Numéro 21Droit animalierInterventions au colloque du 30 septembre 2025 et 1er octobre à l’Université de Polynésie française

Arielle Moreau15 octobre 20259 min

L’objet de cette présentation est de mettre en perspective la pratique de consommation de la viande de chien en Polynésie française avec l’évolution du statut de l’animal de compagnie.

Les chiens en vue de leur consommation peuvent être « préparés » selon des procédés extrêmement cruels.

L’article L521-1 du code pénal, applicable en Polynésie française, ne prévoit cependant pas de dérogations aux actes de cruauté à l’exception de traditions locales ininterrompues ce qui n’est pas le cas de la consommation de viande de chien en Polynésie française.

L’article 13 du Traité de Fonctionnement de l’Union Européenne prévoit que « lorsqu’ils formulent et mettent en œuvre la politique de l’Union dans les domaines de l’agriculture, de la pêche, des transports, du marché intérieur, de la recherche et développement technologique et de l’espace, l’Union et les États membres tiennent pleinement compte des exigences du bien-être des animaux en tant qu’êtres sensibles, tout en respectant les dispositions législatives ou administratives et les usages des États membres en matière notamment de rites religieux, de traditions culturelles et de patrimoines régionaux ».

Cette disposition met en lumière deux concepts : celui de bien-être des animaux qui est par essence un concept évolutif lié à l’état actuel de nos connaissances et à l’individu lui-même et celui de tradition, de rite et de patrimoine, qui est par nature figé.

Précisément en matière de bien-être animal la science a évolué de façon fulgurante ces 50 dernières années. Les animaux ne sont pas seulement capables de réagir à des stimuli comme le décrivait Descartes. Les données acquises de la science, que ces données viennent de la biologie des neurosciences, des éthologues des vétérinaires, sont unanimes pour décrire les capacités cognitives de certaines espèces animales, et aussi leur sensibilité à la souffrance et à expérimenter des émotions au même titre que nous.

Ainsi que le rappelle la Commission européenne dans son préambule sur la directive 2010/63 relative aux animaux utilisés à des fins scientifiques : « Les animaux ont une valeur intrinsèque qui doit être respectée » (…). « De nouvelles connaissances scientifiques sont disponibles concernant les facteurs qui influencent le bien-être animal, ainsi que la capacité des animaux à éprouver et exprimer de la douleur, de la souffrance, de l’angoisse et un dommage durable. Il est donc nécessaire d’améliorer le bien-être des animaux utilisés dans des procédures scientifiques en relevant les normes minimales de protection de ces animaux à la lumière des derniers développements scientifiques ».

Pour l’INRA, « […] Il existe des définitions reconnues au plan international de la douleur chez l’homme et chez l’animal qui ont en commun d’associer trois composantes : la nociception, l’émotion et la conscience. (…) La douleur, avec ses composantes sensorielle, cognitive, émotionnelle et les formes de “conscience” associées sont présentes chez les mammifères et les oiseaux. » – Extrait d’une expertise scientifique collective réalisée par l’INRA à la demande du ministère de l’Alimentation, de l’Agriculture et de la Pêche (MAAP) et du ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche (MESR), décembre 2009.

La Déclaration de Cambridge, signée par un groupe de scientifiques, en 2012 déclare que « les humains ne sont pas les seuls à posséder les substrats neurologiques qui produisent la conscience. Des animaux non-humains, notamment l’ensemble des mammifères et des oiseaux ainsi que de nombreuses autres espèces telles que les pieuvres, possèdent également ces substrats neurologiques ».

Ces différentes aptitudes des animaux ont été désignées par le terme anglo-saxon de «sentience» qui a fait son entrée dans le dictionnaire Larousse en 2019 : « (du latin sentiens, ressentant) – Pour un être vivant, capacité à ressentir les émotions, la douleur, le bien-être, etc., et à percevoir de façon subjective son environnement et ses expériences de vie ».

Concomitamment à ces avancées, le lien d’attachement à l’animal de compagnie s’est développé notamment au travers de la jurisprudence.

La définition de l’animal de compagnie nous est donnée par l’article L214-6 du code rural et de la pêche maritime qui le définit comme tout animal détenu pour l’agrément de l’homme. Le décret n° 2004-416 du 11 mai 2004 portant publication de la convention européenne pour la protection des animaux de compagnie, faite à Strasbourg le 13 novembre 1987 et ratifiée par la France le 18 décembre 1996 va au-delà de cette définition y rajoutant « tout animal détenu ou destiné à être détenu par l’homme, notamment dans son foyer, pour son agrément et en tant que compagnon ».

Ironiquement les jurisprudences majeures en matière de lien d’attachement ont été rendues à propos de chevaux alors que ceux-ci ne sont pas reconnus comme animal de compagnie en droit français.

Ainsi la possibilité d’être indemnisé pour le préjudice moral résultant de la perte de l’animal a été consacré par la jurisprudence LUNUS en 1962.

En 2023, ce lien a été érigé au rang des libertés fondamentales au titre du droit au respect de la vie privée – CE 20 novembre 2023, N°489253.

Dans un sondage IPSOS de mai 2020 deux tiers des propriétaires d’animaux (68%), considéraient que leur chien ou leur chat était un membre de la famille.

Le lien d’attachement à l’animal de compagnie s’accommode donc mal d’une société qui consommerait de la viande de chien.

