Telle est la vraie question à se poser !
Si ces dernières années plusieurs spécialistes d’espèces non domestiques et acteurs de terrain ont démontré l’inadéquation de l’itinérance des cirques, comme de certains numéros « contre nature » avec les besoins biologiques de ces animaux… Parallèlement, certains ont mis en garde quant au risque d’euthanasies massives, de reventes à des taxidermistes ou à l’étranger qui s’ensuivraient en cas d’interdiction immédiate des cirques avec animaux sauvages. La récente mise à mort de lions du Nouveau Cirque Triomphe (source FreeLife /One Voice), vendus pour être naturalisés, préfigure ce sombre avenir.
Tout comme l’euthanasie du dauphin «Femke» en février 2021 qui n’aurait pas survécu à un transfert, vu la décision du Parc Astérix de se séparer de leurs cétacés, sans doute pour mettre un terme aux pressions comme aux polémiques en amont de toute éventuelle législation sur les delphinariums. Les autres dauphins de ce groupe, logique économique oblige, ont été dispatchés dans divers delphinariums, brisant ainsi les liens sociaux très importants chez cette espèce grégaire (2 en Suède, 5 en Espagne, 3 à Benidorm et 2 à Valence selon le communiqué du Parc). Un échec complet en matière de bien-être animal dont aucun défenseur des animaux ne peut se réjouir.
Faute de solutions concrètes, de moyens et de lieux pour les accueillir, il s’agit du sort de bien plus d’un millier de vies animales qui se joue… Ce questionnement prend tout son sens quand on considère les centaines de grands animaux sauvages concernés par la question d’un arrêt des cirques ! Car il ne s’agit pas là d’un ou deux fauves ni d’une paire de zèbres… Mais, rien que pour la France, d’à minima 820 fauves déclarés officiellement par les cirques au fichier d’identification des animaux non domestiques (I-FAP) en novembre 2021, d’une quarantaine de primates, d’une dizaine d’éléphants, de deux hippopotames et d’autres «artistes» à poils, à plumes ou à écailles (aucune donnée précise n’a pu être établie malgré les travaux de la mission ministérielle sur la faune sauvage captive ou ceux de la proposition de loi contre la maltraitance animale). (Chiffres: James Douchet du cirque S. Zavatta, William Kerwich, président du syndicat des capacitaires d’animaux de cirque et de spectacle et le Ministère de l’Ecologie).
Pour un sauvetage d’un animal sauvage maltraité mis en lumière par les médias, combien sont saisis et ne reçoivent comme délivrance à leur sort – dans le meilleur des cas – que l’injection létale faute d’autres possibilités ? Combien, devenus des «bouches à nourrir» impropres au spectacle, sont plus valorisables morts que vivants, une fois revendus à des structures de chasse en enclos pour finir en trophées ou en «pièces détachées» sur le marché asiatique?
La question qui nous incombe, si nous arrêtons demain les cirques avec animaux sauvages, est de savoir quelles perspectives réelles d’avenir nous sommes concrètement en mesure de leur offrir et quel crédit accorder aux différentes pistes évoquées? Car chacun y va de sa déclaration: «créer des sanctuaires publics», «transformer des zoos en refuges pour ces animaux», «leur rendre leur liberté dans leur milieu naturel», les «ré-ensauvager», «contraindre les zoos à les accueillir et à les entretenir», les parquer dans de prétendus «sanctuaires» ou enclos en pleine mer etc.
Des interrogations d’actualité, entre les futurs décrets annoncés pour cet automne par Mme La Ministre Barbara Pompili faisant suite à la mission ministérielle sur ce sujet entamée début 2019 et dont les résultats ont découlé en une proposition de loi fin janvier 2021 à l’Assemblée nationale, votée après examen du Sénat et d’une Commission Mixte Paritaire, avec publication prévue mi-novembre.
L’enfer est pavé de bonnes intentions !
Mettre fin aux cirques avec espèces sauvages, oui… A condition que le remède proposé ne s’avère pas pire, ou pas mieux que le mal dénoncé.
