Culture contemporaineActualitésDu Lynx à la Baleine : tatouer les sons des animaux

Elodie Cretin7 août 20239 min

D’abord chercheuse puis aujourd’hui tatoueuse, Elodie Cretin, fondatrice de MUSHI TATTOO, a découvert une source inspiration unique : les signatures sonores des animaux. Fascinée par la visualisation des sons sous forme de spectrogramme, elle les transforme en motifs abstraits et épurés pour rendre hommage à nos colocataires non-humains. Les tatouages de son projet “Signatures Tattoo Project” portent un message de sensibilisation aux menaces qui pèsent sur le monde animal. Une partie des recettes est reversée à des associations de protection des animaux. Travaillant à la main, sans machine électrique, MUSHI TATTOO perpétue un geste ancestral en se rapprochant des méthodes traditionnelles du tatouage. Au-delà de l’art du tatouage, ce projet est une quête pour relier animaux humains et non-humains, sons et images, art et science, et célébrer la musique originelle du monde.

De chercheuse à tatoueuse

L’histoire commence en 2019 lorsque, de chercheuse, je suis devenue tatoueuse.

Je travaillais alors depuis 10 ans comme chercheuse en sciences humaines et sociales, dans le domaine des soins palliatifs et de la fin de vie. Puis, de façon assez inattendue, le tatouage s’est invité dans ma vie comme une sorte de déclic, à un moment où j’avais besoin d’équilibrer mon travail de chercheuse avec une pratique manuelle et artistique.

Une question s’est alors très vite posée : je voulais tatouer, d’accord, mais… tatouer quoi ? Chaque tatoueuse et tatoueur proposent en effet un univers et un style graphique qui leur sont propres. Il me fallait trouver les miens ! Une chose était certaine : je voulais travailler autour des animaux. J’ai en effet toujours nourri une tendresse et une admiration envers les animaux qui se sont développées en militantisme au fil des années. Je les ai toujours considérés comme nos colocataires et comme les victimes innocentes du monde que nous sommes en train de bouleverser et de détruire.

Tatouer des animaux : d’accord. Mais le monde du tatouage regorge d’artistes de talent qui proposent déjà des tatouages d’animaux que j’admire : je ne voyais vraiment pas comment faire mieux, tant leur travail correspondait à ce que j’aurai aimé savoir dessiner et proposer. C’est alors que deux événements se sont produits à quelques mois d’intervalle.

Signatures sonores et spectrogrammes

D’abord, j’ai eu l’occasion de voir l’excellent documentaire « l’Esprit des lieux » (1) de Nicolas Philibert sur le travail de l’audio-naturaliste et artiste sonore Marc Namblard : nous pouvions le voir arpenter la nature pour capter les sons des animaux. Mais nous pouvions aussi le voir, de retour de ses expéditions, installé devant son ordinateur, écoutant ses enregistrements et… visualisant les sons.

Sous forme de vagues, de lignes, de courbes, de pics, et de bien d’autres formes encore, les sonogrammes et les spectrogrammes donnaient à voir ce que l’on entend.

Photo : Chouette Hulotte

La surprise unique qu’offre la signature sonore de chaque individu m’a instantanément accrochée et la première chose qui m’est immédiatement venue à l’esprit était d’en faire des tatouages. De m’inspirer de cette matière, de ces sons et de leur représentation graphique pour rendre hommage aux animaux, via leur univers sonore.  

Puis quelques mois plus tard, lors d’un voyage en train, je reconnecte avec cette idée en écoutant le podcast « A l’écoute des cachalots et autres cétacés » (2). Mon projet prend alors forme très vite et avec certitude : ces signatures sonores seraient au cœur de mon travail.  Je me renseigne sur le travail des chercheurs et chercheuses qui intervenaient dans l’émission, puis je trouve rapidement des publications scientifiques de bioacoustique présentant des spectrogrammes. Plus tard, je contacterai également Marc Namblard qui m’enverra une collection de sons avec leurs spectrogrammes. C’est ainsi qu’est né, en 2020, mon projet « Signatures » qui est maintenant devenu ma spécialité.

« Signatures Tattoo Project » : de l’animal à votre tatouage

A partir de la littérature scientifique, de bases de données ou en lien avec des audio-naturalistes, je transcris donc la signature sonore des animaux en tatouages. C’est une façon originale d’encrer un animal, non pas de façon figurative, mais à travers un motif abstrait dont seule la personne tatouée connait la signification.

