Au milieu des bateaux, sur le ponton du port d’un village du sud de la France, une silhouette furtive, vêtue d’un manteau bleu nuit, attire mon attention. Moon déambule de bateau en bateau avec une agilité déconcertante. Un chat qui vit sur l’eau, voilà qui sort de l’ordinaire. Un marin réincarné dans un corps de chat ? Possible, me confie Cécile, son humaine.
Marie : As-tu eu des animaux avant Moon ?
Cécile : Oui, j’ai toujours été entourée d’animaux, parfois même inattendus. Quand j’étais petite, dans le Val-d’Oise, on a recueilli une renarde. Mon père l’avait trouvée lors d’une balade : c’était la seule survivante d’un terrier décimé. C’était à l’époque où la rage sévissait et où les autorités détruisaient tous les terriers. Nous l’avons baptisée Pussy. Nous l’avons nourrie au biberon et elle a vécu toute sa vie avec nous, en toute liberté. Plus tard, ma passion pour les chevaux m’a menée à créer ma propre ferme équestre. Les animaux ont toujours occupé une place essentielle dans ma vie.
Marie : Parle-nous de Moon, comment est-elle arrivée dans ta vie ?
Cécile : Moon a 3 ans et demi. C’est un chat de gouttière. Elle est entrée dans ma vie un peu par hasard, à l’âge de 4 mois, à un moment où que je traversais une période particulièrement difficile. Une amie, dont la chatte venait d’avoir une portée, m’a proposé d’adopter un petit. J’ai été tellement émue par la couleur gris bleuté du pelage de Moon, qui me rappelait celui des chats qui ont accompagné mes plus jeunes années. C’est un peu Moon qui a choisi son prénom. J’ai commencé à faire des sons, et elle réagissait particulièrement au « ou » de Moon. Alors je l’ai appelée Moon Blue, en lien avec son pelage. C’est la lumière de la lune et elle représente cette lumière qui est revenue dans ma vie.
Marie : Quand est-ce que Moon a commencé à venir sur le voilier ?
Cécile : Quand elle avait 8 mois environ. J’ai rencontré mon compagnon quelques mois après l’arrivée de Moon dans ma vie. À ce moment-là, elle ne connaissait que la campagne et ma petite maison entourée de nature. Mon compagnon, lui, vivait sur son voilier et il m’a proposé d’emmener Moon lorsque je venais le voir. Au début, on restait à quai, et j’ai vite remarqué que Moon était parfaitement à l’aise sur le bateau, comme si elle y avait toujours vécu. Très vite, elle s’est approprié le ponton, le port, puis s’est mise à explorer les bateaux voisins, avec la curiosité qu’on lui connaît. Le voilier fait 13 mètres de long et offre plus de 50 m² d’espace intérieur, et Moon y a trouvé sa place tout naturellement. Comme tous les chats, elle est très propre : elle a sa caisse à bord et l’utilise systématiquement, même si elle pourrait sortir sur le port. Le voilier est vraiment devenu sa deuxième maison.