Si il y a consensus pour mettre un terme à la reproduction de ces animaux et à de nouvelles acquisitions. Toutefois, avant de légiférer, de décider d’en saisir ou d’en sortir de leur cage, il conviendrait d’évaluer et de déterminer les besoins logistiques selon les espèces visées par ces mesures, le nombre exact d’animaux concernés, les moyens tangibles disponibles, une échéance réaliste… Et bien entendu, les coûts afférents. Certains animaux pouvant encore vivre de nombreuses années, qui supportera ces coûts sur le long terme et quel sera le rôle de l’état ?
I. Les zoos, bouée de sauvetage des animaux de cirques ?
Aujourd’hui la plupart des animaux exotiques issus de saisies, d’abandons, de trafics et autres, mais aussi des cirques, se retrouvent confiés par les autorités et par les associations à des zoos français, ou au remarquable travail de leur partie « refuge » si il y en a (Cas de Tonga, Zoo de Saint-Martin –la-Plaine). Un zoo ne pourra accepter des animaux d’une association qu’à condition qu’ils répondent aux critères de la « directive Balai » à laquelle les parcs sont astreints. Néanmoins rien n’oblige ces établissements à les prendre en charge d’autant qu’ils en assument la plupart du temps seuls les coûts. En 2019, les zoos AFdPZ ont ainsi accueillis plus d’un millier d’animaux sauvages.
Les zoos étant des sociétés de droit privé, en cas d‘interdiction pour les cirques de conserver leurs animaux, à quel titre pourrait-on les obliger à prendre en charge ces animaux envers lesquels ils n’ont aucune responsabilité ni propriété, potentielles sources de risques sanitaires pour leurs propres pensionnaires comme pour leur public et qui ne rentrent pas dans leurs programmes européens de reproduction ? Même du point de vue de la conservation, ces animaux saltimbanques n’ont pas de «valeur» vu leur hybridation ou leur consanguinité.
Les zoos disposeraient-ils de l’espace et des moyens nécessaires à de tels accueils ?
Prenons la place et les frais d’entretien minimum de base pour un fauve, qui ne se comparent pas avec ceux d’un poisson clown : pour un refuge adossé à un zoo et bénéficiant de son infrastructure, il faut compter 400 euros par mois (J.C. Gérard- Tonga); pour un zoo, 200€ de frais à l’arrivée de l’animal plus 10 950€ par an (AFdPZ /Association Française des Parcs Zoologiques); pour un cirque «autour de 30 000 euros par an avec les frais vétérinaire» (Association de Défense des Cirques de Famille).
En cas d’interdiction des cirques avec animaux sauvages plusieurs sénateurs ont indiqué dans un amendement, que «la dépense publique à engager par l’Etat chaque année, rien que pour couvrir les frais d’entretien de 500 fauves, serait de l’ordre de 15 millions d’euros…» (Amendement N° COM-123 rect.). Avec 820 fauves déclarés officiellement à ce jour, le montant grimperait à 24,6 millions d’euros annuels ! Sans parler des autres animaux également à charge de l’Etat c’est-à-dire du contribuable !
Quand bien même il ne s’agirait que de caméléons, même le zoo de Beauval n’a pas pu prendre en charge une saisie de 1000 caméléons faute de criquets disponibles pour les nourrir: à raison de 3 à 4 insectes par repas et par animal à un Euro pièce, il s’est révélé impossible de trouver 4000 criquets par jour en plus de ceux nécessaires pour leurs propres pensionnaires, hormis un budget quotidien supplémentaire de 4000 Euros «d’insectes» à leurs dépens…
Contrairement à dans la nature, les éléphants issus des cirques se côtoient entre ceux d’Afrique et ceux d’Asie et se transmettent ainsi notamment des zoonoses comme la tuberculose très contagieuse par simple voie aérienne, en faisant donc des candidats repoussoirs pour les zoos.
Ces cas illustrent la difficulté qui existe pour toute structure, entre la volonté et la possibilité matérielle d’héberger des individus.
Seuls quelques rares grands établissements zoologiques, selon leurs spécificités, pourraient accepter d’ouvrir des places à un nombre limité d’individus de la piste aux étoiles.
