Photo d’illustration : Franck Lagier
Le n°2/2020 de la Revue semestrielle de droit animalier, 23ème d’une série ininterrompue inaugurée en 2009, a battu un record : celui du nombre de pages. Le précédent était détenu par le n° 2/2017 avec 695. Lui, dépasse les 750 : il a donc des allures de baleine bleue, le plus gros animal encore vivant. Même si ce n’est pas un triste record, bien au contraire, il faut espérer qu’il ne sera plus jamais égalé puisque, comme en avait alerté Alphonse Allais, « Une fois qu’on a dépassé les bornes, il n’y a plus de limites ».
Plusieurs raisons toutes plus réjouissantes les unes que les autres expliquent l’épaisseur exceptionnelle de ce numéro.
La première, d’ordre général, tient à l’incessante montée en régime du droit animalier en France. Ce n’est plus ce que, il y a 4 ou 5 ans, un Président d’Université, récemment rendu à l’attention distancielle de ses étudiants, avait charitablement et subtilement appelé « une niche ». C’est désormais une matière autonome en plein essor enseignée dans plusieurs Universités qui sollicite, sur des sujets chaque jour pris un peu plus au sérieux, l’intérêt soutenu de chercheurs toujours plus nombreux. C’est ainsi qu’il faut souligner l’inauguration dans ce numéro d’une chronique de droit du commerce international et prendre le plaisir de saluer l’arrivée de ses titulaires, Sandrine Clavel et Maximin de Fontmichel qui, d’emblée, ont mis en lumière une donnée qui échappaient aux projecteurs de la RSDA : le commerce international légal et ses dangereuses interactions sur le commerce international illégal des animaux.
La seconde tient à l’importance de l’actualité. L’année 2020, dont le passif est pourtant si lourd, entrera probablement dans l’histoire du droit animalier en raison d’un arrêt rendu à sa toute fin, le 17 décembre, par la Cour de Justice de l’Union Européenne, dans l’affaire C-336 Centraal Israëlitsch Consistorie van Belgïe. À la surprise presque générale, la Cour de Luxembourg a eu, en effet, le courage de s’écarter des conclusions de son Avocat général Gérard Hogan, pour décider que le bien-être animal, en tant que valeur à laquelle les sociétés démocratiques contemporaines attachent une importance accrue pouvait, pour la première fois, prévaloir sur le droit à la liberté religieuse, et justifier le caractère proportionné d’une législation imposant, en matière d’abattage rituel, un étourdissement réversible contraire aux prescriptions de deux des trois principales religions monothéistes. L’événement méritait bien un petit report de la mise en ligne pour donner à Christophe Maubernard et à Mustapha Afroukh, qui ne pouvait rêver meilleure occasion d’ouvrir sa chronique de droits religieux, d’en rendre méticuleusement compte, en invitant d’ailleurs à ne pas en exagérer la portée.
La troisième et principale explication du record volumétrique établi par le n° 2/2020 tient au dossier thématique, réalisé grâce à l’inlassable dévouement de Florence Burgat et de Ninon Maillard, sur les oiseaux. Hitchcock, souvent cité, avait pourtant mis en garde contre leur caractère envahissant : il n’a pas été possible de les contenir. Ils sont si attachants, si nombreux et pourtant si dramatiquement menacés qu’ils se sont arrogés 350 pages plus passionnantes les unes que les autres. Elles ont été écrites par :
Julien Bétaille spécialiste reconnu du droit de l’environnement qui, 40 ans après, a tiré un bilan plutôt positif de la célèbre directive oiseaux du 2 avril 1979 destinée à promouvoir leur protection et la gestion de leurs populations .Il note que la dégradation du sort des oiseaux n’est pas due à sa stérilité mais à d’autres facteurs sur lesquels elle n’a guère de prise ; souligne que le juge administratif français a eu le courage de la faire respecter face aux pressions du lobby de la chasse et montre comment son efficacité pourrait être renforcée grâce au principe de précaution et une utilisation du référé-liberté en lieu et place du référé- suspension lequel, en raison des exigences du principe du contradictoire, laisse toujours aux chasseurs un délai de 15 jours pour semer leurs ravages.
