En 2021, les delphinariums français opèrent en respectant l’arrêté du 24 août 1981 relatif aux règles de fonctionnement, au contrôle et aux caractéristiques auxquelles doivent satisfaire les installations abritant des cétacés vivants est celui qui conditionne leur vie.
Suite à notre rencontre avec Mesdames Laurence Abeille et Geneviève Gaillard fin 2014, ces deux députées très engagées pour la cause animale, ont déposé des amendements lors de l’examen de la loi sur la biodiversité au printemps 2015. Les amendements ayant été rejetés, Madame Ségolène Royal, alors Ministre de l’écologie, s’est engagée à revoir le texte qui régit la vie des dauphins captifs. Une réunion de travail a donc été organisée au Ministère de l’écologie, réunissant des associations, des responsables des parcs aquatiques et de zoos et de nombreuses personnes des services du ministère. Cette réunion n’ayant débouché sur aucune avancée significative, nous avons au nom de notre association « C’est Assez ! » demandé d’autres rendez-vous durant lesquels nous avons clairement exprimé nos demandes. Pour avoir plus de poids nous avons demandé à plusieurs grosses associations de nous accompagner. Le 10 janvier 2017 nous avons rencontré Barbara Pompili alors secrétaire d’Etat à l’écologie et nous lui avons remis plus de 67000 signatures ainsi que notre Manifeste signé par plus d’une trentaine de célébrités.
Le 3 mai 2017, un nouvel arrêté voyait enfin le jour, prenant en compte nombre de nos demandes :
Interdiction de la reproduction des orques, agrandissement et approfondissement des bassins mettant immédiatement le Parc Astérix en difficulté, installation de protection contre les brûlures du soleil, de jets d’eau, de vagues, de courant… suppression du chlore, des spectacles de nuit, des feux d’artifices, du bruit et de la musique trop forte, des échouages forcés, des interactions avec les visiteurs… Bref déjà de belles avancées et un premier pas vers la fin de la captivité. Malheureusement, l’interdiction de la reproduction des dauphins ne figurait pas dans l’arrêté.
Sous la pression d’associations, Ségolène Royal a modifié l’arrêté en dernière minute le 6 mai 2017 en y ajoutant cette fameuse interdiction mais sans remettre la version finale à la consultation publique, ni à l’examen de instances concernées.
L’arrêté a donc été annulé par le Conseil d’Etat fin janvier 2018 pour vice de procédure.
Immédiatement après nous avons rencontré à deux reprises Nicolas Hulot, nouveau Ministre et lui avons présenté un texte revu et corrigé avec les conseils de notre avocat, dans lequel nous renoncions à tout ce qui pouvait entraîner des frais coûteux pour les delphinariums, du moment que l’interdiction de la reproduction était actée.
Monsieur Hulot, rien
Idem auprès de Monsieur De Rugy, rencontré 2 fois… Bilan toujours rien.
Puis nous avons rencontré Madame Borne à plusieurs reprises. S’en sont suivis des groupes de travail sur les sujets des cirques, des delphinariums, des zoos et des élevages de visons. Fin de ces groupes de travail début juillet 2020.Toujours rien !!!
Suite aux annonces prometteuses et courageuses de Madame Pompili fin septembre 2020 nous étions dans l’attente de nouveaux textes… Un an plus tard. Rien !!
Une proposition de loi sur la maltraitance animale, portée par Laëtitia Romeiro Dias, Loïc Dombreval, et Dimitri Houbron a été votée fin janvier 2021.
Après de longs mois d’attente, la PPl est enfin examinée par le Sénat fin septembre 2021.
Malheureusement et sans surprise l’article 12 et plus particulièrement la partie qui traite des delphinariums, est sabordée sous couvert de bien-être animal et de préservation des espèces sauvages.
En dépit des nombreuses données scientifiques obtenues en milieu naturel, les arguments utilisés par les delphinariums et certains sénateurs pour les garder captifs sont toujours les mêmes : conservation, éducation et recherche.
