Numéro 19Droit animalierLa prise en compte des intérêts de l’animal en cas de séparation de ses détenteurs, en France et aux Etats-Unis

Nathalie Soisson15 avril 202511 min

A l’occasion du colloque organisé au Sénat par l’Université de Brest, « L’article 515-14 de code civil : 2005-2025 », le 21 février dernier,  la question de la prise en compte des intérêts de l’animal domestique lors de la séparation de ses détenteurs a été évoquée. Malheureusement, en droit français, ni la réponse législative – ce point ne rentre pas dans le cadre des « lois qui les protègent » dudit article – ni la réponse judiciaire, ne sont satisfaisantes.  

Madame Clara Bernard-Xémard, Maître de conférences en droit privé à l’Université de Versailles-Saint Quentin en Yvelines, a toutefois mentionné une jurisprudence de la Cour d’appel de Bastia[1] attribuant la chienne d’un couple à l‘ex-épouse « elle-même vétérinaire et ainsi parfaitement apte à s’en occuper ». Cette décision va dans le bon sens, mais aucun arrêt de principe ne vient clairement entériner la recherche de l’intérêt de l’animal dans la dissolution d’une union et la répartition des biens du couple, puisque « bien » il demeure.

Un récent article paru au Louisiana Bar Journal[2]  « Paws, Claws and Divorce Laws : Reconsidering Pet Custody in Louisiana », nous révèle que, chez nos cousins américains appliquant encore nombre des principes du droit civil, la situation de l’animal n’est pas plus enviable. Dans les deux cas, les animaux sont en effet encore considérés comme des biens meubles.

Ce qui suit est en grande partie à porter au crédit de l’auteur de cet article, Ryan P. Simoneaux[3], que nous remercions de nous avoir autorisé à nous en inspirer.

Pas plus qu’en France les lois concernant le divorce en Louisiane ne prennent en compte l’intérêt de l’animal lors de l’attribution de la propriété[4] à l’un ou l’autre époux lors de la dissolution du mariage.

S’agissant donc d’un bien meuble corporel[5],  il faudra suivre les règles gérant les régimes matrimoniaux. Ainsi, les articles concernant  la commnauté de biens s’appliqueront à l’animal considéré acheté en commun par les époux ayant choisi ce régime[6]. Chacun d’entre eux pourra en demander l’attribution exclusive. Le juge considèrera la nature et l’origine du bien, la situation économique de chaque époux « et toutes autres circonstances que le tribunal jugera pertinent[7] ». Aucune attention particulière n’est portée à la sensibilité de cet être vivant, et  ne seront nécessairement pris en compte ni le bien-être de l’animal ni l’attachement des co-propriétaires à son égard.

Sous le régime de la séparation de biens, l’animal demeurera avec son propriétaire légal.

Cependant les juges du fond (« district court juges ») peuvent avoir recours à d’autres sources pour régler les conflits, comme la doctrine, la jurisprudence d’autres Etats (sources qui ne lient pas le juge) ou d’autres articles du Code.

Dans l’arrêt Moore v. Knower[8] une Cour d’Appel a eu à décider de l’attribution du chien Abby. Deux ans après la séparation d’un couple non-marié co-propriétaire du chien, pendant lesquels avait été organisé d’un commun accord un système de garde partagé, la jeune femme a décidé unilatéralement de garder Abby à plein temps. Le juge a tenu compte de la conduite de la jeune femme et a attribué la propriété exclusive au maître d’Abby, guidé par les articles sur la propriété conjointe[9]. Il a estimé que ce dernier était la meilleure personne pour la garde d’Abby[10] à défaut de l’accord volontaire, rompu par la jeune femme.

Ce juge, de façon classique,  s’est référé aux principes du code civil et notamment a recherché la bonne foi des parties. Il n’a cependant pas pris sa décision en considération de l’intérêt propre de l’animal.

Toutefois nous pouvons citer d’autres lois en Louisiane, en dehors des cas de divorce ou de séparation qui reconnaissent l’importance de l’animal en lui-même… ou s’en rapprochent.

Il est permis, en Louisiane, au propriétaire d’un animal domestique de créer en sa faveur un instrument légal, un trust, pourvoyant à ses besoins même après la disparition de son propriétaire [11].