Marie : Puis vous avez commencé à naviguer. Comment Moon a-t-elle réagi lors de sa toute première sortie en mer ?
Cécile : Le premier jour, elle est restée un moment à côté de son panier dehors, à l’arrière du bateau, comme pour observer et s’adapter à ce nouvel environnement. Aujourd’hui, elle est très à l’aise quand nous naviguons. Nous l’avons d’ailleurs surnommée notre « mouchaillon ». Quand nous sommes en pleine mer, elle aime se prélasser sur le pont ou sur le taud du bateau pour profiter du soleil. Parfois, elle improvise un hamac dans les replis de la voile pour y faire la sieste. Elle est particulièrement curieuse : dès que compagnon fait une réparation sur le bateau, elle vient inspecter, comme un contremaître. Pour l’instant, le plus long voyage que nous ayons fait avec Moon, c’est la traversée vers les Baléares : 2 nuits et 3 jours de navigation. Moon est très indépendante et intelligente. C’est elle qui décide, comme cette fois où l’on devait repartir en mer, mais qu’elle avait décrété qu’elle préférait rester sur le bateau du voisin. Nous l’avons attendue pendant des heures jusqu’à ce qu’elle se décide enfin à remonter à bord.
Marie : Naviguer avec un chat, ce n’est pas banal ! Quelles précautions prenez-vous pour assurer la sécurité de Moon à bord ?
Cécile : Nous ne lésinons pas sur la sécurité à bord. Quand nous naviguons, mon conjoint gère le voilier, et moi je veille constamment sur Moon, comme si je surveillais un enfant. En cas de mer agitée, je lui mets un harnais avec une lampe qui clignote au contact de l’eau, ce qui nous permettrait de la repérer rapidement si elle tombait à la mer. Moon est très joueuse et c’est une vraie acrobate, mais ses cascades me font toujours un peu peur. Je ne pourrais jamais me le pardonner s’il lui arrivait quelque chose, c’est pour cela que je reste constamment vigilante. La nuit, quand le risque de s’assoupir est plus grand, je lui mets son harnais et garde sa laisse attachée à moi, juste pour être sûre qu’elle ne s’éloigne pas trop. Moon a aussi un panier que je peux fermer si besoin, et qui a l’avantage d’être flottant. Elle a même un petit gilet de sauvetage, au cas où la météo deviendrait plus capricieuse. Et quand ça bouge un peu trop, elle se réfugie à l’intérieur du bateau, près du lit, là où c’est plus calme.
Marie : Est-ce que Moon vous a déjà fait des frayeurs ?
Cécile : Oui, je suppose que Moon est tombée à l’eau plusieurs fois, mais uniquement quand nous étions à quai, au port — sûrement en essayant d’attraper un poisson. À chaque fois, cela s’est passé sans que l’on s’en rende compte. On la voyait revenir trempée, avec juste le haut de la tête encore sec ! Le bateau a une jupe à l’arrière, qui permet à Moon de remonter seule, et elle a très vite compris comment s’en servir, ce qui nous rassure. Il y a aussi la fois où Moon a disparu pendant trois jours, alors que nous étions au port. J’étais terriblement inquiète. J’ai contacté l’association locale de protection des chats, publié une annonce sur PetAlerte et placardé des affiches partout. Un vent violent soufflait depuis plusieurs jours, rendant les recherches encore plus difficiles. Je sentais au fond de moi qu’elle était vivante et qu’elle n’était pas loin. Puis, la troisième nuit de sa disparition, à trois heures du matin, je me suis réveillée avec la sensation très claire qu’elle était là. Quelque chose m’a poussée à sortir du bateau. J’ai pris un paquet de croquettes, je suis descendue sur le ponton, j’ai secoué le sac et j’ai entendu un miaulement rauque. C’était Moon. Elle n’avait presque plus de voix à force d’avoir miaulé pendant tout ce temps. Par chance, le vent s’était calmé, ce qui m’a permis d’entendre ce faible appel. Moon était enfermée dans le bateau de notre voisin qui était absent. Quand j’ai enfin pu la serrer dans mes bras, j’étais en larmes de soulagement. Cette nuit-là, mon intuition m’a guidée… et cela m’a rappelé à quel point mon lien avec Moon est fort. En examinant le bateau du voisin, j’ai compris ce qui avait dû se passer : Moon, éternelle aventurière, avait réussi à entrer par le petit hublot du cockpit, resté entrouvert. Je pense qu’elle a exploré le bateau librement, jusqu’à ce que la porte de la salle de bain, sans doute poussée par un brusque mouvement du bateau à cause du vent, se referme derrière elle. Elle s’est alors retrouvée coincée, sans issue, incapable de sortir ni de se faire entendre avec le vacarme du vent.

Marie : Avez-vous déjà prévu votre prochain voyage en mer ?
Cécile : Oui, nous préparons une transatlantique. C’est un grand projet, et nous prenons le temps de bien le préparer. Nous partirons quand nous nous sentirons prêts, avec Moon bien sûr !
Une chose est sûre, après avoir eu la chance de passer quelque temps à bord du voilier, je ne saurais dire qui a le plus hâte de reprendre le large. Cécile et son compagnon, portés par leur amour de la nature et de la vie au grand air ? Leur voilier, imprégné des souvenirs des deux tours du monde qu’il a déjà accomplis ? Ou Moon, intrépide et libre, parfaitement dans son élément, comme si elle avait déjà navigué mille vies. Moon, un marin réincarné ? je n’ai plus de doute !

Marie Dunand
Assistante de direction