En cette année 2020 marquée par la crise sanitaire et durant une bonne partie de laquelle nos déplacements étaient limités au strict nécessaire, un débat portant sur la chasse en période de confinement a vu le jour. De nombreux préfets ont, en effet, autorisé des actions de chasse « pour des raisons d’intérêt général ». Retour sur quelques décisions rendues par le juge des référés, intéressantes en la matière.
Mais avant toute chose, qui est le juge des référés ?
En droit administratif, le juge des référés est un juge unique appelé à se prononcer dans le cadre d’un recours judiciaire « accéléré ». Il peut alors s’agir d’un référé-liberté, d’un référé-constat, d’un référé-expertise ou encore d’un référé-suspension.
Plus particulièrement s’agissant de la procédure de référé-suspension, elle accompagne nécessairement une « requête au fond » et peut conduire à la suspension de l’exécution de la décision attaquée, jusqu’à ce que le juge se prononce sur le fond de l’affaire. Cette procédure de référé-suspension se fonde sur l’article L. 521-1 du code de justice administrative, lequel prévoit deux conditions cumulatives à remplir : (1) l’urgence doit justifier la suspension de l’exécution de la décision et (2) il doit exister des moyens (c’est-à-dire des arguments) propres à créer, en l’état de l’instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision.
Le lagopède alpin
En l’espèce, la Ligue pour la protection des oiseaux Auvergne Rhône-Alpes (LPO AuRA) a demandé au juge de suspendre la décision du préfet de l’Isère du 14 septembre 2020 fixant, pour le lagopède alpin, le prélèvement maximum autorisé, par chasseur, à 26 oiseaux sur le département.
Le juge était ainsi appelé à statuer, d’une part, sur la condition de l’urgence (1) et d’autre part, sur la condition du doute sérieux quant à la légalité de la décision contestée (2).
Sur la première condition, le Tribunal administratif de Grenoble retient que « le lagopède alpin est classé sur la liste rouge des espèces menacées par l’union internationale pour la conservation de la nature (UICN) et que cette espèce est en mauvais état de conservation du fait de sa forte régression ces dernières années ». Or, le Tribunal relève que la décision attaquée du 14 septembre 2020 pouvait être exécutée jusqu’au 11 novembre 2020 (date de fermeture de la chasse) et qu’ainsi, il peut être porté atteinte aux intérêts que défend l’association jusqu’à cette date (à savoir la protection de la biodiversité et de la faune sauvage). La condition d’urgence est donc réputée satisfaite.
Sur la seconde condition, le Tribunal juge que « le préfet ne peut autoriser la chasse des espèces concernées que si le nombre maximal des oiseaux chassés permet d’une part, de ne pas compromettre les efforts de conservation entreprise dans l’aire de distribution de cette espèce et d’autre part, d’éviter, à terme, la disparition de l’espèce ». Or, selon l’observatoire des gallinacés de montagne, l’indice de reproduction du lagopède alpin ne compense plus les mortalités puisqu’il est inférieur à 0,4 jeune par adulte.
Le Tribunal examine ensuite les deux aires de répartition naturelle du lagopède alpin : le massif des Alpes internes du Nord occidentales et le massif des Alpes internes du Nord orientales. Le juge relève alors que, pour le premier massif, l’indice de reproduction est insuffisant pour assurer la conservation favorable de l’espèce et « l’incertitude sur la taille réelle de sa population laisse subsister un doute sur les impacts des prélèvements cynégétiques ». Cette décision est remarquable dans la mesure où le juge reconnait que les données sur le lagopède alpin sont lacunaires et joue ainsi la précaution en jugeant que les prélèvements autorisés par l’arrêté attaqué, pour cette zone, sont de nature à compromettre les efforts de conservation de l’espèce.
En conséquence, par ordonnance n°2005738 du 20 octobre 2020, le Tribunal administratif de Grenoble a suspendu l’exécution de la décision préfectorale attaquée en ce qui concerne le prélèvement maximal autorisé du lagopède alpin, fixé dans le massif des Alpes internes du Nord occidentales. Notons que par une ordonnance n°2005741 du même jour, le Tribunal administratif de Grenoble a suspendu, pour les mêmes raisons, l’exécution de la décision du préfet de la Haute-Savoie du 18 septembre 2020 autorisant le prélèvement du lagopède alpin.
