Numéro 21Droit animalierRappel de la singularité de la Déclaration européenne des droits de l’animal et appel à la soutenir en conséquence

Jean Pierre Marguénaud15 octobre 20256 min

Dévoilée à Strasbourg le 29 janvier 2025 par  sa Maire Jeanne Barseghian puis  proclamée  du 17 au 28 février 2025 dans une douzaine de lieux publics et privés à Toulouse, Nice, Landerneau, Brive, Les Pennes Mirabeau, Annecy, au Palais du Luxembourg  à Toulon et ailleurs, la Déclaration européenne des droits de l’animal  a  franchi une nouvelle étape le 4 octobre 2025  à la Maison de l’Animal du Jardin de Bercy puisque sa version affinée y a été proclamée et signée au nom de la Ville de Paris.

En cette solennelle occasion magistralement orchestrée  par Christophe Nadjovski Adjoint à la Maire de Paris, sa Cheffe de cabinet Manon Thore et  Emmanuelle Pierre-Marie, Maire du 12ème arrondissement, un rappel de l’originalité de la démarche enclenchée par les rédacteurs de la DEDA et un appel à la soutenir de plus en plus vigoureusement ont été exprimés en des termes qui sont ici à peu près répliqués.

Au point de départ de la DEDA,  il y a ce constat que les Droits de l’Homme mis en exergue par la  Déclaration universelle du 10 décembre 1948 seraient restés théoriques et illusoires si elle n’avait pas été relayée par les Pactes de New-York du 10 décembre 1966 et surtout par une déclinaison européenne, la Convention européenne des droits de l’homme du 4 novembre 1950 interprétée par la Cour européenne des droits de l’homme qui, depuis 1959, se bat sans relâche pour les rendre concrets et effectifs.

En 1978, les droits de l’animal ont bénéficié à leur tour d’une Déclaration universelle semblablement dépourvue de force juridique mais, en revanche, jamais équipée d’un  relais vers l’effectivité. En conséquence, les droits de l’animal sont restés tellement théoriques, tellement illusoires, que les doigts des deux mains pourraient suffire pour compter les animaux ayant été, à travers le monde entier, officiellement  déclarés titulaires de véritables droits.

Dans ces conditions désolantes, un groupe d’une petite dizaine d’universitaires exclusivement  juristes qui n’ont pas la moindre  prétention de connaître mieux les animaux que celles et  ceux qui les soignent et les étudient de près mais qui  sont enclins à se laisser bercer par l’illusion de savoir à peu près de quoi ils parlent lorsqu’il s’agit d’améliorer leur protection juridique, se sont mis en tête  de construire une passerelle, d’ouvrir un chemin  pour que les droits de l’animal cessent d’être théoriques et illusoires pour devenir à leur tour, un peu plus concrets et effectifs.

Le plus sûr moyen d’y parvenir eût été, bien entendu, d’élaborer une Convention européenne des droits de l’animal  sur le modèle de la Convention européenne des droits de l’homme. Malheureusement, il n’y a de convention qu’élaborée, signée et ratifiée par des États sur lesquels il faudrait être en mesure d’exercer une influence politique. Or, parmi les 9 juristes chercheurs d’effectivité des droits de l’animal, un seul  a une expérience politique : Jacques Leroy, conseiller municipal  de la ville de Jargeau, dans le Loiret, située à 10 mètres au sud de la Loire. Aussi, avec le sens inné du ridicule qui nous caractérise,  avons-nous  immédiatement compris que nous n’étions pas assez bien équipés pour entreprendre la construction d’une Convention européenne des droits de l’animal.

Nous avons donc réduit notre ambition à une Déclaration européenne des droits de l’animal qui ne serait pas un nouveau catalogue de droits d’autant plus tonitruant que les perspectives de les rendre concrets et effectifs resteraient amorphes. Sur ses 14 articles, 5  traduisent au contraire une obsession de l’effectivité des droits de l’animal par des moyens tels que la reconnaissance d’une personnalité juridique sui generis, la mise en place d’une autorité administrative indépendante dénommée Défenseur des Animaux naguère préconisée par Robert Badinter, l’éducation et la formation.  Dans ces conditions, la critique selon laquelle la DEDA ne serait pas véritablement une déclaration des droits de l’animal se retournerait aussitôt  en reconnaissance de sa singularité : elle se veut d’abord boîte à outils juridiques pour forger petit à petit  en faveur des animaux de véritables droits qui ne seraient pas voués à s’abrutir indéfiniment dans les illusions théoriques.