Ce mécanisme étant inconnu en tant que tel en droit français, d’autres possibilités sont envisagées pour s’assurer des bons soins à l’animal aimé après le décès du propriétaire : le leg avec charges (utilisé par Karl Lagerfeld pour assurer l’avenir de sa chatte Choupette par l’intermédiaire de sa gouvernante) ou encore le mandat de protection animale[12], inspiré du mandat de protection future.

Il s’agit bien là de la prise en compte directe de l’intérêt de l’animal, mais qui devra respecter les autres lois en matière de biens, successions ou régimes matrimoniaux.

En réponse aux dramatiques abandons survenus à la Nouvelle Orléans à la suite du cyclone Katrina en 2006, le législateur de Louisiane, mais également le Congrès Fédéral des Etats Unis ont voté des lois permettant d’inscrire les animaux dans les plans d’urgence, d’évacuation et d’accueil en cas de catastrophe naturelle[13].

Certainement très positive pour les animaux, il est permis de se demander si cette loi a été votée dans l’intérêt premier de l’animal ou en réponse au nombre important d’habitants qui ont refusé de partir en laissant derrière eux leurs animaux[14] ?

Qu’en est-il des autres Etats américains ?

Est-ce un débat pays de droit civil, bloqués par la summa divisio, versus pays de common law ? Certains Etats américains soumis à cette dernière sont en effet plus avancés, bien qu’à des degrés différents. Et ils sont encore peu nombreux.

En 2024, six Etats, reconnaissant l’évolution de la famille américaine moderne, avaient voté des lois se souciant de l’intérêt de l’animal pour l’attribution de sa garde (« pet custody laws»).  Ces textes soit requièrent, soit simplement autorisent, le juge à prendre en compte certains éléments afin de décider de la future propriété de l’animal. Certains mentionnent le meilleur intérêt de l’animal (« best interest »), son bien-être (« well-being ») ou encore les soins à lui apporter (« care »).

L’Alaska, en 2016, a ouvert la voie, intégrant explicitement l’attribution de la propriété de l’animal au domaine du droit de la famille.

Toutefois il existe des disparités entre les juridictions sur leur approche du sujet.

Certains Etats exigent du juge qu’il applique le standard du meilleur intérêt de l’animal, alors que d’autres laissent à la discrétion du juge sa mise en oeuvre.

Dans le premier groupe se trouvent l’Illinois[15], le Maine[16], le New Hampshire[17] et l’Etat de New York[18], globalement la Nouvelle Angleterre. Dans le second l’Alaska[19] et la Californie[20]. Il est intéressant de constater que, comme dans d’autres domaines de droit, nous retrouvons la même différence de vision sur la société américaine entre côte est et côte ouest, plus permissive.

Ensuite, certains Etats autorisent le juge à imposer la propriété conjointe de l’animal après le divorce – Alaska, Californie, Illinois – , alors que d’autres l’interdisent. Ainsi, le Maine oblige le juge à attribuer la propriété « à une seule partie »[21].

Il est intéressant de constater que, quel que soit le cas de figure, aucun Etat ne prévoit de droit de visite.

Le champ d’application des lois diffère également : quels sont les animaux qui peuvent bénéficier de la prise en compte de leur « best interest » ? Dans les Etats de Californie, Maine et New York, la loi donne elle-même une définition des animaux concernés. A l’inverse, les juges de l’Alaska, Illinois et New Hampshire doivent se référer à d’autres dispositions légales ou encore à la jurisprudence.

Enfin, l’application du critère de « best interest » varie grandement d’un Etat à un autre. Ainsi les Etats d’Alaska, Illinois, New Hampshire, et New York ne définissent pas quels sont les critères à prendre en compte, laissant le juge dans le flou. A l’opposé, la Californie et le Maine prévoient dans la loi même des directives précises.

Ainsi, en Californie, les juges doivent décider de la propriété exclusive ou conjointe de l’animal en évaluant les soins (« care ») qui peuvent lui être apportés, ce qui inclut la prévention contre les actes de maltraitance ou de cruauté, la fourniture de nourriture, d’eau, les soins vétérinaires et un abri sûr et protégé[22]. La liste n’est pas limitative, mais la loi place clairement la santé et la sécurité de l’animal au cœur de la décision du juge.