Philippe de Grissac, Vice-Président de la LPO qui s’est livré à une présentation détaillée des facteurs, bien identifiés comme l’agriculture intensive, les pesticides, la chasse et le braconnage ou un peu inattendus comme l’importance de l’activité avicide des chats ou le fléau de l’éclairage artificiel, expliquant le déclin des oiseaux.
Xavier Perrot et Ninon Maillard historiens du droit passionnés d’anthropologie juridique qui ont déniché une extraordinaire « Plainte et pétition des petits oiseaux des champs contre les oiseleurs dans le Midi de la France » de 1809, véritable hymne à la proportionnalité débouchant sur un projet de loi dont l’article premier selon lequel « La chasse aux petits oiseaux des champs, de quelque manière qu’elle puisse être faite, serait défendue dans le midi de la France, depuis le 15 janvier jusqu’au 15 août inclus » pourrait être transmis tel quel au législateur de 2021.
Rémi Luglia, historien des cultures et des civilisations qui, à la recherche des premiers jalons pour une histoire de la protection des oiseaux en France métropolitaine montre à quel point il est difficile de les faire échapper à une approche utilitariste fondée sur une opposition manichéenne entre utiles et nuisibles.
Mélanie Petit, philosophe de son état, qui, mobilisant… Rousseau, Merleau-Ponty…, et Victor Hugo, en appelle à ce que le droit reconnaisse totalement les animaux et les oiseaux comme des personnes libres non appropriables, et qui établit lumineusement pourquoi les oiseaux sont les exemples privilégiés des penseurs.
Ghilaine Jeannot-Pagès psychanalyste qui écoute la langue des oiseaux et qui apprivoise un vautour pour expliquer le mystère de l’homosexualité de Léonard de Vinci.
Jean-Jacques Gouguet économiste qui prône des méthodes d’évaluation non monétaire pour chiffrer la perte liée à la disparition des oiseaux après avoir posé la question fondamentale « quelle est la valeur monétaire du chant du coucou censé me porter bonheur ? »
Cyril Daydé qui poursuit l’immense chantier de construction des Archives de l’animal ouvert il y a quelques années en ajoutant un éblouissant recensement des sources archivistiques concernant les oiseaux en tant qu’objets de curiosité, victimes de certaines activités humaines et patrimoine naturel à conserver. On y découvre ou redécouvre avec enthousiasme les liens que les oiseaux entretiennent ou ont entretenu avec des thèmes aussi variés que la divination, la météorologie, la médecine, l’écriture, l’ameublement, les expressions idiomatiques, les contes, les fables, l’art contemporain…
Federico Nogara, archiviste du vivant, se livrant à une étonnante comparaison, malheureusement justifiée par l’aggravation de la crise migratoire, entre les migrations des oiseaux et les migrations des êtres humains qui, en Europe, suivent souvent les mêmes itinéraires et qui sont dramatiquement repoussées les unes et les autres par des méthodes se ressemblant de plus en plus.
Il faut souligner l’importance de la contribution au dossier oiseaux de praticiens dont l’expérience concrète ouvre des perspectives particulièrement originales. Il s’agit de deux docteurs vétérinaires et d’une magistrate.
Il est très stimulant pour un juriste de lire les réflexions de l’Inspecteur de santé publique vétérinaire Bruno Lassalle sur le statut juridique des oiseaux. La prime de l’originalité reviendra cependant à Claude Beata, spécialiste de médecine du comportement, pour sa « Lettre à Salsa » qui est assurément le texte le plus émouvant jamais publié dans la RSDA. En rendant hommage à un défunt perroquet gris du Gabon de sexe féminin que l’esprit du temps lui ferait presque reproche d’avoir adopté, le vétérinaire au cœur sensible mêle si admirablement ses connaissances professionnelles et ses sentiments personnels que l’on en viendrait à se demander si certains théoriciens de la protection animale n’enterrent pas un peu trop vite le trésor de la force véritablement extraordinaire des liens affectifs, semblables à ceux établis entre la fillette Patricia Bullit et le lion de Kessel, qui peuvent unir des êtres humains et des animaux destinés à la vie la plus sauvage.
