Education des enfantsActualitésLes animaux dans l’éducation

Emeline Porthe2 juin 20247 min

Depuis 2015, les animaux sont reconnus comme des êtres vivants doués de sensibilité La loi n° 2021-1539 du 30 novembre 2021 visant à lutter contre la maltraitance animale et conforter le lien entre les animaux et les hommes est adoptée et l’article 25 complète l’article L. 312-15 du code de l’éducation « L’enseignement moral et civique sensibilise également, à l’école primaire, au collège et au lycée, les élèves au respect des animaux de compagnie. Il présente les animaux de compagnie comme sensibles et contribue à prévenir tout acte de maltraitance animale. »

Pourquoi intégrer la réflexion le rapport des humains aux autres espèces dans les cours ?

L’école est le lieu d’émancipation des élèves, de leur permettre d’avoir un esprit critique et de faire des choix éclairés. La société appelle à réfléchir aux urgences écologiques planétaires, dont le rapport au vivant et dispose de nombreuses données scientifiques sur l’intelligence, le comportement, la sentience des animaux.

Les images collées aux animaux – l’effrayant, le dangereux, le bête, le naïf …– sont bien ancrées dans l’imaginaire collectif. On entend souvent dans la bouche des adultes comme des enfants « ce chien est méchant », « c’est un animal, il ne ressent rien/il est bête ». Ces images seraient-elles une projection de nos peurs ?

« Nous nous trouvons ainsi à la rencontre et à la conjonction, paradoxales, d’une mise à distance – « Ce n’est pas moi » – et d’une proximité secrète, inavouée – « Je sais bien que c’est moi ». » (Armengaud, 2017). Ce faisant, ces images nous permettent de penser l’humain. Par exemple, le loup du Petit chaperon rouge est « le prototype des questions que l’Autre nous pose depuis toujours » (ibid).

Accompagner les élèves à réaliser l’utilisation métaphorique des animaux apporte un double bénéfice. D’une part, comprendre que cette vision est une projection humaine et non une connaissance scientifique permet de se questionner sur les comportements humains et, notamment, les raisons pour laquelle nous avons besoin de catégoriser ainsi les autres espèces. D’autre part, cela permet aux élèves de vouloir découvrir et construire leur connaissance sur le langage, le comportement, les besoins des autres animaux.

« Ces derniers, plus que les adultes, me semblent d’emblée et spontanément capables de se mettre à la place de l’autre, de faire preuve d’empathie, de compassion» (Armengaud, 2017) Travailler sur la connaissance, l’écoute, la compréhension des autres espèces – dans cet article, nous parlons des animaux mais la flore est également concernée – est un des moyens de développer l’empathie, à la fois envers les autres espèces mais aussi envers les autres êtres humains.

La corrélation entre la violence sur les humains et la violence sur les animaux est avérée[1]. Et au-delà de ces recherches, il m’a toujours semblé que d’accepter et de protéger les autres formes de vie permet de développer du respect entre humain aussi.

Ainsi, comprendre l’Autre, même si cet Autre n’est pas de la même espèce, pourrait amener une plus grande tolérance, c’est en tout cas ce que j’ai constaté dans ma pratique.

Comment alors élaborer des séances, séquences et progression pour faire de l’éducation aux vies non-humaines un apprentissage régulier et intégré aux compétences attendues par l’école ?

J’ai commencé par petites touches, en ajoutant une séance de prolongement à mes séquences. L’étude en 6ème du Petit chaperon rouge et d’œuvres en lien – parodies, affiches, tableaux… – permet de s’interroger sur l’image du loup et, plus largement sur l’image des animaux dans l’art. Les élèves ont été enthousiastes et ont demandé à comprendre le langage des animaux, à la suite d’expériences positives (mieux comprendre son chat, son chien, son lapin) ou négatives (« je voulais caresser ce chien et il m’a couru après). Ces séances ont permis de travailler à la fois l’histoire de l’art, les compétences de lettres, les compétences du citoyen et les compétences psychosociales. Les élèves ont pu exprimer leurs émotions, leur ressenti face à leurs expériences, questionner leurs a priori grâce aux informations prélevées dans les documents et aux échanges avec les pairs et interroger la responsabilité humaine dans le comportement des animaux. Une séance ponctuelle était utile mais pas suffisante pour permettre aux élèves une réflexion sur le long terme.