Pour chaque animal, je propose plusieurs variantes avec des motifs au plus proche du spectrogramme initial et des compositions en superpositions et symétries. Pour y ajouter une touche contemporaine, j’y intègre un point bleu qui vient signer et compléter l’esthétisme que je souhaite leur donner.  Lise, tatouée avec le chant du Merle noir, les résume ainsi : « ces tatouages sont aériens, épurés, suspendus. C’est beau car chacun peut y voir quelque chose de différent. Ce n’est pas figé. »

Je propose des tatouages réalisés à partir de mes propres recherches, en fonction des animaux qui m’inspirent ou qui comptent pour moi. Mais la plupart du temps, je reçois des demandes pour des projets personnalisés, autour d’un animal en particulier. Il peut s’agir d’animaux emblématiques (comme la baleine, l’aigle, le loup, l’éléphant…), mais aussi d’animaux plus communs (le crapaud, la mésange, le blaireau…), ou encore d’espèces très spécifiques comme le Naucler à queue fourchue ou le Martinet à ventre blanc. Les possibilités sont infinies !

Photo : Grand Dauphin

Et c’est ce que je préfère dans mon métier : ces demandes sont l’occasion d’aller vers des animaux auxquels je n’aurai pas pensé, ou même que je ne connaissais pas. C’est ainsi que j’ai par exemple fait la rencontre du Strigops Kakapo, perroquet nocturne endémique de Nouvelle Zélande, classé en danger critique.  J’ai également eu l’occasion de travailler non pas autour de la signature sonore d’un individu, mais de celle du paysage sonore d’un récif corallien (3).

Photo : Orque

« En plus du fait que ce sont des tatouages originaux, vus nulle part ailleurs, ils sont extrêmement élaborés. Ils résultent de longues et minutieuses recherches sur chaque espèce et chaque chant. Ils sont basés sur des données scientifiques mais sont aussi adaptés pour être esthétiques. » Eva, tatouée avec la Baleine à bosse.

Se relier aux animaux non-humains et à un geste ancestral

Ces tatouages « Signatures » sont pour moi une manière de mettre en avant l’importance du monde sonore des animaux dans un monde où Bernie Krause, célèbre musicien et bioacousticien, estime que 50% des sons de la nature ont disparu en 50 ans (4).  Ce projet est ainsi une façon de sensibiliser aux menaces qui pèsent sur le monde animal et une partie des recettes est reversée chaque année à des associations de protection des animaux.

En donnant accès à l’individualité de chaque animal, la signature sonore permet de se relier de façon intime à nos colocataires non-humains : « ces tatouages renvoient à la dimension supérieure de notre lien avec le vivant, à l’esprit même des animaux, à travers leur langage. » (Samuel, tatoué avec le chant du Beluga). Ces « tatouages sonores » sont aussi une manière de reprendre contact avec la musicalité originelle du monde, donnée par les animaux tout autour de nous.

Se relier, se reconnecter… : c’est aussi par le geste du tatouage lui-même que cela prend sens. En effet, je travaille uniquement en « handpoke », c’est-à-dire à la main, sans machine électrique, point par point, ce qui me permet de perpétuer un geste ancestral proche des méthodes traditionnelles du tatouage. C’est pour moi une forme de méditation qui me love avec les tatoués dans une lenteur simple, répétitive et relaxante.  

Photo : Chouette Athena

Voilà comment j’ai trouvé, à travers ce projet, une façon loger les animaux au cœur de ma pratique, à travers une démarche qui dans son intention, me permet de relier animaux humains et non-humains, sons et images, art et science.

Références :

1.marcnamblard.fr/Le-film-L-esprit-des-lieux

2.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/lsd-la-serie-documentaire/a-l-ecoute-des-cachalots-et-autres-cetaces

3. Lamont, T. A., Williams, B., Chapuis, L., Prasetya, M. E., Seraphim, M. J., Harding, H. R., … & Simpson, S. D. (2022). The sound of recovery: Coral reef restoration success is detectable in the soundscape. Journal of Applied Ecology, 59(3), 742-756. youtu.be/97M2muq9JQc

4.liberation.fr/musique/2016/08/01/bernie-krause-harmonies-vivantes


Elodie Cretin
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