La contribution de Laurence Mollaret, Vice-Présidente du Tribunal judiciaire d’Aurillac évoquant une décision qu’elle a elle-même rendue dans une affaire de perturbation volontaire de faucons pèlerins et d’hirondelles des rochers, inaugure, au moins dans la RSDA et peut-être même au-delà, un genre original. Il s’agit d’une proposition de réforme de la loi, formulée, en s’appuyant sur les fondements théoriques les plus actualisés, par un juge dont une décision favorable, en l’espèce, à la protection des animaux sauvages, a été réformée parce que, en l’occurrence, « le droit pénal de l’environnement est un droit mineur face à un enjeu majeur ».
Les oiseaux sont décidément tellement hitchcockiens qu’ils n’ont pas pu s’empêcher de déborder sur la partie Actualité juridique placée sous la houlette de Jacques Leroy et de Séverine Nadaud. C’est ainsi qu’ils se trouvent au cœur de la chronique « Cultures et traditions » de Claire Vial puisque la chasse à la glu dont ils sont encore menacés lui a fourni la triste occasion d’un implacable réquisitoire contre Mme l’Avocate générale Juliane Kokott coupable d’avoir récemment conclu devant la CJUE au maintien de cette chasse au nom de la promotion de la tradition récréative et au prix d’accommodements avec ses effets collatéraux inhérents à sa non sélectivité. Il n’y a plus qu’à souhaiter que les juges de Luxembourg, appelés à se prononcer prochainement sur la question dans une affaire C-900/19 One Voice et Ligue pour la Protection des Oiseaux, prendront le temps de lire la Rédactrice en chef de la RSDA pour mieux pouvoir infliger aux conclusions passéistes de Mme Kokott le même cinglant démenti que celui adressé le 17 décembre 2020 en matière d’abattage rituel à celles de son homologue Gérard Hogan.
Ils ont également donné à Jacques Leroy l’occasion de saluer l’échec des chasseurs à obtenir de la Chambre criminelle de la Cour de cassation la transmission d’une QPC destinée à faire décider au niveau constitutionnel que la tradition locale ininterrompue de la chasse aux ortolans devait justifier l’autorisation de porter atteinte à des animaux appartenant à des espèces protégées.
On les retrouve encore dans la chronique de Christophe Maubernard où figure la présentation d’un rapport de la Commission européenne sur les directives oiseaux et habitats qui aurait tout aussi bien pu trouver sa place dans le dossier oiseaux et une critique acerbe d’un arrêt de la CJUE du 9 juillet 2020 retenant une interprétation, défavorable à la guifette noire, de la notion de « gestion normale des sites ».
Ils sont également à l’arrière-plan d’un arrêt de la Chambre criminelle de la Cour de cassation du 20 octobre 2020 signalé dans les sommaires de jurisprudence de Brigitte des Bouillons et Delphine Tharaud pour avoir estimé que ceux qui se dissimulent dans un gabion pour les chasser la nuit ne peuvent pas prétendre à l’application des règles de protection du domicile.
Enfin Yoël Kirszenblat s’est inspiré de Christian Moullec, l’homme qui vole avec les oiseaux récemment mis à l’honneur par le réalisateur Nicolas Vanier, pour une présentation métaphorique de sa revue des publications toujours aussi exhaustive.
Dans ce numéro qui aura dénoncé tous les aspects de la situation catastrophique des oiseaux et souligné avec insistance la nécessité de mieux les protéger ou de les protéger autrement, certains contributeurs auront réussi le tour de force d’aborder des questions intéressant d’autres animaux ou des thèmes généraux où ils sont confondus avec les autres, formule soigneusement choisie pour éviter, bien entendu, de dire que les oiseaux ne se sont pas toujours taillé la part du lion.
C’est ainsi que , dans la chronique de droits européens, Christophe Maubernard, véritable homme-orchestre du n°2/2020, a trouvé le temps d’avoir une petite pensée pour le grand hamster et son courageux combat contre les promoteurs immobiliers à l’occasion du commentaire d’un arrêt de la CJUE du 2 juillet 2020 et Lauren Blatière a pu souligner l’intérêt d’un autre arrêt de la même juridiction du 11 juin 2020 d’où il ressort que la protection du loup ne cesse pas lorsque son aire de répartition naturelle s’étend à des zones de peuplement humain. Dès lors, on pourrait conclure qu’il est protégé jusque chez la grand-mère du Petit Chaperon rouge…
Dans sa chronique de Propriétés Intellectuelles, Alexandre Zollinger qui présente par ailleurs une importante opinion de la grande chambre de l’Office européen des brevets du 14 juin 2020 se prononçant sur l’exclusion, heureuse pour certains animaux, de la brevetabilité des « traits natifs », invite quant à lui, à un retour sur la souris transgénique à nouveau en première ligne dans une décision de la Cour suprême du Royaume-Uni du 28 mars 2018.
