Numéro 19Droit animalierL’intérêt « supérieur » des animaux du foyer à l’épreuve de la séparation des couples 

Arielle Moreau15 avril 20256 min

Avec 6 Français sur 10 qui déclarent posséder un chien ou un chat, et 68% des Français qui considèrent leur animal de compagnie comme un membre de la famille (sondage IPSOS 27 mai 2023 qui ne prend pas en compte les NAC), les procédures judiciaires sur le sort des animaux en cas de séparation des couples, sont en nette augmentation.

Pour régler cette question, plusieurs décisions se fondent sur le concept « d’intérêt de l’animal » à l’instar du principe de l’intérêt supérieur de l’enfant qui doit primer sur toutes autres considérations (article 3 de la Convention internationale des droits de l’enfant).

Si le principe de la primauté de l’intérêt de l’animal doit s’appliquer dans les contentieux familiaux, encore faut-il que les magistrats puissent recourir à des professionnels de la santé animale pour en déterminer les contours, à peine de rendre des décisions aux antipodes des effets recherchés.

La réglementation française ne prévoit pas de statut particulier pour les animaux qui vivent dans le foyer.

L’article 515-14 du code civil dispose de façon générale que l’animal est soumis au régime des bien sous réserve des lois qui le protègent.

Ces lois figurent principalement dans le code pénal et le code rural et de la pêche maritime, et ont vocation à s’appliquer aux animaux domestiques, sauvages apprivoisés ou tenus en captivité.

Les réglementations dont bénéficient les animaux diffèrent selon que l’animal est destiné à être un animal de compagnie ou un animal d’élevage ou d’expérimentation, ou encore selon qu’il soit transporté ou gardé.

Les animaux du foyer sont quant à eux détenus ou destinés à être détenus par l’homme pour son agrément – I de l’article L214-6, I du code rural et de la pêche maritime.

À la différence de certains pays, il n’existe donc pas en France de statut pour les animaux dits de famille ou du foyer, définis comme les animaux qui vivent au sein de la structure familiale.

La terminologie même d’animaux du foyer a fait son apparition récemment à la faveur de la loi du 15 juin 2024 renforçant l’ordonnance de protection et modifiant l’article 515-11 du code civil, qui régit les mesures pouvant être prises par le juge aux affaires familiales saisi d’une ordonnance de protection en cas de violences conjugales.

Depuis cette loi le juge peut attribuer à la partie demanderesse la jouissance de l’animal de compagnie détenu au sein du foyer.

Les animaux étant soumis au régime des biens sous réserve des lois qui les protègent, la première question à laquelle le juge est confronté en cas de séparation du couple est celle de la propriété de l’animal.

Le législateur a voulu éviter ce débat alors que juge doit statuer en urgence sur le sort de l’animal du foyer en cas de violences conjugales.

Le juge s’est vu alors conférer la possibilité d’attribuer la seule jouissance de l’animal et non sa propriété, qui sera réglée ultérieurement dans le cadre des opérations de liquidation et partage.

Hors contexte de violences, la question de la propriété devra nécessairement être tranchée.

D’autant que le lien affectif de l’humain avec l’animal de compagnie mérite protection au titre du droit au respect de la vie privée  – CE 20 novembre 2023, N°489253.

Pour les tribunaux français la propriété d’un animal ne se limite pas au nom qui figure sur la carte du fichier des carnivores domestiques, dite carte ICAD.

Toutefois cette position n’est pas figée puisque dans certaines décisions cette identification constitue un préalable nécessaire pour pouvoir revendiquer la restitution d’un animal placé sous-main de justice.

Les tribunaux vont donc se baser sur un faisceau d’indices parmi lesquelles figurent le nom porté sur la facture, ou l’attestation de cession ou encore la détention paisible, publique et non équivoque.

Toutefois en présence d’un couple la situation est plus compliquée puisque la détention est assurée par la famille. Les membres sont donc codétenteurs de l’animal.

C’est là où le concept d’intérêt de l’animal prend tout son sens.

Les juges vont rechercher celui des détenteurs le plus à même de remplir les besoins fondamentaux de l’animal.

Ces besoins sont ceux définis par les articles R214-17 et suivants du code rural et de la pêche maritime et les arrêtés d’application comme l’arrêté du 25 octobre 1982 relatif à l’élevage, à la garde et à la détention des animaux.

Il est également possible de se référer aux besoins déclinés dans le modèle du certificat d’engagement et de connaissance proposé par le ministère de l’Agriculture et de la Souveraineté Alimentaire.

Dans des décisions plus audacieuses : « la propriété d’un animal ne se limite pas à sa possession physique, elle impose que la personne qui le détient pourvoit à ses besoins quotidiens et manifeste à son égard l’affection qui permettra à l’animal d’évoluer dans un climat de confiance envers son maître » – Cour d’appel de Poitiers, 1ère chambre, 24 avril 2018, n° 16/00881.

Si les deux détenteurs présentent les mêmes niveaux de garantie, le juge va devoir : soit opter pour une garde alternée, soit en cas d’impossibilité (opposition ou distance trop éloigné entre le couple) ou de violences intra conjugales, trancher pour l’un ou l’autre des codétenteurs.

Il est important de souligner à ce stade, que les animaux en leur qualité d’être vivant doué de sensibilité, ont un intérêt propre qui peut différer de celui de leur propriétaire ou de leur détenteur.

Dans ce contexte, l’intervention d’un sachant indépendant, qui ne partage aucun lien ou communauté d’intérêts avec les membres de la famille, devient alors d’autant plus nécessaire que les animaux n’étant pas reconnus comme sujets de droit, ne peuvent pas bénéficier des services d’un avocat dédié à la défense de leurs seuls intérêts.

En effet, la tentation serait grande pour celui des détenteurs qui serait le plus fortuné de recourir au service de professionnels pouvant attester dans leur sens.

Il n’existe pas de liste d’experts dédiés à cette question mais les vétérinaires psychiatres, inscrits sur la liste des experts, peuvent être sollicités.

À noter que ces sachants pourraient utilement intervenir en qualité de médiateur préalablement à toute procédure contentieuse.

Les associations de protection animale constituent bien entendu des interlocuteurs privilégiés quand il s’agit d’évoquer la question du bien être animale, mais leurs approches ou convictions sont parfois disparates créant ainsi trop des distorsions dans les réponses apportées. Des oppositions peuvent ainsi apparaître entre des associations sur des sujets très spécifiques : les animaux ne peuvent pas être détenus par un sans domicile fixe, un chien doit avoir accès à un jardin pour être heureux, un chat doit pouvoir accéder à l’extérieur etc.

C’est donc vers une évaluation objective portant tant sur les conditions de vie (temps de présence, balades pour un chien, prise en charge pendant les congés, etc.) que sur le lien d’attachement de l’animal aux membres de sa famille humaine que le juge devra se prononcer.

Notre législation gagnerait donc à s’enrichir d’un nouveau statut d’animaux du foyer, à l’image de certains pays, car elle permettrait de sanctionner plus efficacement les violences intra familiales et surtout de s’affranchir des débats autour de la propriété de l’animal.

L’évaluation objective de la situation de l’animal du foyer devrait être confiée, quant à elle, à un sachant indépendant, quand chacun des codétenteurs apporte la même garantie de qualité de vie, afin de déterminer celui le plus à même de garder l’animal, si la garde alternée est exclue.


Arielle Moreau
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avocate en droit des animaux Barreau de la Rochelle

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