La zooinclusivité est une notion parapluie qui propose une voie pour répondre à la lancinante question qui ne manque jamais de surgir lorsqu’on aborde les relations anthropozoologiques : comment expliquer le paradoxe de la souffrance animale ? Comment expliquer ce décalage entre les idées majoritairement favorables à une meilleure prise en compte de la condition animale et la persistance des mauvais traitements des autres animaux ? Elle s’adresse aux membres de la société civile, aux praticiennes et aux praticiens du politique : citoyennes et citoyens, membres d’associations, élues et élus (au niveau communal, régional, national), personnel d’entreprises, fonctionnaires dans l’éducation, les forces de l’ordre. Elle s’adresse à toutes celles et à tous ceux qui ne veulent pas laisser les non-humains sur le bord du chemin.
L’introduction est accessible gratuitement sur le site des Puf.
Dans le cadre du Diplôme d’Université « Animaux et société » dont je suis responsable pédagogique à l’Université Rennes 2, j’ai été sollicitée pour accompagner des projets autour de la prise en compte de la condition animale. C’est en réfléchissant au sens de ces démarches que j’ai développé l’idée de zooinclusivité, parce que je ne voyais pas quelle notion mobiliser.
La zooinclusivité invite à considérer les autres animaux, dans tous les sens du terme : d’une part, les regarder avec attention, les observer et les prendre en compte, d’autre part les respecter et les avoir en estime. Elle part du principe que la condition animale, notamment celle qui se déploie sous la tutelle humaine, est largement améliorable. Elle s’appuie sur la notion de « vivre-ensemble », sur la volonté de construire un avenir commun. Elle porte sur la façon dont on pense les animaux et dont on parle d’eux, dont on les intègre dans notre vie quotidienne, sur la création de chartes, de procédures, sur la façon de penser le développement urbain, de s’alimenter individuellement ou collectivement, d’envisager le droit, en étant attentif ou attentive aux autres espèces animales, à la variété des environnements, des situations, des relations entretenues et des contextes.
La zooinclusivité a cependant plutôt une visée descriptive et pragmatique : ce sont les groupes ou les individus humains qui le souhaitent qui interviennent pour adapter leurs pratiques aux non-humains. Il ne s’agit pas de demander à ces agents ou à ces groupes de parcourir le chemin qui les mènerait d’une vie qui ne se soucie pas des animaux à une vie qui intègre pleinement leurs intérêts. Il ne s’agit pas de les enjoindre de parcourir d’emblée tout ce chemin, ni de les inviter à le faire dans toutes les situations possibles. Il s’agit plutôt de s’appuyer sur la volonté de ces agents et de ces groupes, sur leur liberté de choix et de décision, car ils ont la volonté de transformer quelque chose, que cela soit par un simple pas ou bien le début d’un parcours plus long. L’approche zooinclusive vise précisément à les « encapaciter », à partir de ce qui les anime déjà.
La zooinclusivité a des applications à de nombreux niveaux :
- Au niveau éthique, dans la constitution et la délimitation de la communauté morale.
- Au niveau intersubjectif (niveau des relations interindividuelles).
- Au niveau éducatif, épistémique et académique (elle implique de connaître les autres animaux, leurs comportements, leurs habitudes, a minima ; elle implique également d’inclure les études sur les autres animaux dans les recherches et dans les enseignements du primaire, du secondaire et du supérieur).
- Au niveau institutionnel et au niveau des politiques publiques (locales, régionales, nationales, internationales).
Et dans tant d’autres domaines qui touchent les vies non humaines et nos rapports avec elles (loisirs, production alimentaire, médecine, mode, etc.).
Au-delà de la simple bonne volonté, la zooinclusivité nécessite des outils pratiques pour aider ces agents à entamer le changement et à le faire durer. Il faut donc répertorier un ensemble d’actions. C’est ce que propose ce livre, de façon nécessairement non exhaustive.
Voici deux exemples (que l’on trouvera présentés de façon plus détaillée dans le livre), l’un au niveau individuel, l’autre au niveau des politiques publiques.
Exemple de zooinclusivité au niveau individuel : faut-il adopter un animal de compagnie ?
