Numéro 16Animaux sauvagesSerpents : des mal-aimés à prendre en compte dans la gestion de la Nature

Claire Poirson15 juillet 20245 min

Dans le peloton de tête des espèces concernées par les phobies viennent les araignées, les chauves-souris, et les serpents. Peu d’espèces suscitent autant d’effroi que ces si sensationnels reptiles. Au printemps, selon les régions, de nombreuses rencontres avec ces espèces ont lieu, et qui ne se terminent pas toujours bien pour le reptile. Pour réduire voire limiter les phobies (souvent basées sur des croyances erronées) liées aux serpents, il est conseiller d’en apprendre plus sur eux pour connaître les raisons d’avoir peur (ou non) et éventuellement de les approcher de près avec l’aide d’un professionnel.

Pour commencer, rappelons que la France compte 12 espèces de serpents réparties en deux groupes. Tout d’abord, les couleuvres, qui ont quelques grandes écailles sur la tête, une pupille ronde (en O comme dans couleuvre), une longue queue effilée et qui peuvent dépasser 1m de longueur. Ces espèces sont totalement inoffensives pour l’Homme car ne disposant pas de crochets à venin, mais certaines peuvent bluffer pour se défendre en cas d’agression, se dresser, souffler et même aplatir leur tête en triangle (ce qui n’est donc pas une caractéristique de vipère). La couleuvre à collier/helvétique est probablement la plus virulente en termes de défense puisqu’elle peut dégager une odeur particulièrement repoussante pour nos narines humaines ! Elles ont en outre des moeurs très différentes, certains étant très liées aux milieux aquatiques (Couleuvre vipérine) ou d’autres étant plus volontiers de bonnes grimpeuses (Couleuvre d’Esculape).

Le second groupe d’espèces est celui impressionne le plus rien que par son nom, les vipères. Il en existe 4 espèces en France dont 2 cantonnées à 2 secteurs très restreints dans le sud-est ou le sud-ouest du pays ; il est donc très rare de les croiser. Restent la vipère aspic et la vipère péliade : elles sont assez petites, avec une queue courte (comme tronquée), de nombreuses petites écailles sur la tête et une pupille verticale (formant un I comme dans vipère). La vipère aspic a l’écaille nasale retroussée. Les vipères possèdent des crochets à venin, utilisés en premier lieu pour chasser leurs proies. Elles ne sont pas naturellement agressives et chercheront avant tout à passer inaperçu, puis en cas de détection, à fuir le plus loin possible de nous, la plupart du temps en disparaissant dans un abri tout proche (creux). Elles ne mordent qu’en dernier recours car le venin est d’abord utilisé pour tuer les proies. De plus, il est long et difficile à fabriquer, c’est pourquoi les vipères sont économes de leur venin. Elles ne mordent pas systématiquement. De plus, chaque morsure n’engendre pas forcément une injection de poison (morsure dite sèche). Environ 1000 à 2000 morsures sont comptées chaque année pour environ 500 envenimations. Le dernier décès en France dû à une morsure de serpent sauvage date de 2008. Pour une population européenne d’environ 731 millions de personnes, les morsures de serpents tuent 30 personnes par an dans toute l’Europe. Certaines morsures avec injection de venin n’engendrent aucune réaction, parfois des réactions sont observées. Les morsures de vipères sont également concernées par beaucoup d’idées reçues : rien ne sert de faire des garrots (sinon à réduire la circulation du sang et provoquer ensuite des problèmes), de brûler la plaie (sinon à aggraver la blessure, et le venin résiste à la chaleur contrairement à celui des insectes), d’essayer de sucer le venin (il est dans les tissus et il est déconseillé de poser sa bouche sur une morsure de serpent dont la bouche comporte des bactéries puisqu’un serpent ne se lave pas les dents), et d’utiliser un aspivenin (le venin est dans les tissus mais cet objet peut contribuer à calmer la victime et obtenir un effet psychologique). Le mieux est de rester calme et d’appeler le 15 ou le 18.
En résumé, laisser les reptiles tranquilles est encore le meilleur moyen d’éviter une morsure !

Les reptiles apprécient les habitats de lisière de forêts, le bocage, souvent des micro-habitats très structurés (pelouses et coteaux avec des ronciers, prairies naturelles…), parsemés de refuges (tas de bois, de pierres, murets, galeries de rongeurs…). Un jardin peut être un habitat intéressant. Pour limiter les rencontres non souhaitées, il est possible de tondre une partie proche de la maison et de conserver tout au fond du jardin une partie de la végétation où les reptiles auront tendance à rester.

Malgré des rencontres régulières avec les serpents, ces animaux sont menacés en France (environ un tiers des espèces de serpents), en particulier par la destruction de leurs habitats et les destructions volontaires d’individus. Pourtant, depuis 2021, tous les serpents sont protégés par la loi française, il est donc interdit de les tuer et les perturber. Puisque ces espèces possèdent un statut réglementaire, elles sont intégrées dans l’évaluation environnementale des projets : il s’agit d’une démarche favorisant la prise en compte de l’environnement par des projets (de travaux, de construction, d’installations ou d’interventions sur le milieu naturel). Un projet qui induirait des destructions notamment d’habitats de ces espèces doit récréer des habitats pour compenser ceux qui seront perdus lorsque le projet sera réalisé.

Il existe des structures qui accompagnent les porteurs de projets dans les travaux de recréation d’habitats. CDC Biodiversité a par exemple contribué à restaurer des milieux de pelouses sèches sur des coteaux calcaires en Normandie. Or, ces coteaux hébergent des petites populations de la vipère péliade. Dans les travaux de restauration des pelouses, il convient donc de prendre en compte les besoins des vipères, notamment en réalisant les travaux à la période automnale, après la reproduction, mais avant qu’elles n’entrent en hibernation (elles sont immobiles à cette période). De plus, les micro-habitats qui leur sont favorables ne seront pas touchés : des gros ronciers qui leur servent d’abri, des petites espaces de végétation associés et accolés à des petites surfaces nues pour prendre le soleil seront balisés et conservés pendant la période de travaux. Après les travaux, des prospections seront réalisées pour essayer de retrouver les vipères sur les sites et de voir si les populations augmentent. Bien sûr, les aménagements bénéficient non seulement à la vipère mais à l’ensemble de l’écosystème dans lequel elles vivent ; car pour protéger une espèce il faut protéger les individus, l’habitat et le réseau écologique dont elle fait partie. Les coteaux regorgent de plantes, d’oiseaux, d’insectes, de lézards remarquables et les serpents ont leur place dans ces écosystèmes. On ne protège bien que ce que l’on aime, et on n’aime que ce que l’on connaît. De quoi donner envie de découvrir les reptiles et s’affranchir de ses peurs !

Plus d’infos sur les serpents : serpentsdefrance.fr
Plus d’infos sur CDC Biodiversité et ses actions de restauration de la nature : cdc-biodiversite.fr/actualite/journee-de-la-biodiversite-2024-faites-partie-du-plan


Claire Poirson
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Chargée d’études biodiversité, Ingénieure écologue
CDC Biodiversité

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