Qu’est-ce que le droit animalier ?
Le droit animalier doit être rigoureusement distingué du droit animal ; lequel serait le droit que les animaux se donneraient à eux-mêmes. C’est une hypothèse audacieuse qui est actuellement explorée avec enthousiasme par Philippe Jestaz, le grand spécialiste français des sources du droit. Si elle se vérifiait, le droit animal stricto sensu se développerait à côté de l’ensemble beaucoup plus vaste du droit animalier défini en ces termes dans l’ouvrage écrit avec Florence Burgat et Jacques Leroy (PUF 2016): c ‘est l’ensemble des dispositions légales et réglementaires – on pourrait ajouter jurisprudentielles et internationales- actuellement en vigueur. Ces dispositions de droit animalier positif visent à protéger les animaux en tant qu’êtres individuellement sensibles ou en tant qu’espèces mais, beaucoup plus souvent qu’on ne se l’imagine, elles cherchent à protéger contre les animaux qui peuvent attaquer, transmettre des maladies, ravager les ressources vivrières… L’ensemble de ces règles abordent des questions cruciales sur la vie et la mort, la servitude et la liberté, la douleur et le bonheur qui se posent aussi pour les êtres humains. Les étudier en droit animalier modifie nécessairement le regard qu’on leur porte quand on les aborde en droit des droits de l’homme. Le droit animalier est donc également riche d’un passionnant volet anthropologique.
Le droit animalier positif peut être complété, bien entendu, par un droit animalier prospectif travaillant à préparer et à faire émerger les dispositions qui, à l’avenir, protègeraient mieux les animaux ou aideraient à se protéger contre eux de manière moins expéditive.
Qu’avez-vous fait pour faire évoluer cette matière ?
L’âge étant venu, il me semble avoir fait tout ce que je pouvais, tout seul au début et de plus en plus accompagné au fil du temps, non pour faire évoluer cette matière mais plutôt pour la faire émerger en soulevant la chape de mépris, de condescendance, de moqueries et de railleries qui pesait sur tous les juristes s’intéressant ou plutôt essayant de s’intéresser aux questions d’intérêt animalier. Les principaux moyens déployés pour aider à la reconnaissance, désormais incontestable, du droit animalier en tant que discipline autonome respectable ont été la rédaction, sous la direction du Doyen Claude Lombois qui avait eu l’audace de me laisser avoir de l’audace, d’une thèse intitulée “L’animal en droit privé” soutenue en 1987 et publiée aux PUF en 1992.
Après ce travail exploratoire, les recherches en droit animalier se sont poursuivies par quelques articles publiés dans le Recueil Dalloz (« l’animal dans le nouveau code pénal ” en 1995, “La personnalité juridique des animaux” en1998, “La protection juridique du lien d’affection envers un animal” en 2004) qui ont peut-être aidé la petite communauté des juristes à se convaincre qu’il commençait peut-être à se passer quelque chose. Puis en 2005 ce fut l’organisation avec Olivier Dubos d’un colloque intitulé “les animaux et les droits européens. Au-delà de la distinction entre les hommes et les choses” dont les Actes devaient être publiés aux éditions Pédone en 2009. Cette intense reprise de contact, avec un sujet qui n’avait jamais été abandonné mais qui avait été relégué au second plan pour permettre de labourer le champ du droit européen des droits de l’homme, allait faire germer l’idée de la création de la Revue semestrielle de droit animalier (RSDA).
Créée en 2009 avec Florence Burgat et Jacques Leroy, la RSDA qui, de l’origine jusqu’à maintenant a toujours été mise en ligne (désormais sur le site de l’IDEDH) avec une semestrielle régularité, constitue une collection de 22 numéros qui s’enrichira encore de semestre en semestre. Sous ma direction, et avec le concours indéfectible des deux cofondateurs précités, du directeur adjoint Xavier Perrot, des rédacteurs en chef ou rédactrices en cheffe adjointes Claire Vial, Olivier Le Bot, Ninon Maillard, Lucille Boisseau Sowinski, Séverine Nadaud, du Secrétaire de rédaction François Pélisson, la RSDA semble s’être enracinée dans le paysage scientifique et être devenue un puissant vecteur de diffusion du droit animalier.
En 2018 avec Jacques Leroy, Lucille Boisseau-Sowinski, Séverine Nadaud, Emilie Chevalier, Caroline Boyer-Capelle et avec le soutien de la Fondation 30 Millions d’amis j’ai lancé chez Lexis Nexis la première édition du Code de l’animal ( aussitôt suivie d’une 2eme en 2019 en attendant la 3ème en 2021).
