Emilie Dardenne est une chercheuse, autrice de Considérer les animaux. Une approche zooinclusive, Paris : Puf, 2023 et de Introduction aux études animales, Paris : Puf, 2022 (2ème édition).
Pour rappel, le Prix Maya est organisé par l’association Educ Pop Animaliste. Chaque année, il récompense une œuvre faisant avancer la cause animale dans trois catégories « Romans/récits », « Bandes-dessinées » et « littérature jeunesse ». Les lauréats et lauréates sont invités à participer à la Vegan Place de Tours où leurs ouvrages sont mis en avant. Cette année, ils ont été dévoilés connus le 29 mars.
Vous êtes professeure des universités à l’Université Rennes 2, rattachée au Centre de Langues et spécialiste des «animal studies ». Pouvez-vous nous dire comment vous en êtes arrivée à vous spécialiser dans cette recherche, souvent plus attendue dans le domaine des sciences expérimentales ?
Peut-être qu’il faudrait commencer par rappeler ce que sont les études animales (« animal studies ») : ce ne sont pas des sciences expérimentales, justement. Elles s’intéressent aux relations entre les êtres humains et les autres animaux, et à la représentation culturelle de ces derniers. Elles s’inscrivent donc dans les sciences humaines et sociales, les arts, les lettres, plutôt que dans les sciences du vivant.
Pour ma part, je suis angliciste, c’est-à-dire que j’ai fait mes études en anglais, et que ma thèse portait sur un aspect de la culture anglophone, en l’occurrence le XIXème siècle et la poussée des revendications en faveur des animaux non humains et des femmes à cette période, en Grande-Bretagne. Je me suis donc spécialisée dans un champ qu’on appelle « histoire des idées », où je pouvais combiner mon intérêt pour l’aire anglophone, qui est ma spécialisation disciplinaire, et mon intérêt pour la prise en compte, ou l’absence de prise en compte, des intérêts des animaux non humains.
Après ma thèse de doctorat, j’ai poursuivi mes recherches sur la question animale dans l’aire anglophone, en m’intéressant à l’utilitarisme, notamment celui de Peter Singer, puis j’ai élargi mon approche en développant les études animales en français, dans le but de rendre plus accessible au public et aux étudiantes et étudiants ce champ très riche issu de l’aire nord-américaine et britannique.
Vous avez consacré votre thèse de doctorat à Frances Power Cobbe. Pouvez-vous évoquer cette incroyable activiste irlandaise du XIXème siècle ?
Frances Power Cobbe était journaliste, militante antivivisectionniste, féministe et critique de son temps. Née en Irlande, elle a vécu en Grande-Bretagne par la suite et a consacré son énergie à la défense des intérêts des femmes et des animaux non humains. Elle a écrit sur la violence conjugale, et sur la violence exercée contre les animaux de compagnie (elle avait déjà repéré la convergence des dominations, qu’on regroupe aujourd’hui sous l’expression « One Violence »), elle a écrit sur la violence subie par les femmes dans le cadre médical, et surtout, elle s’est engagée, cela a été l’un des grands combats de sa vie, contre l’utilisation des animaux non humains en expérimentation médicale. Elle a été la principale fondatrice et porte-parole de la première organisation antivivisectionniste britannique.
Vous êtes responsable du D.U « Animaux et Société », pouvez-vous nous dire en quoi il consiste, quel est son contenu et à quels étudiants et étudiantes il s’adresse ?
Le DU Animaux et société relève de la formation continue, il s’adresse à des personnes déjà en situation professionnelle ou en recherche d’emploi. C’est une formation courte de 70 heures d’enseignement qui se déroule sur deux semaines, et qui vise à donner aux étudiants et étudiantes un éclairage mobilisant les sciences humaines et sociales et des compétences de terrain (ONG, droit, éducation) afin de renforcer les connaissances sur les relations entre les humains et les autres animaux. La question de ces rapports, de leurs caractéristiques, de leur évolution, s’impose en effet de plus en plus sur les scènes associative, politique, scientifique et médiatique.
Ce diplôme permet aux stagiaires intervenant dans ces milieux, ou souhaitant se diriger vers eux professionnellement, de mieux comprendre les relations que les sociétés humaines entretiennent avec les autres animaux. Cette formation met également en lumière les enjeux qui traversent ces relations et les changements qu’elles subissent à l’époque contemporaine. Elle donne l’occasion aux étudiants et étudiantes d’approfondir deux sujets en lien avec la condition animale puisqu’ils doivent rédiger deux dossiers (l’un sur un sujet libre, l’autre sur un sujet imposé) pour valider leur diplôme. Enfin, ce que nous constatons aussi avec l’équipe pédagogique, c’est que la mise en réseau des étudiants et étudiantes entre eux et avec l’équipe est très fructueuse et permet des collaborations ponctuelles ou durables.
Vous avez accepté l’invitation du comité du Prix Maya à entrer dans le jury comme personnalité invitée pour la session 2025. C’est une participation bénévole et militante. Pouvez-vous nous expliquer ce qui a motivé votre acceptation ?
C’est une double motivation. D’abord, je suis convaincue que les changements éducatifs et culturels sont cruciaux pour faire évoluer le regard des Français et des Françaises sur les animaux non humains, en cela la littérature jeunesse, les romans/récits, et la BD peuvent jouer un rôle important. Promouvoir les œuvres animalistes est donc un bon levier pour participer à ce changement sur le long cours.
Par ailleurs, et c’est une motivation plus personnelle, comme je suis passionnée par tout ce qui touche à la condition animale contemporaine, et à la représentation des non-humains, je me suis dit que ces nombreuses lectures (quinze œuvres à lire entre novembre et mars) me feraient certainement découvrir des pépites, et me donnerait aussi une bonne vision des derniers développements dans la zooinclusivité littéraire. Je n’ai pas été déçue : les ouvrages sélectionnés cette année sont variés, certains sont plus réussis que d’autres, évidemment, mais je me suis régalée, globalement, avec deux ou trois coups de cœur dont j’espère qu’ils seront partagés par les autres membres du jury !
Le prix Maya 2025 a récompensé les œuvres suivantes.
Catégorie récits
Premières Plumes de Charlie Gilmour, traduit par Anatole Pons-Reumaux, aux éditions Métailié.
Le récit sensible de la rencontre entre le jeune Charlie et la pie Benzène, rencontre transformatrice et réparatrice.
Catégorie albums jeunesse
Tino un merle au jardin de Nicolas Jolivot aux éditions HongFei.
Un ouvrage éblouissant de beauté et de finesse. La chronique de la vie du merle Tino dans un jardin, au fil des saisons, pendant une année. Une fenêtre ouverte sur la richesse insoupçonnée du monde animal qui nous est si proche.
Catégorie bandes dessinées
S’il te plaît, dessine-moi un cachalot de Pome Bernos et François Sarano aux éditions Actes Sud.
La coopération fructueuse entre une dessinatrice et un océanographe. Esthétique, instructif, poétique, drôle : un roman graphique qui éclaire d’un regard inventif la vie sociale du clan d’Irène Gueule Tordue, une communauté de cachalots.
Pour en savoir plus sur :
Le Prix Maya : prixmaya.org/
Emilie Dardenne : perso.univ-rennes2.fr/emilie.dardenne
Propos recueillis par Claire Tastet
Photo Le jury Maya, de gauche à droite : Pierre Lucot, Emilie Dardenne, Elodie Vieille Blanchard, Camille Silvert, Sophie Wyseur.

Claire Tastet
Co-organisatrice du prix Maya