« Nous demandons pour lui le droit à un salaire en rapport avec son travail ; la surveillance de ce travail, qui doit être en concordance avec sa force, son âge, sa capacité ; le droit à la retraite après une carrière bien remplie. Il est non seulement odieux , mais il souverainement injuste que l’animal, vieux, malade d’infirmités contractées pendant son travail à notre service, n’ait droit pas même à cette simple indemnité : les soins médicaux, la nourriture, le repos, le laisser vivre. Nous demanderons enfin, comme dernier droit, le respect de la personnalité animale, de façon qu’il soit expressément défendu de faire de la bête un jouet. » Marie Rosalie Bouchard dite Adrienne Neyrat (1862-1936), journaliste, défenseure de la cause animale, fondatrice du journal « L’ami des bêtes »
Et Marie Rosalie Bouchard devint Adrienne Neyrat
En ce dernier tiers de 19 -ème siècle naît à la maternité de Bourg en Bresse une petite fille. Sa mère, Françoise, Joséphine Bouchard, jeune domestique de 19 ans domiciliée à Salavre, accouche seule, elle ne déclare pas de père à la jeune sage-femme de l’école d’accouchement prénommée Benoîte Chichoux.
L’enfant est déclarée sous le nom de jeune fille de sa mère et sera pour l’état civil Marie Rosalie Bouchard.
Les cas d’accouchements par des mères célibataires en cette fin de 19 -ème siècle sont courants, en 1890 par exemple, on recense dans les hôpitaux de Paris 4624 mères célibataires dont 2354 domestiques. Les maîtres à cette époque exigeaient souvent que les bonnes soient célibataires et les enfants nés de ces abus n’étaient jamais ou très rarement reconnus…
De l’enfance et de l’adolescence de Marie Rosalie Bouchard, on ne sait rien, de sa vie de jeune femme pas grand-chose. Elle apparaît sous le pseudonyme d’Adrienne Neyrat lorsqu’elle fonde son journal illustré « L’ami des bêtes » en cette fin d’année 1898, et dont le premier numéro sortira au mois de février 1899, au prix de 40 centimes l’unité et de 6 Francs l’abonnement annuel. On sait cependant qu’elle a été membre de la SPA et qu’elle était proche des réseaux féministes luttant en faveur de l’affranchissement des femmes dans les années 1900.
Un journal pour la défense des animaux, lancé avec le soutien de grands noms de la société de l’époque
Le journal « L’ami des bêtes » a été fondé par Adrienne Neyrat dans un but de propagande et pour répandre des idées de justice et de bienveillance envers les animaux. Plaidant éloquemment la cause des sans voix, la revue est entièrement consacrée aux animaux, à leur défense, à l’amitié et à l’affection qu’on doit leur porter.
En France, l’origine et l’évolution de la protection des animaux sont indissociables de la fondation en 1845 de la Société protectrice des animaux (SPA), naissance qui faisait suite à la création en Angleterre en 1824, de la Société pour la prévention de la cruauté envers les animaux, qui visait au départ à protéger les chevaux d’attelage contre les abus et violences.
Émile Zola dans un article du Figaro du 24 mars 1896, « L’amour des bêtes » fera part des expériences affectives que les malheurs des animaux éveillèrent en lui. Est-ce cet article qui donna l’idée à Adrienne Neyrat de lancer son journal ? Rien n’est moins sûr, mais une chose est certaine, son comité de soutien et sa liste de collaborateurs compteront des noms prestigieux : Anatole France, George Clémenceau, Jean Jaurès, Emile Zola, Pierre Loti, François Coppée, Maurice Barrès, Benjamin Constant, Camille Flammarion, Mucha, Steinlen, Job, Octave Mirbeau participeront à l’aventure parmi beaucoup d’autres.
« J’ai reçu, il y a quelques jours, la lettre suivante, que les derniers événements m’empêchèrent de publier, mais il n’est jamais trop tard pour bien faire, voici cette épître :
Monsieur, je suis une petite chienne amie des hommes ; et quoique petite chienne, je m’intéresse à tout ce que disent les hommes sur nous et sur eux. Vous avez parlé de mes sœurs et de moi dans « Le Soleil » en des termes qui me font supposer que vous êtes notre ami, mais vous ne me semblez guère l’ami de ceux ou celles qui veulent s’occuper de nous et surtout de mes congénères qui ne peuvent point parler et savent encore moins lire et écrire. Il s’est fondé un journal que vous appelez « L’ami des chiens ». Nous ne sommes pas aussi exclusives ni aussi accapareuses que vous semblez le croire, Monsieur. C’est un but beaucoup plus vaste que se propose cette feuille, dont le titre est l’Ami des bêtes ; et si vous vouliez bien vous donner de la peine de faire une visite à notre directrice, vous verriez que Mademoiselle Adrienne Neyrat n’est point, comme vous le prétendez, « une demoiselle ayant dû éprouver quelques déboires auprès du sexe auquel nous devons les journalistes » Votre flair vous a trompé : Mlle Neyrat est jeune et n’a encore éprouvé nul déboire que celui de ne pas vous compter parmi les collaborateurs de l’œuvre qu’elle a entreprise. « Recevez, monsieur, avec mes excuses de vous tenir si longtemps, l’assurance de ma fidélité à votre journal. Signé : Miss Violette, chienne, chez Mme de , rue n* … ».
Une œuvre en faveur les animaux, remerciée par l’oubli des hommes…
Que reste-t-il de la mémoire d’Adrienne Neyrat ? Peu de choses à dire le vrai… Aucune mention d’elle n’est faite dans les personnalités des communes de Bourg-en-Bresse et de Meissonnas. Je n’ai appris son existence pour ma part qu’au hasard d’une balade sur l’avenue de Wagram dans le 17 -ème arrondissement. Une simple plaque (récente visiblement) située au numéro 83 me fit lever les yeux. Elle portait la sobre mention « Ici habita Adrienne Neyrat, 1862-1936, qui publia la première revue de défense des animaux L’ami des bêtes ».
Cette plaque, nous la devons à la ténacité d’un historien, Jean-François Darnand-Reverdiau habitant Meillonnas, petite commune de l’Ain, où Adrienne Neyrat possédait le Moulin des Rochettes et où elle fut enterrée.
Le journal « l’ami des bêtes » semble avoir survécu pendant quelques années après la mort de sa fondatrice le 13 décembre 1936, puis ce fut l’oubli. Sur sa tombe aujourd’hui disparue se dressait une bouteille scellée à l’envers qui renfermait des dessins d’animaux ; la mémoire d’Adrienne semble s’être effacée avec la disparition de ses contemporains…
La mémoire de la plupart des hommes est un cimetière abandonné, où gisent sans honneurs des morts qu’ils ont cessé de chérir écrivait Marguerite Yourcenar, espérons que cet article ravivera, un peu, la mémoire de cette pionnière de la protection animale.
Photo d’illustration : pixabay
Guillaume Prevel
Conseiller régional Ile-de-France du Parti animaliste
Correspondant des Hauts de Seine du Parti animaliste