L’ours polaire, animal emblématique du grand nord et figure iconique de la lutte contre le dérèglement climatique, parcourt chaque année des milliers de kilomètres. Son territoire ne connait aucune frontière.
Seules les glaces marines nécessaires à sa survie (il s’alimente principalement de phoques tués sur la banquise) déterminent les limites géographiques de son espace.
Les besoins naturels de l’ours polaire rendent la captivité du plus grand carnivore terrestre particulièrement inadaptée et, à vrai dire, contraire à ses impératifs biologiques et psychologiques. Il s’agit ni plus ni moins d’une atteinte intolérable à la liberté, à la vie de cette espèce. Une vraie faute morale à son encontre.
En raison de sa rareté, du « charisme » et de l’image qu’il dégage, l’ours polaire est une espèce très prisée des zoos.
Selon le recensement effectué par l’ONG « Bear Conservation » (« Captive Polar Bear Directory ») en 2019, 152 zoos dans le monde détiennent des ours polaires soit 316 individus. Ce chiffre de surcroit est en trompe l’œil car il existe des structures non officielles voire des particuliers qui en détiennent hors de tout cadre règlementaire.
L’ours polaire, en particulier depuis une quinzaine d’années (sans doute depuis « Knut »), est devenu pour les zoos et même pour des structures hôtelières un « produit » particulièrement attractif et « juteux ».
Deux exemples apparus récemment illustrent cette marchandisation croissante du seigneur de l’arctique :
- Le business autour de la naissance d’oursons polaires (I) ;
- La création de lodges et de chambres d’hôtels proposant des formules permettant de « dormir avec les ours polaires » (II)
I- La naissance d’oursons polaires
La naissance d’un ourson polaire constitue, pour un zoo, une excellente nouvelle annonciatrice de recettes substantielles. L’évènement est très rare et, à ce titre, doit être largement exploité.
Bien évidemment les zoos soulignent le caractère exceptionnel de la naissance et son intérêt pour « sauver » l’espèce étant rappelé que ces structures commerciales affirment jouer un rôle dans la conservation des espèces en constituant des réservoirs de gènes et en sensibilisant le public aux conséquences du réchauffement climatique.
Il doit être rappelé que les zoos en vertu de l’arrêté du 25 mars 2004 (modifié par l’arrêté du 19 mai 2009) doivent, selon l’article 53, participer à la préservation des espèces animales sauvages que « leurs populations se trouvent dans leur milieu naturel ou hébergées en captivité ».
Les zoos participent donc, selon l’obligation qui leur est faite, à des programmes de conservation, excellente caution à leurs activités mercantiles.
Chacun sait cependant qu’un ours polaire né en captivité ne pourra jamais être introduit dans son milieu naturel. De surcroît a quoi cela peut-il servir de constituer un réservoir de gènes si par ailleurs les glaces marines vitales à son existence disparaissent ? Cela n’a aucun sens. En outre un ours polaire en captivité développe des stéréotypies qui font de lui un individu malade et non représentatif de son congénère en liberté.
Lorsque nait un ourson polaire, une très efficace et large campagne de marketing, de marchandisation de l’ourson est initiée par les zoos, le tout sous couvert de « conservation de l’espèce » et de « sensibilisation à la lutte contre le réchauffement climatique ».
Cette « tendance » a commencé à la naissance de l’ourson Knut au zoo de Berlin en 2006. Devenue une véritable « star » planétaire et désigné « ambassadeur de la lutte contre le réchauffement climatique », Knut a généré des millions d’euros de recettes à lui seul pour le zoo qui n’a jamais été aussi profitable au cours de son histoire (le zoo de Berlin est une société cotée en bourse). Des centaines de milliers de visiteurs se sont pressés autour de son enclos… du moins tant qu’il était encore jeune.
Plus âgé et ayant entretemps revêtu la robe d’un ours polaire adulte, il n’intéressa plus grand monde et mourut noyé dans son bassin le 19 mars 2011. Il aura néanmoins généré au cours de sa vie un montant de l’ordre de 140 millions de dollars de chiffre d’affaires selon l’interview que donna le directeur marketing du zoo le 26 mai 2011 au magazine « Bloomberg Business Week ».
Récemment le zoo de Mulhouse a annoncé la naissance d’une oursonne née le 22 novembre 2020. C’est la seconde fois, en l’espace de 4 ans, qu’un tel évènement se produit dans ce zoo. Le 7 novembre 2016 un ourson (le premier en France depuis 20 ans), baptisé ultérieurement « Nanuq » y était déjà né.