Il semble donc crucial de rappeler certains faits. Les règles qui s’appliquent dans les delphinariums et les zoos sont les mêmes. Or les delphinariums s’apparentent plus à des cirques puisqu’ils présentent les animaux lors de « représentations » qui nécessitent du dressage souvent lié au chantage à la nourriture. S’il est avéré que dans certains zoos, les grands mammifères terrestres peuvent vivre plus longtemps que leurs congénères dans la nature, c’est l’inverse pour les cétacés. Ils meurent prématurément et pourtant ils sont à l’abri des dangers inhérents à la nature et bénéficient de soins constants et d’une nourriture régulière.
Entre janvier 2015 et janvier 2021 : 14 cétacés sur une trentaine d’individus sont morts dans les bassins à des âges très précoces. Aucun bassin aussi grand soit-il ne pourra offrir des conditions de vie décentes aux dauphins.
Ils vivent dans l’eau chlorée en permanence ce qui est délétère pour leur santé. A cela s’ajoute l’impossibilité de les hydrater naturellement par la nourriture comme dans l’océan et cela contrairement aux animaux terrestres. En découlent des maladies rénales souvent mortelles et ce malgré les intubations pour y remédier. La question du bien-être animal se pose donc clairement et ne se mesure pas avec quelques critères arbitraires.
Comment expliquer toutes ces pathologies et cette mortalité précoce si le bien-être est réel ? Maladies rénales, infections pulmonaires, gastro-entérites, maladies bactériennes, ulcères, taux de cortisol (hormone du stress) très élevé.
Bagarres incessantes, anxiété, eczéma, coups de soleil dus à l’absence d’ombre dans les bassins et à leur faible profondeur. Obésité, anorexie, parfois suicides… sont autant de dommages collatéraux de la captivité.
Enfin, pour maintenir ces animaux en vie, il est nécessaire de les traiter régulièrement avec toute une panoplie de médicaments : anxiolytiques, anti- ulcères, anti-dépresseurs, antifongiques, antibiotiques…
Or les antibiotiques sont connus (même chez les humains) pour provoquer des candidoses qui souvent se révèlent mortelles chez les cétacés car les champignons se mettent dans leur évent et bien souvent ils finissent douloureusement par mourir étouffés. Si leur bien-être était vraiment une priorité pour les parcs, qu’attendent-ils pour les protéger du soleil ?
Pédagogie et éducation
Est-il pédagogique qu’un enfant sorte d’un spectacle en pensant qu’un dauphin est heureux en exécutant des tours de cirque contre nature en échange de poisson mort ? Que le dauphin est heureux car il a toujours l’air de sourire ? Profiter de la sympathie qu’il provoque pour tromper les enfants, est-ce pédagogique ? Pas de spectacle sans seau de poissons !! Nul besoin de les enfermer pour éduquer : les documentaires magnifiques sont légion et il est facile de les observer tout au long de nos côtes.
Conservation, préservation et recherche
Quel est le rôle de la conservation quand on sait que les deux espèces détenues en France, l’orque (Orcinus orca) et le grand dauphin (Tursiops truncatus) ne sont pas en danger d’extinction ? Quel est son rôle quand on continue de les faire se reproduire alors qu’aucune réintroduction dans la nature n’a jamais été envisagée ?
Est-il question de préservation et de bien-être lorsque Jon.Kershaw (responsable animalier de Marineland) déclare dans Libération du 21 mai 2017 : « les dauphins et les orques sont notre produit d’appel sans eux pas de sauts, sans sauts pas de spectacle, pas de spectacle pas d’argent » ?
En quoi expérimenter sur un dauphin captif va contribuer à protéger les cétacés sauvages des filets, des collisions, de la faim, de la pollution… ?
De plus en plus d’études dans le milieu naturel nous apprennent beaucoup plus de choses sur leur comportement et leur mode de communication….
