Numéro 16Animaux domestiquesLa fatigue compassionnelle des professionnels

Réale Couchaux15 juillet 20246 min

Si la fatigue compassionnelle est largement prise en compte dans le cadre des risques psycho-sociaux du personnel soignant, elle est quasi inexistante dans les réflexions menées auprès des professionnels du secteur animalier en France. Pourtant, toute personne investie dans une mission de soins auprès des animaux, que ce soit en tant que bénévole ou salarié, est ancrée dans une relation d’aide à autrui, et de ce fait est soumise aux mêmes risques psycho-sociaux que le personnel soignant.

Fatigue compassionnelle, anesthésie émotionnelle, Burn-out, sont des réalités du quotidien des soignants animaliers, à savoir les professionnels de la Protection Animale et de la médecine vétérinaire. Le taux élevé de suicide chez les vétérinaires est une réalité chiffrée. D’après une étude réalisée en 2022 pour le compte de l’association Véto-Entraide et du CNOV auprès de 3244 vétérinaires français, le taux de suicide dans la profession est trois à quatre fois plus élevé que parmi les professionnels de santé humaine. Du côté des personnes engagées dans la Protection Animale, les chiffres manquent encore aujourd’hui en France pour évaluer l’impact des RPS (Risques Psycho-Sociaux).

Parmi ces RPS, nous allons nous attarder sur la fameuse fatigue compassionnelle, largement étudiée aux Etats-Unis et au Canada, mais qui reste marginalisée en France lorsque l’on évoque le bien-être des soignants du secteur animalier. C’est effectivement outre-Atlantique que nos recherches nous ont conduit, avec la reconnaissance de l’exposition permanente des soignants du secteur animalier au stress émotionnel et aux traumatismes.

Notons tout d’abord qu’il existe une bataille terminologique aujourd’hui quant au terme fatigue compassionnelle. Les récentes recherches canadiennes en neurobiologie lui font préféré celui de fatigue de l’empathie. La recherche neurobiologique révèle que les réseaux cérébraux activés par des actes d’empathie sont très différents des zones du cerveau qui sont activées par des actes de compassion. La compassion active et stimule des zones du cerveau qui sécrètent des neurotransmetteurs positifs qui nous revigorent, comme l’ocytocine et la vasopressine. En revanche, l’empathie stimule des zones du cerveau qui détectent et perçoivent la douleur et les sentiments associés au stress, réduisant ainsi la quantité de neurotransmetteurs du bien-être.[1]

La fatigue compassionnelle, ou fatigue de l’empathie, peut se définir comme une profonde lassitude du fait de contacts répétés avec de multiples vécus douloureux. Elle est spécifique aux métiers d’aidant auprès d’individus en souffrance. Elle se manifeste de plusieurs façons :

  • Un sentiment de surcharge de contacts avec des animaux en souffrance, qui induit la sensation d’être vidé face à tant de détresse et de désespoir
  • Un sentiment de perdre sa capacité à éprouver de l’empathie, et de se comporter de manière bienveillante
  • Des comportements de distanciation vis-à-vis des autres, avec un évitement des interactions, et un abandon de tout investissement relationnel
  • Une grande lassitude, un épuisement, une perte d’énergie et de plaisir
  • Une hypersensibilité et l’impression de ne plus avoir de frontières protectrices
  • Une perte douloureuse du sentiment de vocation

L’usure de compassion se manifeste sur le plan physique, émotionnel et spirituel, ce dernier terme faisant référence à l’investissement pour une cause qui nous transcende, qui donne du sens à notre vie. L’usure compassionnelle menace effectivement le sentiment de vocation des soignants du secteur animalier. Le contact prolongé avec la détresse et la souffrance des animaux induisent un risque élevé de conduire à un épuisement des personnes investies. L’altruisme et l’abnégation remarquables dont font preuve chaque jour ces soignants ne doivent pas pour autant occulter la prise en compte des « coûts » psychiques liés aux soins prodigués à autrui.

Fatigue compassionnelle ou fatigue de l’empathie, elle s’installe progressivement, au grès des comportements adaptatifs des individus.

La phase de Zèle :

Le soignant est engagé et totalement investi. Il travaille de longues heures et se porte volontaire pour donner son soutien. Il se sent utile dans ce surinvestissement.

La phase d’irritabilité :

 Le soignant devient moins consciencieux ou évite les contacts. Il peut sembler distrait, préoccupé ou distant. Il se concentre sur sa mission d’aide aux animaux qui est le moteur de son investissement, mais commence à ressentir un manque de ressources et/ou un empêchement pour mener à bien sa mission, du fait par exemple de procédures ou processus qui font obstacles à l’accomplissement de sa mission.

La phase de retrait :

 Le soignant ressent un manque d’enthousiasme ; il « s’endurcit » et peut se plaindre de stress ou de fatigue. Il peut adopter des comportements négatifs qu’il va justifier par ce qu’il accomplit en vertu des principes positifs défendus. Par exemple : « OK je suis désagréable aujourd’hui, mais vu la quantité de travail que j’abats, c’est tout à fait légitime ». Des techniques d’adaptation négatives peuvent apparaître à ce stade (consommation d’alcool, addictions…) tandis que le rapport à l’Autre se dégrade.

La phase « Zombie » :

 Le soignant devient distant et désinvesti. Il ne prend plus plaisir à exercer sa mission, et se montre insensible et indifférent à la souffrance d’autrui. Il est vidé, épuisé et n’a plus rien à donner. Des techniques d’adaptation négatives peuvent s’être ancrées à ce stade.

La 1ère étape est d’en reconnaître l’existence car le sujet reste tabou en France. Rappelons qu’elle est intrinsèquement liée au métier d’aidant auprès d’individus en souffrance. Et que les soignants du secteur animalier sont directement concernés. En tenir compte et promouvoir le bien-être au sein du secteur animalier permet d’éviter le cheminement vers l’épuisement professionnel, si commun chez les soignants animaliers, que ce soit les professionnels de la Protection Animale ou ceux de la médecine vétérinaire.

Renforcer la résilience des acteurs du secteur animalier pour mieux faire face aux défis qu’ils doivent relever chaque jour, conduit à :

  • Réduire le turn-over des salariés et bénévoles
  • Une meilleure prise en charge des animaux
  • Un meilleur accueil du public
  • Un écosystème plus durable, inscrit dans une démarche d’impact positif.

Les caregivers, toutes ces personnes engagées sur le terrain pour faire face à la souffrance d’autrui, sont précieux. Les soutenir de manière proactive est une nécessité vitale. Accorder une vive attention au bien-être des acteurs du secteur animalier est en effet essentiel pour pérenniser la relation d’aide dans cet écosystème. Il en va de la durabilité de la mission de Protection auprès des plus vulnérables.

Des stratégies individuelles et organisationnelles existent pour réduire la fatigue compassionnelle. Intervenante en Relation d’Aide Humain-Animal, j’accompagne et prends soin de celles & ceux qui eux-mêmes prennent soin d’animaux vulnérables en souffrance. Ensemble, nous réduisons votre fatigue de compassion. Nous augmentons votre satisfaction de compassion afin que vous puissiez poursuivre votre mission de soins et continuer à sauver des vies, tout en préservant votre bien-être. Car « Si votre compassion ne vous inclut pas, elle est incomplète » Jack Kornfield.


[1] Dowling, Trisha, « Compassion does not fatigue! » The Canadian veterinary journal, 59.7 (2018): 749-750


Réale Couchaux
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Intervenante en Relation d’Aide Humain-Animal
Fondatrice d’Ethik Animara

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