Ce livre est né d’un constat : les livres consacrés aux animaux appartiennent, dans la grande majorité, soit à des ouvrages scientifiques, soit à des ouvrages militants. Ne pas être dans l’exposé naturaliste ou éthologique, ni dans le pamphlet militant revient alors à tenir une ligne de crête. Par ailleurs, je voulais aborder des questions que je voyais peu apparaître et qui m’interpelait : d’où provient notre représentation culturelle des animaux ? Les animaux ont-ils une place au paradis selon la Bible ? Pourquoi sont-ils si présents dans l’enfance, puis délaissés par les adultes ? Pourquoi les animaux sont-ils maltraités alors que personne ne veut sciemment leur faire du mal ? L’histoire, la littérature, mais aussi la parole de professionnels de terrain sont alors essentielles pour cheminer dans cette réflexion sur notre rapport aux animaux. Donner la parole à ceux qui l’ont peu : voilà le troisième enjeu de ce livre, lui donnant son titre de « causeries ».
Le dialogue, capital en philosophie, permet l’évolution de la pensée, l’échange, la révision des préjugés, et ce livre est ponctué d’entretiens avec ceux qui côtoient les animaux, et ne partagent pas le même vécu : un prêtre, un historien, un dératiseur, un industriel de l’agroalimentaire, un directeur de zoo, des éleveurs de vaches et de chèvres, la fondatrice d’une association de médiation animale, sont quelques-uns des interlocuteurs de ce voyage qui donnent à voir une mosaïque de points de vue.
« Causeries animales » propose ainsi un voyage au travers des différents pans de la condition animale : l’animal comme ressource, le milieu aquatique, l’animal traqué, celui de combat, celui que l’on nomme nuisible, ou encore celui qui soigne, à travers l’animal de laboratoire ou l’animal médiateur. Quelle place laisse-t-on encore aux animaux dans nos territoires urbains et maîtrisés ? Les combats d’animaux répondent-ils à des pulsions humaines ? Pourquoi est-on aussi indifférent à la souffrance des animaux marins ? Comment montre-t-on l’animal depuis les cirques et les zoos du XIXe siècle jusqu’à aujourd’hui ? Jusqu’où les animaux de laboratoire ont-ils conscience de leur condition ? Ment-on aux enfants sur la réalité endurée par les animaux ?
Chaque chapitre est l’occasion de considérer une histoire, des causes et des enjeux, parfois antagonistes, mais aussi d’élaborer des solutions pour améliorer un état des lieux sombre, où la souffrance animale est devenue de plus en plus invisible à mesure qu’elle grandissait.
Les solutions, les remédiations, les innovations offrent ainsi un espoir réaliste quant au changement possible : ce sont des zoos refuges pour des animaux victimes de maltraitances ou de trafic, des élevages à échelle humaine, des laboratoires qui s’intéressent au « réensauvagement » des animaux, une pêche côtière moins polluante et plus respectueuse des océans, ou des animaux qui soignent des humains plus par leur présence qu’en tant que sujets d’expériences.
Ce texte s’adresse à tout lecteur, qu’il soit néophyte ou connaisseur des animaux. Eux qui ne parlent pas — et c’est sans doute là leur seul tort — sont pourtant loquaces et ont bien plus à nous dire que ce que l’on croyait. Les animaux sont indispensables à notre monde, non pas seulement pour des raisons d’écosystèmes, mais bien plus parce qu’ils rendent habitable cette vie, ils en font la beauté, la joie, et nous offrent aussi un refuge, auquel tous les enfants sont sensibles. Ce livre leur rend hommage, avec poésie et étonnement, interrogeant notre responsabilité et l’éducation au respect des animaux, questionnant aussi ce que l’on est disposés à changer.
Quelle empreinte laisse-t-on à ceux qui restent ? La question du leg, de la trace, est celle qui taraude les humains, alors que les animaux, eux qui ne produisent rien, n’en ont que faire. Mais à travers leur condition, c’est bien la question qu’ils nous adressent : quel monde laissons-nous derrière nous ? Dans un poème l’écrivain argentin Roberto Juarroz souligne « des paroles qui existent ont recouvré leur silence » : pour comprendre les animaux, encore faut-il savoir les écouter, et ce livre propose de leur donner la parole et de revoir nos préjugés. Bon voyage à tous ceux qui en tourneront les pages !

Audrey Jougla
Fondatrice et présidente d’Animal Testing
Auteur de « Profession : animal de laboratoire », Ed. Autrement