Culture contemporaineActualitésLes sentes cavalières – Carnet de voyage de Julie Wasselin

Savoir Animal14 novembre 202312 min

Julie Wasselin est l’auteur de plusieurs ouvrages sur les chevaux. Son dernier livre, « Les sentes cavalières », aux éditions de l’Harmattan, a pour sous-titre Carnet de voyage. Un voyage à travers le temps, l’espace, les personnes et le monde du cheval.

La meilleure façon d’aimer les chevaux, c’est de s’en faire accepter comme si l’on était l’un des leurs… c’est que nous enseigne Julie dans son dernier livre. Elle nous invite à entrer dans ce monde avec une infinie bienveillance à leur égard, comme à celle de tous les animaux.  

N’aurait-il pas été plus populaire et abordable pour le grand public d’utiliser le mot sentier ?

Je trouve plus élégant le mot sente… « sentiers cavaliers » ne l’aurait pas été. Je suis exigeante quant aux choix des mots ; ce que j’écris n’est pas toujours simple et ça m’est égal : j’aime que ce soit harmonieux. Le vocabulaire des chevaux en particulier est assez mal connu à présent, pourtant, quantité d’expressions utilisées sans y réfléchir viennent de leur monde ; c’est pourquoi je mets pas mal de notes explicatives en bas de page. L’écriture… c’est un exercice de style ; personnellement, j’éprouve le besoin qu’elle ait un rythme. C’est ainsi que je cherche toujours le mot qui correspond véritablement à ce que je ressens, tout en sachant que personne ne le « vivra » de la même façon que moi… et que je peux le remplacer si je sens qu’il manque une syllabe dans une phrase ou si l’une d’elles est en trop ; la poésie n’a pas besoin d’être versifiée ; la difficulté, c’est d’arriver à ce que le résultat reste naturel. Je peux recommencer une page quinze fois.

Les perfectionnistes sont des gens insupportables…

Avez-vous écrit un livre autobiographique ?

Oui et non… c’est vrai que j’ai passé plus de 50 ans avec des chevaux, j’ai donc vécu pas mal de choses. Quand elles sont trop personnelles, je les transforme : un homme devient une femme, je change les dates et les lieux, pas toujours, d’ailleurs, mais l’histoire reste vraie. En fait, je raconte surtout ce que j’ai vu, entendu, ou des faits que l’on m’a rapportés : il n’y a donc pas que du vécu.

 À l’occasion d’un déménagement, j’avais remis le violon de ma mère dans sa boite, un étui très fatigué, puis je l’avais oublié. Un jour de grand nettoyage, trouvant cette boîte trop vilaine, je l’avais lancée au feu avec tout un tas de vieilleries, sans regarder ce qu’il avait dedans. Je n’ai jamais retrouvé le violon… oui, j’ai honte !

L’histoire de cet homme venu tenter sa chance en brocante est tragique. Visiblement obligé de se séparer des dernières choses qui lui tenaient à cœur, sa selle, sa bride et ses bottes, entre autres, il les avait déposées au sol sur une couverture face à mon stand, puis il avait ôté sa veste et l’avait ajoutée au reste, alors qu’il faisait très froid… les badauds l’avaient ignoré, il était parti sans avoir rien vendu.

Je m’en veux encore de ne pas lui avoir acheté tout ce qu’il avait apporté.

Pour une passionnée comme vous, pouvez-vous vraiment vivre sans cheval ?

Mal… mais c’est ainsi que cela se termine. Alors, comme je ne suis pas masochiste, je ne vais plus sur les terrains de concours parce que ça me retournerait le couteau dans la plaie… mais aussi parce que je pourrais craquer pour un cheval, je me connais… et que je serais désolée de ne pas repartir avec lui ! il faut être raisonnable quand on frôle les 80 printemps. Alors, quand j’en vois quelques-uns dans les prés, je tourne la tête.

Je ne vais pas me plaindre… j’ai vécu mon rêve pendant des années, et ce n’est pas donné à tout le monde, même si pour cela, je me suis privée de pas mal de choses. Mon bonheur était là. Évidemment, j’y pense tous les jours.

J’ai eu récemment l’occasion de retrouver des chevaux que j’avais bien connus. Ils se portent bien et ce fut un grand moment… mais en même temps ce fut insupportable parce qu’ils sont entre les mains d’une personne « qui sait tout » et que j’ai vue faire de graves erreurs…  Je n’y retournerai pas.

Il n’est jamais bon de retourner sur ses pas.

