À l’occasion de la Journée mondiale de lutte contre l’abandon des animaux de compagnie, l’Université Toulouse Capitole a accueilli, le 22 juin 2023, une conférence intitulée « Le délit d’abandon d’animal : dialogue entre théorie et pratique ». Cette manifestation fut l’occasion d’ouvrir le dialogue entre l’universitaire Romy Sutra, maître de conférences à l’Université Toulouse Capitole et diplômée en droit animalier et la capitaine de police et fondatrice de l’association « Les 4 pattounes », Céline Gardel, disposant d’une solide expérience de terrain.
En France, selon les estimations, plus de 200 000 animaux seraient abandonnés chaque année, dont 60 000 durant la période estivale[1].
Pourtant, depuis la loi du 10 juillet 1976, l’abandon d’un animal domestique, apprivoisé ou tenu en captivité (à l’exception des animaux destinés au repeuplement) constitue un délit[2].
Il existe différentes causes : l’abandon peut (et cela est souvent le cas) être pleinement volontaire pour diverses raisons : départs en vacances, séparation, déménagement, finances insuffisantes, portée non désirée, etc. Mais l’abandon peut également être contraint, c’est le cas, par exemple en cas de décès, d’expulsion, ou d’incarcération du propriétaire mais également lorsque celui-ci entre en maison de retraite. Dès lors, tous les abandons ne se ressemblent pas et tous ne constituent pas des délits. Aussi doit-on distinguer l’abandon dit « sauvage » pénalement répréhensible, de l’abandon en refuge (avec déclaration) équivalent à une cession. Quelle que soit la forme de l’abandon, il faut garder à l’esprit le traumatisme, la souffrance psychologique[3], que cela engendre chez l’animal.
Du point de vue du droit, la jurisprudence a retenu que l’infraction est constituée lorsqu’il y a « intention de se désintéresser durablement et définitivement »[4] de l’animal, autrement dit lorsqu’il y a omission prolongée et intentionnelle de ses besoins élémentaires[5]. Dès lors que l’animal est laissé à son propre sort, sans soin, sans nourriture ou possibilité d’abreuvement, l’infraction peut être caractérisée : par exemple, si l’animal est laissé seul plusieurs jours sur un balcon dans des conditions inadaptées ou encore si l’animal est laissé en pâturage sans intention de son propriétaire de revenir s’en occuper. Le délit est, par ailleurs, constitué sans que ne soit requise une atteinte à l’intégrité physique ou une intention spéciale de faire souffrir l’animal[6].
Mentionné dans le Code pénal au chapitre relatif aux « sévices graves ou actes de cruauté envers les animaux », l’abandon (art. 521-1) est sévèrement réprimé notamment depuis le renforcement des sanctions pénales issu de la loi du 30 novembre 2021 visant à lutter contre la maltraitance animale[7]. L’auteur de l’abandon encourt 3 ans d’emprisonnement et 45 000€ d’amende et, en cas de circonstances aggravantes, c’est-à-dire lorsque l’abandon est effectué dans des conditions présentant un risque de mort immédiat ou imminent pour l’animal, la sanction est portée à 4 ans d’emprisonnement et 60 000€ d’amende, et 5 ans et 75 000€ en cas de mort de l’animal.
Des peines complémentaires peuvent, en outre, être prononcées par le tribunal comme : la confiscation de l’animal, l’interdiction de détention, l’interdiction d’exercer l’activité professionnelle qui a permis de préparer ou commettre l’infraction, ou encore l’obligation de suivre un stage de sensibilisation.
Au-delà du renforcement des sanctions pénales, la loi de 2021 est venue apporter d’autres mesures visant à prévenir les abandons : création du certificat d’engagement et de connaissance, interdiction de la vente de chiens et chats en animalerie à partir de 2024, ou encore encadrement des plateformes de ventes en ligne. L’objectif de ces dispositions est d’éviter les achats impulsifs et de responsabiliser les futurs propriétaires. Ces mesures s’ajoutent aux nombreux autres leviers qui existent (obligation d’identification, campagnes de stérilisation et de sensibilisation, etc.) mais qui semblent encore insuffisants à endiguer ce fléau.
En confrontant les regards, la conférence – au-delà du seul cas de l’abandon – a insisté sur la nécessaire collaboration de tous les acteurs du monde juridique (forces de l’ordre, magistrats, avocats, universitaires, etc.) pour apporter de meilleures réponses à la maltraitance animale. C’est le cheval de bataille de Céline Gardel qui, depuis quelques temps, par le biais de son association et avec le soutien précieux du parquet notamment, entreprend de former policiers et gendarmes à ces problématiques. Cette manifestation a permis également de mettre l’accent sur ce délit particulier d’abandon tout en abordant plus largement les évolutions législatives récentes en termes de lutte contre la maltraitance animale. Dans le domaine judiciaire, la création du pôle maltraitance animale à la cour d’appel de Toulouse en septembre 2022 (une première en France !), ou encore la nomination de référents au sein de la police nationale et de la gendarmerie, viennent renforcer la prise en charge de ces affaires par la justice et permettre une meilleure réponse pénale[8].
Gageons que cette conférence sera le point de départ de collaborations futures permettant une meilleure appréhension des règles de droit animalier et des initiatives tendant à améliorer le sort de l’animal dans notre société.
[1] Loïc DOMBREVAL évalue les abandons annuels à 200 000 ou 300 000 (page 121). Loïc DOMBREVAL, Barbaries. Bien-être animal : il est urgent d’agir. Michel Lafon. 2021
[2] Loi n°76-629 du 10 juillet 1976 relative à la protection de la nature, JORF, n° 162, 13 juillet 1976.
[3] J.-P. MARGUÉNAUD, F. BURGAT, J. LEROY, Le droit animalier, PUF, 2016, p. 204‑206.
[4] Par ex. CA Riom, 24 mars 2004, JurisData, n° 2004-247632.
[5] Sur la distinction entre les qualifications de « mauvais traitements », « sévices graves » et « abandon », voir : J. LEBORNE, L’animal en droit pénal, thèse droit, Université de Toulon, 2022, p. 58 et s. ; P. CONTE, « Éléments constitutifs du délit d’abandon d’animal domestique réprimé par l’article 521-1, dernier alinéa du Code pénal », Droit pénal, 2015, n° 10, comm. 121.
[6] Par ex. Cass. crim., 16 juin 2015, n° 14-86.387, Bull. crim., 2015, n° 147.
[7] Loi n°2021-1539 du 30 novembre 2021 visant à lutter contre la maltraitance animale et conforter le lien entre les animaux et les hommes, JORF, n° 279, 1er décembre 2021. Sur le renforcement des sanctions, voir notamment : E. DREYER, « Renforcement des sanctions dans la lutte contre la maltraitance à l’encontre des animaux domestiques », Gazette du Palais, 2022, n° 6, p. 42 ; J. LEROY, « Renforcement de la lutte contre la maltraitance animale et du lien entre les animaux et les hommes », JCP G (Semaine juridique), 2021, n°50, doctr. 1339 ; J.-P. MARGUÉNAUD, « Lutte contre la maltraitance animale : qui peu embrasse bien étreint ? Partie 2 : Le renforcement de la lutte contre la maltraitance animale par la voie répressive », Dalloz Actualité, 4 janvier 2022.
[8] france3-regions.francetvinfo.fr/occitanie/haute-garonne/toulouse/maltraitance-animale-en-france-un-pole-judiciaire-specialise-unique-en-france-pour-faire-face-a-la-hausse-des-actes-de-cruaute
Romy Sutra
Maître de conférences-Université Toulouse 1 Capitole