Ainsi, durant le premier confinement, les chercheurs ont pu étudier dans le calme de l’océan la communication des cétacés et se sont aperçu que leur « vocabulaire » était infiniment plus étendu que dans un bassin… Grâce à la technologie, les scientifiques réalisent des avancées majeures. L’intelligence artificielle pourrait permettre de décrypter leur langage, les drones permettent de découvrir des comportements difficiles à déceler depuis un bateau, la pose de balises permet de percer des secrets sur la migration, la plongée, le sommeil…
Mais peut-on aussi admettre que la science a aussi des limites et que nous ne connaîtrons probablement jamais tout sur les cétacés ?
La reproduction
Les parcs affirment qu’empêcher les cétacés de se reproduire serait aller contre leur bien-être. Or c’est oublier que la première des maltraitances est de les maintenir captifs et de les laisser se reproduire sans perspective de réintroduction dans la nature. N’est-ce pas douloureux pour une mère de faire des fausses couches, d’accoucher de bébés mort-nés, de le perdre peu après la naissance ou d’en être séparée quand le temps est venu de l’envoyer dans un autre bassin ? (On a pu voir les conséquences sur Femke et Lotty par exemple…)
Les parcs pratiquent déjà depuis longtemps la contraception, soit en séparant mâles et femelles (ce qui est fréquent dans la nature) soit à l’aide de médicaments tel le Régumate.
Durant toute la période qui a suivi l’arrêté publié par Mme Royal en mai 2017, jusqu’à son annulation par le Conseil d’État en janvier 2018, les delphinariums ont pratiqué la contraception. Au Parc Astérix, il a fallu mettre Femke sous pilule contraceptive tant son état de santé était critique.
Certes comme pour tout traitement il faut évaluer le bénéfice risque.
Si nous prenons en compte le fait que la captivité est la première des maltraitances, le bénéfice de la contraception nous semble évident.
C’est extraordinaire comme soudain les parcs se soucient du bien-être de leur animaux quand il s’agit de stopper la reproduction. Tant de scrupules soudain pour quelques femelles. Mais n’a-t-on pas prescrit durant des décennies la pilule à des millions de femmes sans avoir de nombreuses années de recul ?
Et disons-le crûment, il faudra bien accepter certains risques pour la dernière génération de femelles captives ! Autant que cette génération soit la moins nombreuse possible…
Les craintes des parcs ne seraient-elles pas de voir leur chiffre d’affaires baisser sans les naissances qui attirent plus de visiteurs et qui assurent la pérennité de leur activité commerciale ?
Les connaissances actuelles ont déjà poussé différents pays dans le monde à interdire la captivité des cétacés et à prendre des mesures pour les préserver : création d’aires marines protégées, règles de distance, périodes de tranquillité, etc. Évidemment, il en faudrait davantage tant les dangers que nous leur avons générés sont nombreux.
La majorité des Français est opposée à la captivité des cétacés, non pas par sensiblerie, un trait de caractère souvent attribué aux défenseurs des animaux, mais par logique. 2 Français sur 3 ont compris que des cétacés n’avaient rien à faire dans quelques mètres cubes d’eau, cernés par des parois en béton, sans échappatoire.
Ils ont compris qu’ils avaient une vie sociale complexe et une intelligence hors norme. Ils ont compris que manger du poisson mort enrichi en médicaments et en vitamines n’était pas un régime alimentaire sain. Ils ont compris qu’ils développaient des stéréotypies liées au stress et à l’ennui.
Ils ont tout simplement compris qu’après 34 millions d’années d’évolution (contre 300 000 ans pour l’ Homo Sapiens), les cétacés sont parfaitement adaptés à leur environnement et que leur place est dans les mers et les océans du monde.
Nier cette réalité, c’est nier la prise de conscience de nos concitoyens et réduire la démocratie à des oppositions simplistes. Notre rapport aux animaux sauvages doit évoluer et les efforts de conservation doivent se concentrer sur la préservation des milieux naturels et non sur la mise sous cloche de la faune sauvage mondiale.
Pour aller plus loin, écoutez les podcasts de Marc Mortelmans :
bit.ly/delphinariums_1de4_CBT
bit.ly/delphinariums_2de4_CBT
bit.ly/delphinariums_3de4_CBT
bit.ly/delphinariums_4de4_CBT
Christine Grandjean
Présidente de l'association C'est Assez !