Pour avoir un impact réel et ne pas être considérées comme une distraction, les éducations à nécessitent une intégration régulière dans les apprentissages et compétences travaillés, ainsi qu’une réflexion sur la pédagogie. « En proposant des pédagogies accordant un rôle central à l’élève qui est pris dans la globalité (prise en compte des aspects cognitifs et émotionnels), où l’enseignant est présent pour guider l’élève, le potentiel créatif des élèves est plus important que dans les pédagogies traditionnelles. » (Barbot & al, 2021).

Pédagogie coopérative, classe mutuelle,  DVDP (Discussions à Visées Démocratique et Philosophique etc, les pédagogies actives sont nombreuses et permettent de mettre l’élève au centre. Celui-ci n’est alors plus dans la position de donner la bonne réponse attendue mais dans une posture de réflexion complexe qui lui permet de se pencher librement sur la question du lien avec les animaux non-humains.

J’enseigne de manière coopérative et la question animale – et de développement durable – est présente tout au long de l’année. Les DVDP[2] sont un levier important. Les élèves, en cercle, échangent sur des questions philosophiques, sans que l’enseignant exprime son avis. Le professeur se contente de questionner pour pousser la réflexion. Les élèves développent alors une pensée complexe et la construction dialogique permet de prendre du recul par rapport à ses idées. Comme vous pourrez le voir sur le lien, la réflexion n’est pas nécessairement en lien direct avec le rapport humain-animaux mais permet de penser le fond, dans l’exemple réfléchir à ce qu’on considère comme monstrueux. Même si les élèves ne pensent pas directement le rapport à l’animal, leurs conceptions évoluent.

La séquence sur la poésie est un autre exemple de réflexion sur notre lien au vivant. Ce chapitre est un temps de création poétique pendant lequel les élèves écrivent des haïkus, des calligrammes, des acrostiches et diverses autres formes de poèmes sur des thèmes de la nature et des animaux. Pour ce faire, ils ont besoin de se documenter et d’acquérir des connaissances sur le sujet. La création poétique les amène à porter un autre regard sur l’animal, loin des préjugés et clichés.

Cette intégration de la réflexion éthique sur l’animal dans les apprentissages a un impact positif sur le lien avec le monde animal et sur le lien entre êtres humains. En effet, ce travail s’accompagne de projets sur d’autres sujets qui développent l’empathie et le respect. Nous travaillons avec des associations pour les sans-abris, avec des EHPAD, nous réfléchissons à l’égalité hommes-femmes à l’inclusion. L’apprentissage sur les animaux est une démarche qui refuse la hiérarchisation de la souffrance. Il n’y a pas les animaux OU les humains mais les animaux ET les humains.

Bibliographie :

Armengaud, F. (2017). Enfants et animaux dans la littérature jeunesse. L’école des parents, N623, 187-208. doi.org/10.3917

Barbot, B., Besançon, M., Cassotti, M., Camarda, A., & Lubart, T.(2021). Le développement de la créativité : trajectoires dynamiques, neuro-cognition et impact du contexte. In Fourgeret, P. & Gentaz, E. (Eds.), Le développement neurocognitif de la naissance à l’adolescence. Pédia, Elsevier Masson.

Porthé, E. (2019). Le rôle des pratiques philosophiques dans le développement de la pensée complexe des collégiens.


[1] que ce soit une violence sur les animaux pour contrôler des humains, une violence sur les animaux parce que la personne a vécu dans un environnement violent pendant l’enfance, la violence sur les animaux comme conséquence de la violence subie ou la violence sur les animaux comme prémices à la violence sur les humains.

[2] Vous pouvez retrouver une de mes DVDP, sur la monstruosité, sur ce lien youtube.com/watch


Emeline Porthe
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Enseignante et formatrice dans l'académie de Créteil, sur les thématiques de la persévérance scolaire, de la coopération, de l'évaluation, de l'éducation au développement durable et du bien-être à l'école.

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