Dans la chronique de droit administratif Maryse Deguergue ,sous le magistral et facétieux intitulé « Cétacés, dit la baleine, je me cachalot car j’ai le dauphin ! », et Pascal Combeau, toujours admirablement fidèle au poste, présentent plusieurs arrêts du Conseil d’État du 7 et du 14 octobre 2020 rendus à la requête de l’Association One Voice et/ou de l’association Agir Espèces dont il y a tout lieu d’espérer que ce sont des fins de série : quelques jours après la déclaration de la Ministre de la Transition écologique Barbara Pompili annonçant la fin progressive de la présence d’ orques et de dauphins dans les delphinariums inadaptés et celle de la faune sauvage dans les cirques itinérants, ils montrent à quel point le juge administratif est réticent à interpréter les textes actuellement en vigueur dans un sens plus favorable à la protection des animaux qui sont retenus.
Dans les passionnants sommaires de jurisprudence de Brigitte des Bouillons et de Delphine Tharaud on relèvera aussi un arrêt qui concerne directement les chats : celui de la Cour administrative d’appel de Marseille du 1er octobre 2020 qui confirme une décision de retrait de l’agrément d’une assistante maternelle… Parce qu’elle les laissait s’approcher de trop près des enfants.
Quant aux questions d’ordre plus général abordées au titre de l’actualité juridique, on retrouvera, sans trop s’en étonner, Christophe Maubernard qui dans la chronique de droits européens résume le Rapport sur la protection du bien-être animal au sein de l’Union européenne établi par Mme la Députée Tiphaine Degois et déposée par la Commission des affaires européennes de l’Assemblée nationale qui souligne des lacunes et a le courage de dénoncer des résistances.
Dans le volet droit du Conseil de l’Europe de cette chronique, il faut relever, dans un arrêt Schweizerische Radio c/ Suisse du 12 novembre 2019 commenté par l’éminent spécialiste du droit de la CEDH David Szymczak, une nouvelle confrontation de la liberté d’expression à la question de l’expérimentation animale qui se traduit par une autre victoire de la cause animale puisqu’il a été admis que la Société suisse de radiodiffusion et de télévision avait pu , sans atteinte à son droit à la liberté d’expression, être condamnée parce que le reportage sur le Botox qu’elle avait diffusé ne faisait pas la moindre allusion aux expérimentations réalisées sur les animaux pour le mettre au point. On voit donc se dessiner un véritable droit de savoir sur les expérimentations animales comprenant le droit de les révéler et l’obligation de ne pas les taire.
Si, du droit européen des droits de l’homme on se tourne vers le droit international de l’environnement, on découvrira sous la plume de Séverine Nadaud un sombre tableau des attaques contre la biodiversité et de la destruction accélérée par le réchauffement climatique d’animaux déplacés environnementaux en butte à l’indifférence ou l’impuissance du multilatéralisme que la Commission européenne présidée par Mme Ursula von der Leyen tente pourtant de réanimer.
Du côté de l’étranger, l’espoir d’une amélioration générale du sort des animaux ne viendra peut-être pas de la Russie si l’on en croit les remarques un peu désabusées de Maria Gudzenko sur la portée de la réforme constitutionnelle du 4 juillet 2020 donnant compétence au Gouvernement fédéral en vue de la formation, dans la société d’un comportement responsable envers les animaux.
Selon la chronique de Droit constitutionnel du Rédacteur en chef Olivier Le Bot, il ne viendra pas non plus du Connecticut où la cour d’appel a infligé au Non-human rights project de Steven Wise un nouveau revers le 19 mai 2020 en déclarant sèchement que l’argumentation développée au soutien d’une demande d’habeas corpus au nom et pour le compte de trois éléphantes détenues par le propriétaire d’un cirque avait un caractère « totalement frivole ».
