Numéro 21Droit animalierQuand les actionnaires du Québec deviennent la voix des êtres animaux

Modestie Hauchecorne15 octobre 20256 min

Au Québec, les êtres animaux sont reconnus comme des êtres sensibles par la loi. Pourtant, dans la gouvernance des entreprises, ils restent parfois invisibles. Le présent texte rend compte du résultat d’une analyse menée par Modestie Hauchecorne, étudiante finissante en droit à l’Université Laval, recherchiste en droit des sociétés par actions et surtout, investie dans la défense des êtres non plus sensibles, mais pour elle, sentients. Cet essai met en évidence une piste inédite et novatrice : l’utilisation de l’action dérivée, un recours juridique méconnu, en faveur du droit animalier.

L’adoption de l’article 898.1 du Code civil du Québec et de Loi sur le bien-être et la sécurité de l’animal a marqué un tournant : les animaux ne sont plus des biens meubles comme les autres, mais des êtres doués de sensibilité. Pourtant, dans le monde des affaires, cette avancée demeure théorique et les conséquences désastreuses pour les animaux, journalières.

« Les conseils d’administration placent trop souvent la rentabilité au sommet de leurs priorités. Elle est nécessaire, certes, mais elle ne doit pas écraser sur son passage la responsabilité éthique et le respect du vivant. » Selon Mme Hauchecorne.

Or, les choix économiques des entreprises ont un impact direct sur le bien-être animal : méthodes d’élevage, tests en laboratoire, pratiques de mise en marché. L’absence de représentation des êtres animaux en droit des sociétés crée un vide. Cette invisibilité interroge : si le droit reconnaît leur sensibilité, pourquoi ne trouve-t-elle aucune traduction dans la gouvernance ?

C’est ici qu’intervient une piste inattendue : donner aux actionnaires la possibilité de devenir leurs porte-paroles indirects.

L’article 445 de la Loi sur les sociétés par actions (LSAQ) prévoit l’action dérivée, un mécanisme qui permet à un demandeur d’obtenir du tribunal l’autorisation d’intenter une action au nom et pour le compte de la société lorsque les administrateurs demeurent inactifs. Il ne s’agit pas d’une faveur exceptionnelle, mais d’un outil destiné à assurer que la société défende réellement ses intérêts quand ses dirigeants s’y refusent.

Comment relier cette mécanique du droit corporatif à la cause animale ?

« Prenons un exemple concret. Une entreprise agroalimentaire adopte des méthodes d’élevage intensif entraînant de graves souffrances. Les administrateurs sont informés, mais ils refusent d’agir, préférant préserver des marges financières immédiates. C’est ici le nœud et ici que les actionnaires conscientisés ont une carte à jouer! » précise Mme Hauchecorne.

Selon son analyse, un actionnaire pourrait demander au tribunal l’autorisation d’intenter une action dérivée. L’argument serait que ces pratiques portent atteinte non seulement aux êtres animaux, mais aussi à la société elle-même : risques juridiques, économiques et réputationnels, menace de sanction judiciaire, exposition médiatique… Dans ce scénario, l’action dérivée devient un outil pour intégrer le respect des êtres animaux à l’intérêt social de l’entreprise.

« Protéger les êtres animaux, c’est protéger la valeur, la pérennité et l’éthique de la société, mais aussi protéger notre humanité. On oubli que le problème semble économique, mais est en réalité c’est profondément un enjeu de conscience collective. »

Le droit de l’environnement offre un précédent éclairant. Pendant longtemps, il semblait impossible de représenter la nature ou les écosystèmes devant les tribunaux. Pourtant, des actions en justice ont progressivement permis d’agir au nom de l’environnement, en démontrant que la protection de celui-ci faisait partie de l’intérêt collectif et économique.

Pourquoi ne pas appliquer la même logique aux êtres animaux ? En plaçant le bien-être animal dans le champ de l’intérêt social, l’action dérivée ouvre la voie à une gouvernance véritablement responsable.

« Il serait naïf de penser que l’action dérivée résoudra à elle seule les problèmes liés à la condition animale. Elle impose des conditions strictes : l’autorisation judiciaire, la preuve d’un préjudice, et le courage d’actionnaires souvent isolés… Mais son potentiel est double! »

D’abord, elle constitue un levier juridique concret : en cas d’inaction fautive des administrateurs, elle permet de saisir le tribunal et de contraindre la société à agir.

Ensuite, elle revêt une dimension symbolique forte : elle montre que le droit des sociétés, perçu comme éloigné des préoccupations éthiques, peut au contraire devenir un terrain d’innovation pour la cause animale.

« L’action dérivée n’a encore jamais été utilisée en ce sens, mais elle pourrait marquer un précédent : transformer les actionnaires en défenseurs du vivant au cœur des entreprises. » Assure Mme Hauchecorne, qui souhaite que sa recherche soit avant tout utile et relayée.

Aujourd’hui, la cause animale ne se gagne pas seulement par des revendications militantes. Elle progresse aussi en utilisant les outils les plus techniques du droit. En redonnant du sens à l’intérêt social, l’action dérivée rappelle que le droit peut être une arme discrète mais puissante au service des êtres animaux.

Lien d’une interview du 16 juillet 2025, sur mon parcours sur les ondes de la radio Chyz 92.3 : chyz.ca/emission/jamono

Lien d’un article du journal Le Verdict me concernant en page 35 et auquel je participe de mes écrits : journalleverdict.com/dition-automne-2024


Modestie Hauchecorne
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LL. B. en droit à l’Université Laval (QC) - Auxiliaire de recherche et essayiste -Ambassadrice SiFNULL

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