En 2016, avec Lucille Boisseau -Sowinski, j’ai aussi créé le premier DU de droit animalier dont nous reparlerons.
Enfin et peut-être surtout, en tant que directeur de thèse, j’ai fait soutenir trois thèses de pur droit animalier, toutes publiées ou en cours de publication, qui avec deux ou trois autres dont celle magistrale de Sonia Desmoulin-Canselier “L’animal entre Science et Droit”, sont devenues des agents de diffusion du droit animalier en France et sans doute un peu au-delà. Il s’agit des thèses de Lucille Boisseau-Sowinski “La désappropriation de l’animal ” Pulim 2013, Pierre-Jérôme Delage “La condition animale Essai juridique sur les justes places de l’Homme et de l’animal” (Mare & Martin 2015) et David Chauvet “Les animaux face au droit naturel” (à paraître aux éditions L’âge d’homme).
Pourquoi avez-vous soutenu une thèse en droit animalier en 1987 ?
Je suis né et j’ai grandi dans une ferme limousine où j’ai pu vivre et partager toutes les scènes, des plus douces aux plus épouvantables, où les animaux jouent le premier rôle. En outre j’ai appris à lire, à écrire, et presque à compter à l’école d’un petit village qui s’appelle Bêthe. J’étais donc tout à la fois particulièrement qualifié et prédestiné pour parler d’un sujet qui au fond est au cœur de toutes mes recherches en droit animalier comme en droit européen des droits de l’homme : la souffrance.
Vous êtes à l’origine du premier DU en droit animalier en France. Quelle en est la finalité ?
En créant, en 2016 avec Lucille Boisseau-Sowinski le premier DU de droit animalier aujourd’hui dirigé par Séverine Nadaud et qui accueille chaque année universitaire deux promotions d’étudiants en septembre et en janvier, nous avons découvert et compris l’importance de cette citation de Jules Michelet “Un système de législation est toujours impuissant si l’on ne place pas, à côté, un système d’éducation”.
Sur le papier, le droit animalier y compris sous son volet protecteur des animaux existe et depuis le décret du 7 septembre 1959, la loi du 19 novembre 1963, la loi du 10 juillet 1976 ou la loi du 16 février 2015, il n’a pas si piètre allure. Encore faut-il bien le connaître pour savoir le faire appliquer et mieux le faire évoluer. Le DU a donc pour objectif de former des “voltigeurs du droit animalier” qui seront mieux formés pour mobiliser efficacement l’arme juridique, de leurs postes de responsabilités professionnelles ou associatives. D’une certaine manière le DU a pour vocation de “réveiller le droit qui dort”. En tout cas il peut aider beaucoup de passionnés de la cause animale à vaincre le fléau qui la mine de l’intérieur c’est à dire ne rien savoir faire d’autre que de s’indigner. S’indigner, Stéphane Hessel l’a admirablement montré, c’est essentiel mais il arrive un moment où cela ne suffit plus. Peut-être même advient-il un stade où cela devient contre-productif par exemple en donnant des arguments en or massif à ceux qui attendaient le moindre prétexte pour créer des cellules Demeter… Apprendre à maîtriser efficacement le droit grâce à une formation universitaire est une des manières de savoir dépasser concrètement et efficacement la phase indispensable de l’indignation.
Comment pensez-vous faire (encore) évoluer le droit animalier ?
A part continuer à diriger la Revue semestrielle le droit animalier, je n’en ai strictement aucune idée. J’ai toujours à peu près réussi jusque-là en saisissant instantanément et à bras-le-corps les occasions qui passaient. S’il s’en présente d’autres et si j’ai toujours les bons réflexes, je ne manquerai pas de vous en informer.
Peut-il évoluer positivement sans vous ?
Qu’il ne puisse pas évoluer positivement sans moi serait le signe indubitable d’un échec lamentable. Comme je ne pense pas avoir échoué, je suis persuadé qu’il évoluera positivement sans moi. Plus sérieusement, je suis convaincu que la société civile aspire si fortement à une meilleure prise en considération des animaux que le droit animalier aurait évolué positivement si en 1987 j’avais soutenu une thèse sur les libéralités entre époux ou sur la caducité.
Jean Pierre Marguénaud
Agrégé de droit privé et de sciences criminelles.
Chercheur à l'Institut de droit européen des droits de l'homme (IDEDH) Université de Montpellier.
Directeur de la Revue semestrielle de droit animalier