Il viendra peut – être du Pakistan grâce à la décision Islamabad Wildlife Management Board rendue le 21 mai 2020 par la Haute cour d’Islamabad. Au terme d’une réflexion de 67 pages consacrées principalement à étudier la place des animaux dans l’Islam, cette importante décision signalée par Olivier Le Bot aboutit à la conclusion aussi étonnante qu’encourageante selon laquelle le droit à la vie des êtres humains inclut l’obligation de protéger les animaux. On pourrait interpréter cette autre décision inattendue confrontant droit religieux et droit animalier comme un nouveau signe de l’émergence au sein de cette jeune discipline d’un troisième volet : la protection par l’animal qui compléterait la protection de l’animal et la protection contre l’animal.
Un autre indice de l’apparition de cette ramification a été relevé par le soussigné dans son appréciation contrastée du récent phénomène d’inflation des propositions de loi d’intérêt animalier où il attire l’attention sur l’originalité de la proposition n°3106 de Mme la Députée Huguette Tiegna visant à renforcer l’accompagnement des victimes par des chiens d’assistance judiciaire du tribunal
L’espoir pourrait venir aussi de l’Alaska, de l’Illinois, de la Californie et du New Hampshire, les 4 États où, d’après Alisson Fiorentino toujours parfaitement informée de l’évolution des droits étrangers, la loi a prévu que le juge devait faire prévaloir l’intérêt de l’animal pour en attribuer la garde après divorce. Dans les autres États des États-Unis, elle a relevé la gêne des juges pour continuer, en pareille occurrence, à attribuer les animaux comme s’ils étaient encore des biens.
Sur le même type de questions se posant en France, on trouve dans la chronique de droit des personnes et de la famille de Fabien Marchadier un ton un peu désabusé puisque le co organisateur d’un colloque qui a marqué les esprits sur la sensibilité animale (CNRS Editions 2015) constate, à partir d’un arrêt de la Cour d’appel de Poitiers du 19 mai 2020 relatif aux difficultés d’exécution d’un « contrat de famille d’accueil » relatif à trois chiots, que l’article 515-14 du Code civil tarde décidément à infléchir le raisonnement des magistrats. Il relève néanmoins que la jurisprudence Delgado, suivant laquelle un animal de compagnie est un être vivant unique et irremplaçable qui a quand même quelque lien de parenté avec l’article 515-14, se consolide comme en témoigne un arrêt de la Cour d’appel de Toulouse du 15 juin 2020. Quant aux autres branches du droit civil, elles ont encore du mal à admettre seulement qu’un animal est différent d’une chose inanimée. Ainsi, en droit de la responsabilité civile, l’éminent spécialiste Jean Mouly commentant un arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation du 16 juillet 2020 relatif à un accident d’abrivado constate -t-il un certain entêtement à appliquer aux animaux les mêmes critères d’attribution que pour la garde des choses inanimées. Dans le même ordre d’idées, Kiteri Garcia s’interroge, après avoir pris connaissance deux arrêts de la Cour d’appel de Rennes du 15 mai et du 13 juillet 2020 sur le point de savoir si l’exception d’inexécution est un mécanisme adapté aux contrats portant sur des animaux qui, dans ces deux affaires, étaient respectivement une chienne placée chez un couple par un éleveur et dans la seconde trois chevaux confiés à un professionnel pour un débourrage. Toujours au titre des contrats spéciaux, Christine Hugon, qui est pratiquement la seule à ce jour à avoir apporté sa contribution à tous les numéros de la RSDA depuis sa création, révèle les apports au droit animalier de la dysplasie-fémorale des chiens qui était au cœur des arrêts des Cours d’appel de Toulouse du 15 juin 2020 et de Riom du 2 septembre 2020.
La chronique de Sylvie Schmitt continue d’établir avec brio la pertinence de l’approche du droit animalier par le prisme du droit fiscal. Cette fois, par le relais de deux arrêts de la Cour administrative d’appel de Bordeaux du 20 février 2020 relatif à l’imposition des activités d’abattage et de fabrication de foie gras à la cotisation foncière des entreprises, il lui permet de montrer à quel vitesse l’animal cesse d’être un animal pour devenir un produit agricole alors que tout devrait porter à en faire un être sensible.
