une charge pour les paysans sont recueillies dans un sanctuaire où elles sont prises en charge et accompagnées jusqu’à leur fin de vie.
Retour de la biodiversité
La nouvelle génération prend la relève en la personne de Palavy Bishnoï, ingénieure spécialisée dans la gestion des déchets et le recyclage des eaux usées. Elle a été formé aux États-Unis et est revenue afin d’œuvrer pour son pays. Elle a co-créé la société Real Time Renewables qui traite une dizaine de projets à la fois. Tel un colibri, elle souhaite faire sa part et changer les consciences industrielles et capitalistes de l’Inde. Palavy a mis en place une station d’épuration dans le parc de Lucknow, l’un des plus grands de l’Inde, situé à Uttar Pradesh. Il s’agit dans ce projet de résister à la canicule et de verdir et réensauvager ce véritable poumon vert. Le principe est à la fois simple, naturel et ingénieux. L’eau utilisée pour arroser généreusement ce parc ne coûte pas une roupie. Elle récupère les eaux usées de la ville et les filtre par l’utilisation de pierres qui proviennent du Rajasthan. Ces pierres filtrantes contiennent des bactéries qui purifient l’eau. Cette eau arrose abondamment l’ensemble du parc. Chacune des stations d’épuration purifie 1500 litres d’eau, et le parc en possède quinze. Les oiseaux sont revenus ainsi que les petits animaux sauvages. La biodiversité renaît et oxygène la région qui souffre de la chaleur.
Cet article est une version adaptée d’un texte paru dans NATIVES n°1, premier média francophone autour des peuples racines.
Photo : zenit-c by-sa 3.0
Dalila Baha
Fondatrice de B formation & Conseil et Wisdom & Joy