Le mouflon
En l’espèce, la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO) et l’Association pour la protection des animaux sauvages (ASPAS) ont demandé au juge de suspendre l’arrêté de la préfète de la Lozère du 10 novembre 2020 autorisant, à titre dérogatoire, la chasse de régulation de la faune sauvage pendant la période de confinement.
Le Tribunal administratif de Nîmes juge ici que l’arrêté préfectoral attaqué, en ce qui concerne le mouflon, porte une « atteinte suffisamment grave et immédiate aux intérêts que défendent les associations requérantes » puisque l’arrêté ne fixe aucun quota de chasse alors que le nombre de mouflons est estimé à 300 spécimens en Lozère, et qu’aucun intérêt général ne s’attache à la chasse de régulation au mouflon.
Bien que le Tribunal rejette par la suite cette même demande de suspension de l’arrêté s’agissant de la chasse de régulation aux espèces incluant le sanglier, le cerf élaphe et le chevreuil, la décision a notamment le mérite de rappeler qu’« une chasse, notamment en battue, est susceptible d’entrainer des conséquences au caractère irréversible pour la faune sauvage ».
En conséquence, par ordonnance n°2003476 du 23 novembre 2020, le Tribunal administratif de Nîmes a suspendu l’exécution de la décision préfectorale attaquée en tant qu’elle autorise, à titre dérogatoire, la chasse de régulation au mouflon.
Le grand gibier et les pigeons ramiers
En l’espèce, l’Association pour la protection des animaux sauvages (ASPAS) a demandé au juge de suspendre l’arrêté du 6 novembre 2020 de la préfète du Tarn autorisant le déplacement des chasseurs dans le département en vue de participer à des actions de chasse, de destruction ou de piégeage d’espèces animales.
D’une part, le Tribunal administratif de Toulouse juge que les dérogations aux mesures de confinement accordées par cet arrêté en vue de participer à des actions de chasse au mouflon et au daim, et de chasse ou piégeage des pigeons ramiers, ne répondent pas à une nécessité d’intérêt général. En effet, les espèces de grand gibier concernées sont en effectif réduit dans le département du Tarn et la réalité des dégâts aux productions agricoles et forestières invoqués ou de leur prolifération n’est nullement démontrée. Ainsi, la condition du doute sérieux quant à la légalité de l’arrêté attaqué est remplie.
D’autre part, le Tribunal juge que l’arrêté préfectoral attaqué autorisant, par dérogation aux mesures de confinement, des actions de destruction d’espèces sauvages, « porte une atteinte suffisamment grave et immédiate aux intérêts de protection de la faune sauvage » que l’ASPAS a pour objet social de défendre. Le Tribunal juge également que l’intérêt général s’attachant à la prévention des dégâts occasionnés par les espèces autres que le mouflon, le daim et le pigeon ramier ne peut prévaloir sur « l’intérêt général résultant tout à la fois de la protection de la faune sauvage et de la protection de la santé publique contre l’épidémie de covid 19 ». Ainsi, la condition de l’urgence est remplie.
En conséquence, par ordonnance n°20058557 du 3 décembre 2020, le Tribunal administratif de Toulouse a suspendu l’exécution de la décision préfectorale attaquée.
Pour conclure
Même si toutes les requêtes en référé tendant à la suspension d’arrêtés autorisant la chasse durant le confinement n’ont pas toutes abouties au même résultat, ces décisions démontrent toute l’importance de défendre la cause animale devant les tribunaux. Et ce d’autant plus que, le 10 décembre dernier, l’actualisation de la liste rouge des espèces menacées de l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature (UICN) – sur laquelle se fonde notamment le Tribunal administratif de Grenoble s’agissant du lagopède alpin –, invite à poursuivre les efforts de conservation des espèces. En effet, sur les 128 918 espèces animales et végétales recensées, un tiers de celles-ci sont désormais « menacées d’extinction ».
Laura Picavez
Avocate – droit de l’environnement