La sensibilité de l’animal sauvage, on le sait, est pratiquement ignorée par le droit positif sous l’inlassable pression des chasseurs toujours à l’attaque qui, pendant le confinement du mois de novembre 2020 ont réussi le véritable tour de force de convaincre des préfets d’autoriser des battues pour protéger des récoltes qui, sauf de très rares exceptions, étaient déjà engrangées ou ensilées partout depuis un mois…..Il est en tout cas très significatif de relever avec Lucille Boisseau-Sowinski et Matthias Martin que l’actualité législative du semestre n’est alimentée que par des textes concernant la chasse . Il s’agit de deux décrets du 27 août 2020 destinés à préciser la mise en œuvre de la gestion adaptative introduite dans le Code de l’environnement par la loi du 24 juillet 2019 .À lire leur minutieuse présentation par Matthias Martin , ils ne démentent pas vraiment l’idée émise par ailleurs par Philippe de Grissac suivant laquelle la gestion adaptative, qui remplace un système de quotas fixes de bêtes à abattre par une réévaluation régulière notamment au moyen de smartphones des populations de certains animaux sauvages, est un concept vertueux détourné en France pour augmenter toujours un peu plus les possibilités de chasser. Il s’agit aussi d’un Décret du 19 mai 2020 également présenté par Matthias Martin qui permet de sauvegarder certaines chasses traditionnelles en permettant d’y recourir quand elles correspondent à une « exploitation judicieuse ».Il s’agit enfin de arrêtés du 25 juin 2020 et du 5 octobre 2020 qui, dans le prolongement de la loi du 24 juillet 2019 portant création de l’Office français de la biodiversité imposent des mesures de sécurité telles que le port de gilets fluorescents ou la pose de panneaux signalant qu’une chasse est en cours revenant, selon Lucille Boisseau-Sowinski, à privilégier la chasse par rapport au droit des non-chasseurs de se promener librement.
Des rudes réalités de la chasse aux subtiles envolées de la théorie et de la philosophie du droit, il y a un abîme qu’il faut pourtant franchir allègrement pour avoir le plaisir de retrouver la chronique de Pierre Brunet et de David Chauvet. Le premier nommé, à partir d’une présentation détaillée d’études regroupées par Anne Peters se prononce pour un droit animalier global nécessaire pour comprendre enfin que ce n’est pas un statut uniforme qu’il faut penser mais des pluralités de statut qu’il faut imaginer. Quant au second, sa présentation critique du livre de l’auteur finlandais V.Kurki (A theory of legal personhood), soulevant la question de savoir si les animaux sont des choses qui ont des droits, lui permet d’aborder à nouveau le thème de la personnalité juridique des animaux dont il est devenu, en France, le plus fin connaisseur.
Finalement dans le n° 2/2020 de la RSDA, contre toute attente, la Covid 19 n’aura pas été omniprésente. Elle n’aura pas été absente non plus puisqu’elle tient une large place dans la chronique de droit sanitaire. Sonia Desmoulin Canselier avec sa maestria habituelle a relevé, à propos d’un arrêt de la Cour d’appel de Saint-Denis de la Réunion du 7 mai 2020, les difficultés contractuelles un temps inextricables liées à la difficulté d’aller soigner et entretenir des chevaux pendant le confinement général. Maud Cintrat a aussi signalé une intrigante transgression entraînée par la crise sanitaire : dans l’urgence, la frontière entre les médicaments à usage humain et ceux à usage vétérinaire est devenue poreuse et on a permis pendant quelques semaines l’utilisation en médecine humaine de spécialités vétérinaires. Elle ne l’a pas dit dans la chronique de droit sanitaire à propos d’un arrêt du Conseil d’État du 29 mai 2020 mais dans un article de fond qui le prolonge dans la partie Doctrine et Débats -orchestrée par Claire Vial et Lucille Boisseau-Sowinski- et qui donne toute l’ampleur qu’elle mérite à la récente réforme du régime européen des médicaments vétérinaires. L’article de la juriste scientifique au point d’avoir été recrutée dans une Faculté de Pharmacie oblige à vérifier quelques données médicales pour s’assurer que l’on a bien compris, par exemple ce que c’est que « l’antibiorésitance » contre laquelle il est si important de lutter. Ce préalable satisfait on découvre avec un vif intérêt l’importance du règlement 2019/6 du Parlement européen et du Conseil du 11 décembre 2018 relatif aux médicaments vétérinaires ; comment il s’y est pris pour utiliser leur mise sur le marché comme levier de la satisfaction d’objectifs économiques et pourquoi la dissémination sur l’ensemble du texte des mesures de lutte contre la résistance aux antimicrobiens est un bénéfice sanitaire.