Le Maine va encore plus loin. Rappelons que, dans cet Etat, les juges sont dans l’obligation de choisir un seul des ex-conjoints comme propriétaire exclusif. Pour ce faire, le juge du fond doit considérer un minimum de sept critères portant sur les besoins et la sécurité de l’animal mais également doit rechercher l’historique des relations entre l’animal et les conjoints, les liens émotionnels avec ces derniers, mais aussi éventuellement leurs enfants, et la présence possible de violence domestique au sein du foyer, ce qui ne manque pas de nous rappeler la démarche One Violence[23].

A notre connaissance, aucune loi fédérale ne reconnait le caractère « sentient » des animaux, bien que de nombreux textes reconnaissent qu’ils sont capables d’éprouver de la douleur et de souffrir, physiquement et émotionnellement. Des sanctions punissent les actes de maltraitance et de cruauté.

En résumé les juges de Louisiane, comme les juges français, ne disposent que de peu de directives pour les aider à traiter cette question de la prise en compte de l’intérêt de l’animal en cas de rupture ou de divorce. Rien ne les empêche cependant de s’appuyer sur la loi La. R. S. 9 :2801 qui les autorise expressément à s’inspirer des lois des autres Etats, en conformité avec les principes généraux du droit de la Louisiane.

Nous ne pouvons que souhaiter que les juges français s’en inspirent pour créer, sur la lignée de la décision de la Cour d’Appel de Bastia, une jurisprudence plus favorable aux animaux.


[1] Cour d’appel de Bastia, 15 janvier 2014 (n° 12/00848)

[2] Louisiana Bar Journal, February/March 2025, Volume 75, Number 5, page 338

[3] Third year Student at Loyola University New Orleans College of Law, Editor-in-chief of the Maritime Law Journal, member of the St Thomas More Inn of Court

[4] L’utilisation des termes “propriété” ou « propriétaire » dans cet article renvoie à une réalité juridique

[5] La. Civ.C. art. 471

[6] La. Civ.C. art. 2369 :1, 2369 :2

[7] La. R.S. 9 :2801  and any other circumstances that the court deems relevant

[8] Louisiana 4th Circuit Court of Appeal, 2016-0776 (La.App. 4 Cir. 3/23/17), 214 So.3d 165, writ denied  2017-0653 (La. 6/16/17), 220 So. 3d 757

[9] La. Civ.C. art. 802-803

[10] « the best person to determine the use and management of Abby”, So.3d at 171

[11] La. R.S. 9 :2263

[12] Voir le mémoire de Maître Vic Burgan, Prix Jules-Michelet  30 Millions d’Amis, DU de Droit animalier de l’Université de Limoges-Brive, 2018

[13] La. R.S. 29 :729 ; Federal Pets Evacuation and Transportation Standards (PETS) Act of 2006, 120 Stat 1725

[14] Louisiana SPCA, Hurricane Katrina Animal Rescue Facts, Louisiana SPCA.org (April 5, 2024), American Veterinary Medical Association, PETS Act (FAQ), AVMA.org (April 5, 2024)

[15]  750 Ill. Comp. Stat. Ann. 5/503 (n) (West 2024)

[16]  Me. Rev. Stat. tit. 19-A, § 953 (West 2024)

[17]  N.H. Rev. Stat. Ann, § 458 :16-a (2024)

[18]  N.Y. Dom. Rel. Law § 236 (McKinney 2024)

[19] Alaska Stat. Ann. § 25.24.160 (2024)

[20]  Cal. Fam. Code § 2605 (West 2024)

[21] Me. Rev. Stat. tit. 19-A, § 953

[22] Includes « but is not limited to, the prevention of acts of harm or cruelty… and the provision of food, water, veterinary care, and safe and protected shelter” 

[23] « the historical relationship between the pet and its owners, the owners (and their children’s) emotional bonds to the pet, and the presence of domestic violence in the home, if any.” § 953 (10) (A-F)


Nathalie Soisson
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Présidente APRAD (Association de Protection des Animaux par le Droit)
Ancienne avocate au Barreau de Paris
Attorney at Law, Louisiana Bar

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