Pour Donald BROOM éminent biologiste expert en bien-être animal de l’université d’Oxford : « Aucun système et aucune procédure n’est durable si une proportion notable de la population locale ou mondiale, à un moment donné, considère que certains des aspects de ce système ou de cette procédure sont inacceptables, ou considère désormais que ses effets prévus à l’avenir sont moralement inacceptables » Extrait du rapport 2007  pour la Commission de l’union européenne : Le bien-être animal dans l’union européenne.

Il existe de nombreux exemples de pratiques qui ont dû évoluer sous la pression sociétale et encore récemment : la tradition du cou à l’oie, près de Troyes. Le maire de la commune concernée a pris un arrêté de police en 2025 en vue d’interdire le jeu sous sa forme actuelle. En Espagne les fêtes traditionnelles du “Toro de la Vega” et de l’âne du Peropalo ont été modifiées en raison de la cruauté infligée au taureau et à l’âne.

La consommation de viande de chiens doit donc évoluer. Il ne s’agit pas de faire disparaître la dimension traditionnelle voir culturelle de cette pratique mais de la réinventer, sous une forme éthique et durable qui soit acceptable pour la société d’aujourd’hui.

Je souhaiterais adresser mes remerciements à Madame Laure Bellanger la vice-présidente du Tribunal de Papeete qui a organisé ce colloque et à mes confrères.

Derrière le concept d’une seule violence j’entends une pluralité de victimes : des victimes humaines mais également animales.

Dès 1850, nos politiques, alors qu’ils votaient la loi Grammont, avaient déjà appréhendé le lien qui existe entre toutes formes de violences.

Lutter contre les violences faites aux animaux devait alors permettre de bonifier l’homme, de le rendre moins brutal.

Notre héritage cartésien nous a éloigné de cette approche transversale des violences.  

Il y a comme une indécence de vouloir agréger ensemble des victimes qui ne partageraient pas le même statut juridique : les animaux contrairement aux humains ne sont pas sujets de droit.

Les pays anglo-saxons se sont affranchis de cette résistance dès lors qu’il s’agissait de se montrer pragmatique dans la lutte contre les violences domestiques. De nombreux États ont ainsi pu adopter des lois englobant les animaux de compagnie dans les violences intrafamiliales. Ce qui permet notamment d’appliquer des peines de récidives dès lors que les faits reprochés sont exercés sur les membres du foyer, et ce quel que soit l’espèce.

Il faut donc aujourd’hui en France parvenir à reconnaître un véritable statut de victime à l’animal.

« La question n’est pas : peuvent-ils raisonner ? ni : peuvent-ils parler ? mais : peuvent-ils souffrir ? » déclarait Jeremy Bentham, penseur des XVIII et XIXème siècles et père de l’utilitarisme.

Les animaux sont donc des victimes à part entière, et la question de l’animal sujet de droit ne doit pas constituer un obstacle pour leur reconnaissance en tant que sujets de souffrance.

Qui mieux que les avocats peuvent porter la voix de ces victimes. C’est notre quotidien de prendre la parole pour ceux qui ne peuvent ou ne veulent pas s’exprimer : des personnes morales, aux enfants ou aux personnes vulnérables.

Alors que vous recevez vos clients il vous appartient également d’adopter cette approche globale.

Si une association de protection animale dépose plainte pour des actes de cruauté commis en présence de mineurs (circonstance aggravante), n’oubliez pas de lui rappeler qu’elle a l’obligation de signaler les faits à la protection de l’enfance.

Dans les situations de violences intrafamiliales, réclamez des certificats vétérinaires circonstanciés pour les animaux victimes ou alors des attestations de médecins, de psychologues pour mieux caractériser les violences psychologiques du conjoint impliquant l’animal.

Le rôle de l’avocat ne se limite d’ailleurs pas à la représentation en justice.

Nous pouvons conseiller les différents acteurs de la protection animale : collectivités, sociétés, associations, y compris sur des stratégies de campagne. Nous pouvons également effectuer de la représentation d’intérêts auprès des politiques ou des institutions.

Mais également mettre en place des conventions ou des partenariats institutionnels.

À titre d’exemple en 2014, j’avais créé pour le compte d’une association de protection animale en partenariat avec le parquet de Saint-Pierre de la Réunion un stage de sensibilisation à la maltraitance animale inspiré de celui proposé aux auteurs de violences conjugales. Cette convention a pu voir le jour indépendamment de l’existence d’un texte normatif. Ce stage ne va faire son apparition dans le code pénal qu’avec la loi n° 2021-1539 du 30 novembre 2021 visant à lutter contre la maltraitance animale et conforter le lien entre les animaux et les hommes. Soit 7 ans plus tard.

Il ne faut donc pas attendre que des textes soient adoptés pour améliorer le sort des animaux.

Les décisions des tribunaux qui forment la jurisprudence constituent également une sérieuse piste de travail.

Ces cinq dernières années le droit prétorien a ainsi consacré le caractère irremplaçable et unique de l’animal (DELGADO 2015) et lien d’attachement comme liberté fondamentale (CE 2023).

Colloque, « L’animal domestique et le droit – Le cas de la Polynésie Française », 30 septembre- 1er octobre 2025

Liens vers les visios de l’Université de la Polynésie française UPF

1ere intervention : youtube.com/watch?v=5DdInRkNdoM

2e intervention : youtube.com/watch?v=cG7xYet1MsQ


Arielle Moreau
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avocate en droit des animaux Barreau de la Rochelle

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