Dans la partie Doctrine et Débats, on trouve aussi, présentés par Lucille Boisseau Sowinski, les textes des meilleures propositions formulées par les étudiants de 7ème Promotion du DU de Droit animalier de Limoges/ Brive La Gaillarde dont la marraine spontanément choisie par les filleules et filleuls est Hélène Thouy. Il s’agit du texte de la lauréate du Prix Jules Michelet Hélène Barbry qui est une vigoureuse et rigoureuse proposition de réforme tendant à l’interdiction de toute présence active ou passive des mineurs à la chasse et au piégeage et de celui de Gautier Riberolles, premier accessit, sur la protection des poissons de pisciculture commerciale lors de la mise à mort qui présente le grand intérêt de permettre de se rendre compte qu’il n’y a pas qu’en matière d’abattage rituel qu’un étourdissement préalable devrait être imposé.
On trouve ensuite deux contributions majeures issues d’une journée d’études organisée par Séverine Nadaud à l’occasion de la remise des diplômes du DU de droit animalier à Brive le 5 septembre 2020 sur le thème de « L’enfant et des violences faites aux animaux ». La première, qui permettra aussi à la criminologie de prendre une place éclatante dans le n° 2/2020, apporte le point de vue du Psychiatre Jean-Paul Richier. En s’appuyant sur pas moins de 118 références, il établit le « lien » entre les violences faites aux animaux et les violences faites aux humains et il présente les conséquences de l’exposition de l’enfant aux violences faites aux animaux. La seconde permet à l’éminent pénaliste Jacques Leroy de reprendre du service en fin de volume pour distinguer le cas de l’enfant auteur de violences sur les animaux dont la responsabilité est envisagée à la lumière de l’ordonnance du 11 septembre 2019 héritière de la célèbre ordonnance du 2 février 1945 et l’hypothèse de l’enfant victime de violences en lien avec les animaux, ce qui lui offre l’occasion de proposer avec insistance une modification de l’article 226-14 du Code pénal pour permettre aux vétérinaires de les signaler en levant leur secret professionnel.
Un tel numéro ne pouvait se terminer que sur un feu d’artifice. C’est Philippe Jestaz, le plus savant détecteur des sources du droit en France et probablement dans le monde, qui l’a tiré. C’est un immense honneur pour la petite Revue semestrielle de droit civil d’accueillir un texte de celui qui fut pendant longtemps le Directeur de la grande Revue trimestrielle de droit civil. Il s’agit de la version écrite d’une conférence prononcée à Brive le 5 septembre 2020 à l’invitation de Séverine Nadaud. À partir d’une distinction établie par le juriste anglais du siècle dernier Herbert Hart, elle s’intitule « Les deux phases du droit ». Des deux, c’est la première également appelée le pré-droit, qui se révèle la plus passionnante. Elle permet en effet à Philippe Jestaz d’avancer l’hypothèse d’un pré-droit animal. Il la développera davantage dans un article qui figurera dans l’ouvrage intitulé « Ad bestias », dont la parution est imminente, qui a été réalisé sous la direction de Xavier Perrot et Ninon Maillard pour marquer le dixième anniversaire de la RSDA. D’ores et déjà le texte qui clôture le n° 2/2020 de la RSDA permet de comprendre enfin le sens précis que, au sein du droit animalier, le droit véritablement animal peut revêtir. On remarquera aussi que, en conclusion de ce volume dominé par les oiseaux, Philippe Jestaz étaye son hypothèse d’un pré-droit animal sur l’exemple… d’une mésange bleue qui avait eu assez de discernement pour percer le bouchon de la bouteille de lait livrée tous les matins par le milkman de manière à pouvoir en manger la crème si bien que, trente plus tard, par imitation, toutes les mésanges bleues des îles britanniques avaient appris à faire de même…
Jean Pierre Marguénaud
Agrégé de droit privé et de sciences criminelles.
Chercheur à l'Institut de droit européen des droits de l'homme (IDEDH) Université de Montpellier.
Directeur de la Revue semestrielle de droit animalier