Par communiqué du 25 février 2021, le zoo a fait état de la première sortie de « Kara » (nom retenu après consultation des internautes qui étaient 7500 à participer !) âgée de 3 mois. Dans ce communiqué le directeur du zoo précise que
« Alors même que l’ours polaire n’est aujourd’hui officiellement pas en danger d’extinction, la communauté scientifique redoute une extinction très rapide, dans les prochaines décennies, si rien n’est fait pour lutter très activement contre la fonte de la banquise » et rappelle« l’action des parcs zoologiques » qui « prend alors un double sens : conserver un patrimoine génétique qui, s’il est certes moins menacé aujourd’hui que celui de certaines espèces, peut disparaître dans quelques décennies à peine, et mettre à profit le capital sympathie de l’ours polaire pour sensibiliser les publics au rôle que nous pouvons tous jouer ».
À chaque naissance (pour combien de décès prématurés ?), les zoos procèdent de façon immuable comme suit :
- ils attendent d’abord de savoir si l‘ourson est « viable » ;
- puis ils diffusent (à l’aide de caméras installées dans les « tanières ») dans les médias et, surtout, sur les réseaux sociaux, des vidéos montrant les oursons avec leur mère, des images attendrissantes gages de succès de la présentation à venir et d’attrait pour le public ;
- ils proposent ensuite aux internautes de choisir un nom ;
- et enfin, l’évènement majeur, la première sortie de l’ourson-ne
Plusieurs mois après, l’ourson a changé physiquement, il est moins attractif, revêt désormais la « peau » d’un ours adulte et l’intérêt du public cesse. L’ours un peu plus tard en tant que jeune adulte est souvent « transféré » vers un autre zoo afin de perpétuer l’espèce.
II- Le développement des formules « passez une nuit avec les ours polaires »
Dans la concurrence à laquelle se livrent les zoos pour survivre, ces derniers doivent sans cesse rivaliser de « nouveautés » pour attirer le public.
Ainsi, certains d’entre eux offrent désormais des « séjours de rêve » à proximité immédiate des ours, le tout dans un espace sécurisé et luxueux.
Deux exemples méritent d’être cités :
- le zoo de la Flèche dans la Sarthe qui propose depuis 2014 l’hébergement dans des lodges au cœur de l’espace baptisé « Wild Arctic ». L’observation se fait à travers de grandes baies vitrées. « Dormir face aux ours polaires », telle est l’une des propositions de séjour dans l’enceinte même du zoo ;
- Le « resort » belge de « Pairi Daiza » (élu « meilleur zoo d’Europe ») qui propose une formule similaire depuis le 21 mars 2020 (« La terre du froid ») selon trois formules : en tête à tête avec les animaux, avec vue panoramique et sous l’eau.
Ces formules de séjour sont de vrais succès. L’attente pour pouvoir y réserver une nuit ou un week-end est de l’ordre d’un an en dépit d’un prix très élevé (quelques centaines d’euros pour un nuit). Leur succès laisse à penser que cette formule se développera largement à l’avenir.
On peut se poser la question du respect du bien-être des ours polaires qui sont ainsi exposés jour et nuit aux regards des occupants des lodges. La lumière artificielle la nuit est-elle source de stress ?
Les occupants des lodges qui tapent contre les vitres perturbent-ils les animaux ? Les ours peuvent-ils aisément rejoindre une zone abritée des regards afin de se soustraire aux éventuelles perturbations ?
Un cas extrême de « business » autour de la formule « dormir avec des ours polaires » a fait la Une des journaux, magazines et des réseaux sociaux : celui d’un hôtel au sein du Harbin Polar Park à Harbin en Chine. Les deux ours y sont exhibés dans un espace exiguë situé au centre d’un hôtel dont les murs aux larges fenêtres sur plusieurs étages cernent littéralement les ursidés. Pas le moindre aménagement pour assurer un bien-être minimal. Rien. Un sol nu artificiel et par endroit vitré, un bassin ridicule, un décor kitsch à pleurer, aucune zone de refuge permettant aux animaux de se soustraire ne serait-ce qu’un instant aux regards des touristes.
De très nombreux internautes y compris en Chine, des ONG notamment Peta, des médias se sont emparés de ce cas extrême pour demander la fermeture de cette exhibition et souligner le scandale de la captivité des ours polaires, vraie faute morale de l’humain à l’égard de cette espèce.
Les ours polaires en raison de leur rareté, des menaces dont ils sont l’objet, de leur fort pouvoir de séduction sont de véritables « cash machines » pour les structures les tenant captifs.
Pour que cela cesse, il importe d’éduquer le public, lui faire comprendre qu’un ours polaire en captivité n’a rien à voir avec un animal libre qui parcourt chaque année des milliers de km, afin de l’amener à renoncer à participer à la perpétuation d’un business qui constitue une atteinte à la vie et à la liberté d’une espèce iconique.
Photos © : Laurent Baheux
Jean Marc Neumann
Juriste, consultant en protection animale et chargé d’enseignement en droit de l’animal.
Auteur de « L’ours polaire et le droit » est publié aux éditions L ’Harmattan dans le cadre de la collection « Zoosémiotique » et préfacé par Astrid Guillaume, Sémioticienne et Maître de conférences à la Sorbonne.