Battre les autres ne m’a jamais intéressée, mais aller en concours pour voir si j’avais progressé, ça oui, ça m’a branchée… et gagner, parfois, parce qu’on a bien travaillé, c’est la seule solution qui soit acceptable.

Les règles changent un peu trop souvent à mon goût.  J’ai volontairement quitté les tribunes et les jugements voici 15 ans… il y aurait fort à dire sur ce qu’on y voit de temps en temps.

Avez-vous lu le rapport sur le bien-être équin de Loïc Dombreval[1] ?

Oui… tout doit être fait pour respecter les chevaux, et pas seulement en concours.

Entre un animal qui s’ennuie au pré et un animal qui est au « paradis », quelle est la meilleure situation selon vous ?

On voit assez souvent des chevaux seuls au pré, alors que c’est un animal qui a un instinct grégaire très développé. Seul, il est malheureux. Il faudrait faire en sorte qu’il ait toujours de la compagnie. Pour cela, lui adjoindre un mouton, par exemple, ou bien offrir sa retraite à un shetland (petit poney) qui a tourné toute sa vie en manège ; un shetland ne coûte pas cher à entretenir. Il peut vivre 40 ans, il est robuste, sympa et très intelligent.

Je serais incapable de laisser un cheval seul, mais de là à l’euthanasier parce qu’il est seul… sûrement pas ! C’est déjà tellement difficile de prendre la décision quand ils sont « au bout du rouleau ».

Imaginons une personne très âgée qui continue à avoir des chevaux. A son décès, existe-t-il en France un système pour anticiper cette situation ?

Certaines personnes en ont fait leur raison d’être. Mais il faut être certain qu’elles sont honnêtes. Si c’est le cas, c’est un véritable apostolat.

Entretenir un cheval coûte cher, même quand on l’a chez soi : vétérinaire, ferrures, vaccinations, vermifuges, etc. Très souvent les gens qui ont des chevaux ne roulent pas sur l’or… le cheval, ce n’est pas seulement un « truc de riche ».

Actuellement les prix s’envolent, par conséquent le risque de voir des abandons se multiplier n’est pas une utopie. Certains chevaux mourront de faim ou seront conduits à l’abattoir.

Le foin est devenu très cher ; comme les fermiers ont de plus en plus de bétail à nourrir, il faut de plus en plus de foin, et la sécheresse n’aide pas ; or, lorsqu’il n’y a pas assez de foin, il est clair que les chevaux de loisir ne passent pas en priorité.

En ce moment de petits clubs ferment leurs portes car les parents n’ont plus les moyens d’y inscrire leurs enfants… les chevaux qui sont là sont donc plus ou moins condamnés, et on ne les accroche pas au plafond d’un garage comme des vélos pour s’en servir plus tard.

De tout temps les chevaux ont souffert, pourtant, sans eux, « l’humanité » qui porte si mal son nom, n’aurait pas fait grand-chose… La situation actuelle me fait peur hélas, les chevaux paieront l’addition en premier.

Est-ce que le fait que les chevaux ne soient pas considérés comme des animaux de compagnies explique ce revers de médaille ?

Non… il n’y a qu’à voir le nombre de chiens et de chats abandonnés chaque année !

À notre époque, les chevaux sont devenus des animaux de compagnie. Mais pour certains, un cheval n’est qu’un faire-valoir. Quand il ne va assez bien on en achète un autre, puisque c’est toujours de sa faute, quand le résultat n’est pas là, jamais celle du meneur ou du cavalier ; pourtant le cheval ne fait strictement que ce qu’on lui demande. On a énormément à apprendre des chevaux. Le cheval est un animal d’une gentillesse invraisemblable : ce ne sont pas les chevaux qu’il faudrait dresser (je déteste ce mot), mais les meneurs ou cavaliers. Si vous demandez à un cheval d’aller jusqu’au bout de ses forces, il le fera, il vous donnera sa vie[2]. C’est à l’homme de garder raison et de se retenir.

La plus belle chose qu’un cheval enseigne, c’est la modestie… encore faut-il l’écouter. Il est indispensable de se remettre en question. Si le cheval ne va pas bien, c’est que vous faites du brouillage sur la ligne ; pourtant, avec une patience angélique, il attend que vous formuliez votre demande correctement… quel soulagement pour lui, lorsque vous y parvenez ! 

Et les chevaux utilisés lors des chasses à courre… ?

Je n’aime pas l’utilisation que l’on fait de la plupart des chevaux lors des chasses à courre.  À notre époque, les cavaliers qui les suivent sont souvent des cavaliers du dimanche qui louent leur cheval pour l’occasion. Il existe des établissements qui entretiennent des chevaux à ne rien faire et qui les louent pour la chasse. Imaginez quelqu’un qui  serait assis dans un fauteuil toute la semaine et à qui on demanderait de faire un marathon le dimanche… ces chevaux-là finissent tous cardiaques.

