S’il convient de ne pas réduire l’animal à un mini-humain, on n’y décèle pas moins certains états mentaux et émotionnels proches des nôtres. Les conceptions sur les animaux ont certes varié dans l’histoire. Mais au Moyen Âge déjà, on considérait l’animal comme un sujet. Un sujet digne de respect, avec lequel nous continuons aujourd’hui de nouer des rapports d’interdépendance.
Nous savons désormais que le langage n’est pas entre nous une barrière infranchissable. Les animaux s’expriment, sont capables de jugements moraux. Ils sont présents dans toutes les sociétés humaines. Et aujourd’hui notre cohabitation devrait être solidaire.
L’animal est un vivant avec sa propre identité et comme tel il nous impose de repenser sa condition et de légiférer sur cette condition. La protection des animaux reste largement perfectible et de nouvelles dispositions permettraient de renforcer l’arsenal déjà disponible. La condition animale n’évoluera pourtant pas seulement par la force du droit mais aussi grâce à un travail continu sur l’imaginaire, qui seul dans la durée influera sur les mentalités et les comportements.
Ainsi devrions-nous interdire à terme l’élevage intensif pour prendre en compte la sensibilité reconnue des animaux et leur offrir un cadre de vie meilleur, une vie plus saine, un espace en plein air, en un mot des conditions d’élevage concordant avec leurs impératifs biologiques, ainsi qu’une mort plus douce.
L’élevage intensif est vivement critiqué relativement au bien-être animal, à la qualité de la viande, ainsi qu’aux conditions de travail des professionnels et à son modèle.
En France, 80% des animaux sont dans des élevages intensifs. Cette proportion est particulièrement élevée pour les porcs (95%) et les volailles (80% des poulets de chair et 68% des poules pondeuses).
Ces animaux subissent dans des « fermes-usines » des traitements cruels et parfois intolérables. Ils se trouvent confinés, sans accès à des espaces de plein air, souvent dans des cages, ce qui entraîne chez eux des troubles comportementaux extrêmes.
Selon un sondage IFOP de janvier 2021, 85% des Français se déclarent opposés à l’élevage intensif, signe que l’opinion publique est favorable à la mise en place de cette nécessaire transition. Cette évolution de l’opinion, nous la devons aussi au travail des lanceurs d’alertes et aux actions de certaines associations.
Au niveau européen, la directive 98/58/CE ayant trait à la protection des animaux dans les élevages pose les grands principes du bien-être chez les animaux domestiques de production pour les États membres concernant les bâtiments et infrastructures, la liberté de mouvement, l’alimentation, les mutilations, les maltraitances. Elle n’en détaille cependant pas la mise en œuvre et laisse aux États membres une large marge d’action.
En termes de législation en la matière, la France accuse hélas un grand retard par rapport à nombre de ses voisins européens.
97% des animaux sont élevés hors cage en Autriche. En Suède, ce sont 92% des animaux qui sont élevés hors cage ; tandis que l’Allemagne obtient le quatrième meilleur score de la communauté avec un taux de 86%, suivie par les Pays-Bas et la Belgique, avec des taux respectifs de 83% et 69%. La France, elle, n’arrive qu’en 17e position de ce classement avec un score de 25%, derrière la Roumanie, la Croatie et la Hongrie.
Nous devons instaurer en Europe un étiquetage alimentaire transparent, comprenant un descriptif clair du mode d’élevage, de sorte que le consommateur-citoyen puisse pleinement jouer son rôle dans la protection du bien-être animal, ainsi que de sa santé et de l’environnement – sans léser économiquement les agriculteurs qui doivent pouvoir résister à l’importation de pays qui ne suivent pas le même cahier des charges en termes de conditions sanitaires, de bien-être animal et de respect de l’environnement, par exemple par une taxation.
Les agriculteurs sont les premiers à pâtir de l’élevage industriel. Déjà au niveau économique, avec la réduction du nombre d’exploitations, avec la concentration entre les mains des plus puissants et d’élevages toujours plus importants.
Quant au niveau éthique et moral, je le rappelle, les agriculteurs aiment leurs bêtes et voudraient s’assurer de pouvoir leur donner, autant que possible, « une bonne mort », sans souffrance.
Il est temps de reconnaître la souffrance animale pour ce qu’elle est, et d’ouvrir les yeux sur toutes sortes de maltraitances qui ne sont pas interdites – outre les conditions d’élevage, il reste encore nombre de points à régler au niveau des modes d’abattage barbares, le gavage des oies, l’élimination des poussins mâles, les spectacles avec des animaux dans les cirques et delphinariums, la corrida, l’élevage pour fourrure, l’expérimentation animale, la chasse à courre, sans oublier les maltraitances domestiques au quotidien.
Certes les derniers textes concernant la condition animale au Parlement pourraient l’améliorer mais à petits pas vu l’influence des lobbys qui freinent des quatre fers, pendant ce temps l’opinion publique continue à être largement sensibilisée à la cause animale grâce aussi au travail des associations, des partis animalistes, des écologistes, des activistes. L’adoption par les législateurs d’une Déclaration universelle des droits de l’animal est susceptible de le compléter.
La Fondation Droit Animal, Éthique et Sciences a actualisé en 2018 la Déclaration universelle des droits de l’animal de 1978 pour qu’elle puisse être adoptée par les législateurs dans des termes de droit positif juridiquement valides et effectivement applicables.
Cette déclaration comporte huit articles qui peuvent faire l’objet d’une proposition de résolution.
Dans cette Déclaration, on distingue entre les animaux parce qu’on ne peut pas considérer qu’un moustique, un chat, ou un animal sauvage soient dans la même situation juridique. Certains de ses articles, en revanche, s’appliquent à tous les animaux.
Chacun des articles est écrit comme un article de loi. Ce n’est pas un préambule théorique, c’est une liste de principes parfaitement cohérente avec l’opinion très majoritaire des citoyens de notre pays.
Les législateurs devraient s’atteler à faire avancer l’idée de cette Déclaration qui viendrait compléter celle des droits de l’homme, qui honore notre pays.
Notre pays vit une urgence sociale, sanitaire, climatique et environnementale. Il vit aussi dans une urgence éthique. Nos jeunes, défilant nombreux dans nos rues pour le climat, ne cessent de nous le rappeler. Il est donc primordial d’engager sans délai cette démarche vers un modèle respectueux du vivant.
Comme Elisée Reclus, grand géographe et Communard, l’écrivait en 1884, « si nous devions réaliser le bonheur de tous ceux qui portent figure humaine et destiner à la mort [et j’ajoute : ou à la souffrance] tous nos semblables qui portent museau et qui ne diffèrent de nous que par un angle facial moins ouvert, nous n’aurions certainement pas réalisé notre idéal. »
Esther Benbassa, sénatrice écologiste de Paris, directrice d’études émérite à l’Ecole Pratique des Hautes Etudes (Université PSL), a dirigé l’ouvrage « Nous et les Animaux », Les Petits Matins, 2020. Auteure de la Proposition de Loi : « Un élevage éthique, juste socialement et soucieux du bien-être animal », débattue en 2021 au Sénat. Elle n’a pas été adoptée.
Esther Benbassa
Sénatrice écologiste de Paris
Directrice d’études émérite à l’Ecole Pratique des Hautes Etudes (Université PSL)
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Roberta Giovannini
20 octobre 2021 à 8h02
Love animals