Alors que la corrida connait une crise sans précédent, dans les huit pays [1] où elle reste encore autorisée, due à l’annulation des ferias dans le contexte sanitaire mondial [2], l’année 2021 pourrait lui porter un nouveau coup dur en Colombie où le Congrès poursuivra dans les prochains mois ses travaux sur un projet de loi visant à l’interdire sur tout le territoire national [3].
En l’espace de moins de quatre ans, il s’agit du troisième projet allant dans ce sens sur lequel les membres du Congrès doivent se prononcer, les deux précédents ayant été rejetés en 2017 et 2018.
Seul le législateur colombien peut décider de l’interdiction de la corrida
Similairement au cas français, le droit colombien prévoit toujours une exception prévalant pour les corridas à la répression et à la sanction des actes de cruauté et de maltraitance envers les animaux. Cette dernière, prévue à l’article 7 de la loi de 1989 portant adoption du statut national de protection des animaux, a été confirmée en 2016 par la loi 1774 qui a reconnu les animaux comme étant des êtres sensibles.
Néanmoins, si la législation française prévoit que cette exception ne vaut que lorsque peut être invoquée « une tradition locale ininterrompue » [4], en Colombie, un tel encadrement a été défini par le juge constitutionnel dans une décision du 30 août 2010 [5]. Dans cette affaire, la haute juridiction avait été saisie d’une demande d’inconstitutionnalité de l’exception en question. Les juges ont alors reconnu qu’il découle de plusieurs articles de la Constitution, dont le devoir de protection des ressources naturelles et le principe de dignité humaine, un devoir constitutionnel de protection des animaux. Dans le même temps, ils ont précisé que ce dernier peut être limité par d’autres normes de rang constitutionnel avec lesquelles il est susceptible d’entrer en contradiction dont celles promouvant et protégeant la culture.
En résumé, les juges ont débattu de l’équilibre entre le caractère culturel de la corrida et le devoir constitutionnel de protection des animaux. Ils ont conclu à la conformité de l’exception à la Constitution mais ont fortement restreint son application en précisant que les corridas ne peuvent être organisées que dans les municipalités et districts où elles constituent une « manifestation d’une tradition régulière, périodique et ininterrompue ».
Depuis, la Cour constitutionnelle colombienne a eu l’occasion de rappeler cette position, tout en ajoutant que seul le législateur est compétent pour règlementer ces spectacles, y compris les interdire [6].
Bogota a décidé de décourager l’organisation de corridas
Par conséquent, suite aux conclusions de la Cour constitutionnelle, les corridas ne peuvent plus qu’être organisées dans un nombre limité de villes. S’il revient uniquement au législateur de pouvoir décider de l’interdiction de cette tradition, plusieurs d’entre elles, à l’image de Bogota, cherchent à les restreindre depuis plusieurs années.
Un exemple récent est l’approbation, le 9 juin 2020, par le conseil municipal de la capitale d’un projet comportant plusieurs mesures destinées à décourager l’organisation et la tenue de ces spectacles dont l’interdiction de la mise à mort des taureaux dans les arènes et la réduction de moitié de leur nombre au cours de la saison annuelle de tauromachie.
Première approbation du projet de loi
C’est donc suite à ces développements qu’en septembre 2020, le nouveau projet de loi a été déposé. Il est à noter qu’en plus de l’interdiction de la corrida, un de ses articles prévoit que le gouvernement devra assurer des programmes efficaces de reconversion économique des personnes exerçant des activités liées à ces spectacles. Pour être définitivement adopté, il doit être validé lors de quatre étapes parlementaires successives : d’abord au sein de la Chambre des représentants, puis éventuellement au Sénat. Le 7 décembre dernier, le projet a passé la première d’entre elles en faisant l’objet d’ un vote favorable à une large majorité (24 voix pour et 3 contre) de la commission parlementaire compétente de la Chambre des représentants. Il sera donc prochainement débattu au sein de la séance plénière de cette institution.
[1] Ces huit pays sont les suivants : France, Espagne, Portugal, Colombie, Équateur, Venezuela, Mexique et Pérou.
[2] Pour le cas de la France et l’Espagne, voir: Claire Starozinski, Plus dur sera la chute…, Savoir Animal, Actualités, 28 décembre 2020.
[3] Le projet de loi peut être consulté sur le site internet de la Chambre des représentants de Colombie en suivant ce lien.
[4] Article L.521-1 du Code pénal.
[5] Cour constitutionnelle de Colombie, 30 août 2010, Décision C-666/10.
[6] Voir par exemple : Cour constitutionnelle de Colombie, 22 août 2018, Ordonnance 547/18.
Morgan Reille
Juriste en droit de l’environnement et ancien chargé de mission « Commerce et bien-être animal » à Eurogroup for Animals