Lors d’un projet d’adoption d’animal dit de compagnie, il faut s’assurer que l’on aura la disponibilité nécessaire pour s’en occuper, également prendre en compte les besoins comportementaux et physiologiques de chaque animal (pas seulement l’espèce, mais aussi la personnalité individuelle d’un futur compagnon), que ce soit un mammifère, un poisson, un oiseau. Il faudra pouvoir élever, nourrir, soigner votre animal, le stériliser, subvenir à ses besoins, le protéger. C’est un engagement à moyen ou long terme. Un chien vit en moyenne 11 ans, un chat 15 ans, un hamster 2 ans.
La zooinclusivité est aussi budgétaire. Il faut prévoir les dépenses liées à la vie de votre compagnon : frais d’adoption, pose d’une micropuce, stérilisation, alimentation et accessoires, frais de garde si vous devez vous absenter ponctuellement.
Il faut de façon générale prévoir du temps pour vous occuper de votre compagnon non humain, et ne pas sous-estimer la détresse qui sera la sienne, pour certaines espèces, si vous le laissez seul et enfermé pendant de longues heures.
Exemple de zooinclusivité au niveau des politiques publiques : Aller vers la zooinclusivité
Inscrire les droits des animaux dans la Constitution, personnifier les animaux sur le plan juridique, voici les pistes dessinées par la zooinclusivité juridique.
Depuis janvier 2015, les animaux sont déclarés « êtres vivants doués de sensibilité » puisque le Parlement français a adopté définitivement le projet de loi modernisant le statut juridique des animaux en reconnaissant leur nature d’être vivant et sensible. Mais cette qualité qui devrait obliger le législateur n’oblige pas à grand-chose : les animaux continuent d’être soumis au régime des biens. Leur statut continue de dépendre de l’usage qu’on fait d’eux, de leur lieu de vie (auprès de nous, ou en liberté) ou de pratiques considérées comme traditionnelles (chasse, corrida).
Aussi, des juristes prônent la reconnaissance d’une personnalité juridique technique[1] qui permettrait d’octroyer aux animaux de droits spécifiques, adaptés. Cette personnalité animale, qui ne transformerait pas les autres animaux en égaux des êtres humains, constituerait un progrès pour les individus d’autres espèces, en leur assurant une meilleure protection juridique[2].
Quant à l’inscription des animaux dans la Constitution, elle donnerait un meilleur fondement juridique et une plus grande légitimité aux interventions de la puissance publique visant à assurer leur protection. Cette réforme a déjà été opérée par plusieurs pays : Inde, Brésil, Autriche, Allemagne, Luxembourg. Une telle réforme entreprise en France fixerait un cadre davantage zooinclusif, car la Constitution est le texte normatif le plus important de l’ordre juridique français : toute personne ou autorité serait invitée à inscrire son action dans ce cadre et à le respecter[3].
Telle la zoopoétique qui produit des textes non seulement à propos des autres animaux mais aussi avec eux, la zooinclusivité aspire à considérer tous les animaux, à les intégrer aux activités, à la pensée, à la morale et à la politique humaines.
[1] Jean-Pierre Marguénaud, L’animal en droit privé. Thèse soutenue en 1987 à Limoges.
[2] Séverine Nadaud, « La promotion de l’animal au niveau de l’humain ? La reconnaissance de la personnalité animale, nouveau credo des juristes », Revue du droit des religions, vol. 12, 2021. En ligne : http://journals.openedition.org/rdr/1708 [consulté le 9 janvier 2023].
[3] Olivier Le Bot, « La protection de l’animal en droit constitutionnel. Étude de droit comparé », Lex Electronica, vol. 12 n° 2, Automne 2007. En ligne : http://www.lex-electronica.org/articles/v12-2/lebot.pdf [consulté le 9 janvier 2023].
la zooinclusivité aspire à considérer tous les animaux, à les intégrer aux activités, à la pensée, à la morale et à la politique humaines.
Considérer les animaux. Une approche zooinclusive
Ouvrage d’Émilie Dardenne, paru le 13/09/2023 aux Puf.
Emilie Dardenne
Maîtresse de conférences Habilitée à Diriger des Recherches, anglais et animal studies