Numéro 19Animaux domestiquesLes vocations dans la protection animale : un parcours en quatre temps

Réale Couchaux15 avril 20255 min

Selon Douglas Fakkema, ceux qui consacrent leur vie aux animaux passent par quatre phases dans l’évolution de leur mission. Et même si nous sommes uniques et que nos histoires individuelles le sont aussi, nous traversons tous un processus similaire. Et si nous « survivons » à ce processus, nous pouvons évoluer sereinement dans notre mission de Protection des Animaux.

    Nous mangeons, dormons et vivons pour la cause animale. Nous sommes enflammés et nous voulons changer le monde. Notre enthousiasme déborde, notre capacité à relever des défis est illimité.

    Notre entourage ne comprend pas toujours notre obsession et peut prendre de la distance. Nous pouvons faire de nouvelles rencontres amicales, ou nous isoler car trop accaparés par notre mission auprès des animaux. Certains se focalisent sur leurs relations avec leurs compagnons à quatre pattes, et se nourrissent uniquement de cet engagement dans la cause animale.

    Dans cette phase zèle, nous avons tendance à apporter des solutions simples à des problèmes complexes : chaque animal devrait être stérilisé, ou aucun animal ne devrait être euthanasié. Nous pensons pouvoir comprendre et résoudre des problèmes complexes avec des solutions simples.

    Les animaux sont toujours maltraités et négligés – leur situation semble inchangée malgré tous nos efforts. Nous avons perdu l’énergie débordante qui caractérise la première phase. Nous nous sommes blindés, et notre bouclier émotionnel bloque la douleur et la tristesse, ce permet d’encaisser la dureté du quotidien.

    Notre enthousiasme a tourné au vinaigre. Les problématiques restent les mêmes et nous côtoyons tous les jours la même souffrance animale et les mêmes problématiques de maltraitance, d’abandon et de prolifération féline. Nous sommes exposés au pire de l’humanité.

    Nous nous isolons, et même nos proches ne nous comprennent pas. Nous développons une forme de cynisme, et sentons l’épuisement et l’écœurement nous envahir. Lorsque nous rentrons du travail, nous avons tendance à nous isoler et à nous jeter sur des aliments réconforts, ou à prendre l’apéro, pour se détendre et se faire du bien.

    Dans cette phase, nous pouvons parfois ignorer nos familles, et même nos animaux de compagnie peuvent recevoir moins d’attention. Mais nous ne nous en rendons pas compte.

    Notre sentiment d’impuissance grandit face à l’exposition répétée aux mêmes problématiques, et nous nous anesthésions émotionnellement un peu plus chaque jour pour tenir le coup. Mais nous continuons malgré tout, car de temps à autre, nous vivons une étincelle d’énergie de notre phase zèle.

    Le désespoir se transforme en rage. Nous commençons à haïr les gens sauf si, comme nous, ils consacrent leur vie aux animaux. Tout le monde est la cible de notre colère et mépris.

    Nous haïssons parfois même nos collègues s’ils osent nous remettre en question, ou avoir une autre vision de la Protection Animale, surtout sur le sujet tabou de l’euthanasie. Nos propos sont cyniques et tranchants envers les maltraitants et ceux qui abandonnent leurs animaux. Et notre colère s’étend à notre vie de tous les jours : nous en voulons à la terre entière, et l’espèce humaine nous écœure.

    Notre engagement n’a plus aucun sens, et nous sommes incapables de rester connectés à la vie. Même les animaux que nous côtoyons nous semblent distants et irréels. Nous risquons de nous effondrer à tout moment.

    Certains oscillent entre ces phases deux et trois, voire entre trois et quatre, ou quatre et deux. Nombreux sont ceux qui quittent la Protection Animale pendant la phase deux ou trois, pour ne jamais y revenir. Certains semblent passer rapidement à la phase quatre, tandis que d’autres mettent des années et des années. Certains ne trouvent jamais la paix intérieure nécessaire pour accéder à la phase quatre : ils travaillent toute leur vie dans le frénétique nuage rose de la phase un, ou restent perpétuellement déprimés ou en colère.

    Au fil du temps, la dépression de la phase deux et la colère de la phase trois peuvent laisser la place à une nouvelle compréhension de ce qu’est vraiment notre mission. Nous l’abordons avec humilité : nous ne stopperons pas la maltraitance animale, mais nous améliorons la vie de centaines d’animaux chaque jour.

    Nous réalisons que nous avons été efficaces au niveau local, régional, voire national. Nous n’avons certes pas résolu le problème (qui pourrait le faire ?), mais nous avons fait une différence pour des dizaines, centaines, voire des milliers d’animaux. Nous commençons à reconnaître notre juste place au sein de notre communauté et à comprendre que nous sommes plus efficaces lorsque nous parvenons à concilier vie professionnelle et vie personnelle.

    La sérénité s’installe grâce à ce nouvel équilibre et une meilleure compréhension de soi.

    Nous réalisons que le travail ne représente pas tout notre monde, et qu’en prenant soin de nous, nous pouvons être plus efficaces dans notre mission. Nous acceptons notre vulnérabilité et comprenons que les émotions qui nous submergent parfois sont « normales » dans notre mission d’aide à des êtres vulnérables en souffrance. Sensibilisés à la fatigue compassionnelle, nous compensons en entretenant notre satisfaction de compassion et en posant nos limites. Nous respectons notre besoin de temps off, et en profitons pour revenir recharger face aux défis quotidiens. Nous comprenons et acceptons que la tristesse et la douleur fassent partie de notre travail. Nous cessons de nous gaver de nourriture réconfortante, drogues ou d’alcool, ou de nous isoler socialement. Nous commençons à comprendre que la colère, la dépression et la tristesse sont mieux gérées si nous les reconnaissons.

    Notre rapport à l’Autre évolue et nous acceptons avec humilité la complexité du monde. Nous reconnaissons que les solutions sont tout aussi complexes que les problèmes. Notre vision de l’humanité s’apaise, et avec elle, la foi en la capacité de changer les choses. Notre mission a de nouveau du sens.

    Nous renouons avec les animaux et notre carapace s’effrite car nous n’en n’avons plus besoin. Nous avons foi en notre incroyable potentiel pour aider les animaux. Nous changeons véritablement le monde.


    Réale Couchaux
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    Intervenante en Relation d’Aide Humain-Animal
    Fondatrice d’Ethik Animara

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