II. «Ré-ensauvagement» ou greenwashing ?
Peut-on rendre leur liberté à des animaux sauvages issus de cirques ?
Si l’imaginaire collectif nous porte à croire qu’un animal sauvage exotique, bien que né en captivité et élevé par l’homme dans un cirque ou un delphinarium, pourrait se ré-acclimater à une vie libre parmi ses congénères dans son milieu d’origine au prétexte qu’il conserve nombre des caractéristiques biologiques et comportementales de son espèce … Cela relève essentiellement d’un fantasme.
Sans posséder les comportements sauvages propres à son espèce libre et adaptés à son milieu naturel, et sans plus aucune appréhension de l’homme, ces «inadaptés à la réintroduction» ne peuvent pas être mis au contact de leurs congénères vivant en liberté depuis toujours sans risque de générer des perturbations écologiques, sanitaires, avec la faune ou avec l’homme. Ce que tout protocole de réintroduction cherche à éviter.
Les lignes directrices de l’UICN (Union Internationale pour la Conservation de la Nature) définissent le processus de «transfert» d’un animal sauvage comme: « étant le déplacement par l’homme d’organismes vivants d’un site pour les relâcher dans un autre à des fins de sauvegarde, c’est à dire les organismes (dont les espèces animales) qui présentent un intérêt notable du point de vue de la protection de la nature.» Il est précisé : «Les conditions ne sont pas remplies quand seuls les spécimens transférés profitent de l’opération». Elles interdisent aussi strictement de relâcher des espèces qui n’existent pas à l’état sauvage.
Des exigences confirmées par la réglementation française qui régit les réintroductions ou libérations d’animaux opérées par les zoos et qui s’appliqueraient tout autant à des animaux sauvages provenant de cirque.
L’article 68 de la loi du 25 mars 2004 définit comme critères « qu’un animal ait été élevé et hébergés dans des conditions préservant ses capacités à s’adapter à son milieu naturel et qu’en aucun cas il n’introduise le moindre dérangement écologique, génétique ou sanitaire ».
Ces réglementations excluent donc la possibilité de libération dans le monde sauvage de la quasi-totalité des animaux de cirque, entre les fauves consanguins pour l’essentiel, les tigres et lions blancs ou «dorés» et autres hybrides (tigrons, ligres etc), de même pour les dauphins du Marineland d’Antibes qui présenteraient un taux de consanguinité selon certains spécialistes marins, confirmé par les bases de données officielles. Leurs déficiences génétique et immunitaire pourraient entraîner des risques pour l’environnement, la biodiversité comme pour leurs congénères sauvages de par les maladies, parasites et autres virus qu’ils pourraient plus facilement contracter et dont ils pourraient être vecteurs comme la dangereuse brucellose. En outre, ne possédant ni les codes comportementaux de leur espèce sauvage pour se nourrir, interagir correctement avec la faune ou pour s’adapter aux éléments inconnus de ce nouvel environnement (sons, météo, pathogènes, trafic routier ou maritime…) ou affichant des comportements anormaux voire aberrants induits par l’homme et la captivité, ils ne survivraient pas plus de quelques semaines ou mois au mieux. Seuls 11% des réintroduits élevés en captivité survivraient d’après les suivis de centaines de ces programmes.
Une réalité rappelée par la mort d’un des deux gorilles du zoo de Beauval moins de 3 mois après sa mise en «liberté» au Gabon. Concernant les animaux marins relâchés, les spécialistes et divers instituts de conservation marine en faveur de «sanctuaires» en mer constatent que ceux nés ou restés plus de six ans captifs, ne peuvent pas survivre seuls librement; et que «les preuves pour soutenir la probabilité d’une réintroduction réussie dans la nature des dauphins élevés en captivité font actuellement défaut”[1]
[1] AWI, (Animal Welfare Institute) WAP (World Animal protection),…
»…En témoignent la mort du célèbre orque Keiko (Sauvez Willy) un an après sa libération, inapte à se nourrir par lui-même correctement ou à s’intégrer avec ses homologues et celles de l’essentiel des dauphins, belugas etc trop imprégnés.