Il reste que cette Déclaration d’initiative purement privée n’a absolument aucune force juridique et n’a pas la moindre petite chance de changer quoi que ce soit dès aujourd’hui ou même à partir de demain. Comment dès lors pourrait-elle aider  à donner de l’effectivité aux droits de l’animal qui sont aussi démunis qu’elle ? Ses 9 rédacteurs ne seraient-ils qu’une bande de grands gamins de 30 à 75 ans qui n’auraient pas résisté à la tentation d’écrire une lettre au Père Noël ? C’est bien ce que pourraient légitimement croire toutes celles et tous ceux qui n’auraient pas eu le temps ou l’occasion de s’imprégner de la démarche véritablement européenne de la DEDA  qui justifie de la qualifier d’européenne encore que tous ses rédacteurs soient français.

Pour permettre aux non juristes que la protection des animaux  intéresse de  découvrir la clef de voûte européenne de la DEDA, il va falloir leur demander un effort d’attention juridique qui paradoxalement sera plus exigeant pour celles et ceux qui ont déjà fait un peu de droit car il va les obliger à s’éloigner des points de repères qu’ils ont pu apprendre à distinguer. Il faut en effet partir de cette idée peu connue que la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, revêtue de ce que l’on dénomme une ”autorité de la chose interprétée”, irradie l’ensemble des États membres du Conseil de l’Europe. Il faut savoir ensuite que cette juridiction internationale qui présente la très remarquable particularité de pouvoir être saisie directement par les justiciables, personnes privées ou personnes morales qui ont épuisé les voies de recours internes, s’est déjà intéressée de très près à des questions d’intérêt animalier soit pour écarter le droit au respect des convictions des objecteurs à l’abolition de la chasse à courre ou à l’interdiction de l’abattage sans étourdissement préalable réversible ; soit pour faire prévaloir le droit à la liberté d’expression des défenseurs des animaux outrés notamment  par l’élevage industriel ou le secret gardé sur le sort réservé aux chiens errants ; soit encore pour affirmer le droit d’association négatif des opposants à la chasse. Rien ne l’empêcherait d’aller plus loin et même jusqu’à reconnaître certains droits concrets et effectifs  à certains animaux. L’espoir le plus sérieux repose sur l’article 3 de la CEDH qui porte interdiction de la torture. Il se trouve que cet article ne dit pas ” Nulle personne ne peut-être soumise à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ” mais ”Nul ne peut être soumis à la torture…. ». C’est dire que le droit indérogeable à ne pas être soumis à la torture  ou à des traitements inhumains  ou dégradants n’est pas  réservé aux êtres humains : les animaux aussi  pourraient être rangés sous le ” nul” pour bénéficier de la protection de l’article 3 de la CEDH. C’est la raison pour laquelle l’article 1er de la DEDA met en exergue la prohibition des actes de cruauté dont l’assimilation avec la torture et les traitements inhumains ou dégradants  semble aller de soi.

Les perspectives d’amélioration de la protection des animaux par le relais de la Cour et de la Convention européennes des droits de l’homme ne sont donc pas insignifiantes. Pour qu’elles deviennent réelles et sérieuses, une condition devra cependant être remplie : c’est que la Cour européenne des droits de l’homme puisse s’appuyer sur un socle commun large et solide qu’elle appelle parfois une communauté de vue dans les sociétés modernes. C’est ici que se situe la raison d’être inédite de la DEDA : contribuer à faire émerger à l’échelle européenne une communauté de vues relative à la protection des animaux sur laquelle la Cour européenne des droits de l’homme pourrait s’appuyer d’abord pour renforcer les droits des hommes et des femmes qui les défendent ; ensuite et surtout pour  leur reconnaître de véritables droits concrets et effectifs.

La DEDA parviendra à forger cette communauté de vues dans les sociétés modernes grâce à des proclamations comme celle de Paris du 4 octobre 2025 qui est capitale à tous égards et par la multiplication des signatures d’organisations et de personnes physiques impliquées dans ou concernées par la défense de la cause animale.

C’est le moment d’observer, que dans cet esprit véritablement européen, la DEDA n’appartient pas à ses 9 autrices et auteurs : elle devient l’œuvre de ceux et celles qui l’ont signée et qui la signeront pour faire émerger, en faveur des animaux, une communauté de vues dans les sociétés modernes. C’est la raison pour laquelle la version proclamée à Paris le 4 octobre 2025 est une version affinée en fonction des observations les plus convergentes de la première vague de signataires qui, d’une certaine manière, sont devenus co-auteurs.

La DEDA est un instrument vivant : à chacun et à chacune de la faire vivre en réussissant à la  proclamer comme dans les deux capitales que sont Strasbourg et Paris et en invitant à la soutenir par une signature à l’adresse : declaration.europeene.animal@gmail.com


Jean Pierre Marguénaud
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Agrégé de droit privé et de sciences criminelles.
Chercheur à l'Institut de droit européen des droits de l'homme (IDEDH) Université de Montpellier.
Directeur de la Revue semestrielle de droit animalier

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