À vous lire on a l’impression que tous les chevaux sont parfaits. Est-ce que le cheval idéal existe ?  Et comment est-il à vos yeux ?

Le cheval est notre reflet, il nous tend un miroir. Si vous le montez mal, il ira mal. Si vous le montez bien, il ira bien. Le cheval ne fait que ce qu’on lui demande. Dans la mesure où le cheval possède une patience extraordinaire, en général, il vous supporte gentiment. Le cheval n’est jamais méchant, mais l’homme peut le rendre méchant. Certains les frappent ou utilisent des moyens de coercition…

Cependant, le cheval n’oublie jamais rien. Par le passé, des charretiers se sont fait écraser contre un mur par des chevaux qu’ils martyrisaient.

Le cheval idéal, c’est celui qui vous accepte parce que vous lui « parlez » gentiment !

Quelle est votre position par rapport au mors ?

Qu’il n’est pas un frein à main… et requiert une main délicate. Mais, je ne vais pas me lancer dans un cours d’équitation ! 

Oui, on peut monter à l’assiette… par translation, le poids du corps peut ralentir le cheval, et le déplacer à droite ou à gauche, entre autres choses. On fait corps avec lui, on entre dans le cheval, on devient cheval… c’est une osmose ; je suis même persuadée qu’on en arrive à la transmission de pensée.

Que pensez-vous des centres équestres ?

Que certains sont devenus des garderies d’enfants… et que le niveau des moniteurs s’est beaucoup dégradé. Quand on en voit certains à cheval, on se demande ce qu’ils peuvent enseigner, tant leur attitude prouve qu’ils n’ont pas tout compris : un cavalier qui n’est pas « assis » ne peut avoir un cheval en équilibre, or avoir un cheval en équilibre « et » le garder en équilibre, est le secret de l’équitation.

Avez-vous un animal actuellement ?

Il me reste un chien, et ce sera le dernier. Ma hantise est de ne pas réussir à l’accompagner jusqu’au bout. J’ai un sentiment de responsabilité très fort et j’appréhende ce qui pourrait lui arriver sans moi. Avoir un animal, c’est avant tout ne pas penser à soi.

D’abord parce que je ne souhaite pas commencer à « radoter » …

Il me semble que j’ai fait le tour de ce que je voulais raconter ; voilà 17 ans que j’écris, c’est mon 15ème livre, mais 2 ou 3 d’entre eux ne concernent pas ou peu les chevaux.

Ne plus écrire me manque, oui, bien sûr, et en même temps, je n’en ai plus envie. J’ai aussi les yeux qui sont devenus fragiles et je supporte mal de passer des heures sur l’ordinateur à présent ; puis je déteste écrire à la main.

Je préfère terminer sur un livre que j’aime et qui aidera peut-être certains à rêver ?

Peut-on parler d’un livre hommage ?

C’est plutôt un adieu à ce qui m’a donné l’envie de vivre, mais effectivement, dans mes livres j’ai surtout rendu hommage aux chevaux ; les écrire a été ma façon de les garder en vie et de les partager.

Est-ce vraiment votre dernier livre ?

J’aimerais écrire l’histoire de ma famille, mais elle est si détestable que je n’y parviens pas.

Des histoires de chevaux ? Oui, j’en ai encore quelques-unes, mais pas assez pour emplir un livre. Un livre, c’est un travail énorme, et je suis fatiguée… tant pis, je les emmènerai avec moi.

Puis il faut sans doute savoir s’arrêter avant d’écrire le livre de trop !

Quel est le point commun entre un ancien cavalier et un cheval à la retraite ?

En vieillissant, je crois que l’être humain se détache des choses et s’approche de la mort avec sérénité, enfin, je l’espère… alors que le cheval ne sait pas ce qui l’attend, même s’il a, semble-t-il, la conscience que quelque chose d’inéluctable s’approche.

Alors, afin que nous trouvions le sommeil sans trop de remords, je me dis parfois que, par chance, les chevaux ne parlent pas… et n’écrivent pas !


[1] Rapport du groupe d’études Condition animale, présidé par Loïc Dombreval, Député des Alpes-Maritimes, sur le bien-être équin – Recommandations pour les Jeux Olympiques de Paris 2024

[2] Il y a eu par le passé des défis d’endurance lancés par des aristocrates sur des centaines de kilomètres… forcés, sans ménagement, très peu de chevaux sont arrivés vivants.

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