III. «Sanctuaires» ou «cages en vert» ? De quoi parle-t-on exactement ?
Parler de les placer dans des «sanctuaires» reste tout aussi hors de propos et inapplicable, car c’est méconnaître ce qu’est un «sanctuaire» et ses définitions officielles internationales, sans rapport avec l’accueil d’animaux de cirques ou assimilés, dont voudrait se saisir l’article 12 bis de cette proposition de loi !
L’UICN définit «un Sanctuaire de Vie Sauvage ou réserve faunique» comme «un habitat libre important pour la survie des espèces (ex.: une aire de reproduction) et dont les objectifs généraux consistent à conserver l’habitat «d’espèces importantes (rares) à travers une gestion active». Un sanctuaire consiste donc en un territoire ouvert ou une région offrant un cadre de vie sûr, propice à la faune sauvage.
Ces confusions parfois délibérées de terminologie sont souvent utilisées, afin de «verdir» exagérément le sort des animaux et leur cadre de vie, voire de tromper carrément le public sur la nature exacte des activités de certaines structures pouvant aller jusqu’à des trafics de faune.
Dans le cas d’accueil d’animaux «sauvages» de cirques et équivalent, il conviendrait donc de reprendre les appellations d’usage au niveau international, non pas de «sanctuaire» mais de «centre de vie sauvage» et non pas de «refuge» mais de «centre de secours». Le terme «refuge» concerne plutôt les animaux domestiques et recouvre d’autres acceptions internationales s’agissant de ceux non domestiques.
Au mieux, le sort de ces animaux consiste donc en leur maintien dans un semblant de semi-liberté au sein de «paradis artificiels» isolés du vrai monde sauvage dont l’espace est délibérément restreint par des barrières naturelles ou construites pour les tenir à l’écart de la faune locale ou de leurs homologues libres (ex. : île…). Mais pour l’essentiel, derrière ces termes bucoliques et rassurants, les conditions de vie qui les attendent se résument à une captivité et des traitements pas toujours améliorés, voire pires, même au cœur de la nature ou de leur habitat naturel.
Dans les faits, la différence entre un centre de vie sauvage que l’on imagine au cœur de la forêt et un centre de secours qui consisterait plus en de petits enclos avec un peu de verdure, est loin d’être aussi nette… Souvent la nuance entre ces lieux se limite au nom. Dans les deux cas, les animaux non domestiques exotiques qui y sont accueillis peuvent y rester ad vitam. On y trouve autant des animaux provenant de cirques et d’autres origines captives que des rescapés du braconnage ou des blessés du monde sauvage qui, s’ils ne sont pas en état d’être relâchés, y passeront le reste de leurs jours…
Par ailleurs, une telle généralisation législative des termes utilisés entrerait possiblement en conflit avec les efforts de préservation de certaines espèces menacées menés par ces structures qui accueillent aussi bien des individus du monde sauvage que de la captivité. En effet, une «interdiction de reproduction» comme de tout contact entre les animaux et le personnel du refuge ou du sanctuaire» pourrait nuire autant à leur sauvegarde qu’au bien-être de certains pensionnaires d’origine captive. Les dauphins par exemple auraient besoin d’exercice pour des raisons de santé afin de maintenir leur importante musculature dorsale et leur taux d’oxygénation, selon plusieurs spécialistes et associations (Adn Passpartout).
Ainsi ces «centres de vie sauvage», aux conditions parfois très appréciables pour les animaux détenus, n’ont rien d’un réel «sanctuaire ou d’une réserve faunique» et n’offrent qu’un «semblant de réintroduction».
En étant réaliste, compte tenu des coûts induits par un transfert à l’étranger, du peu de places disponibles, des conditions de détention sur place comme des contrôles très aléatoires de ces structures d’accueil (hors Europe surtout), des frais d’entretien et des difficultés financières des trois structures d’accueil actives existant en France, de la non pérennité du modèle économique de celles indépendantes, du contexte économique international et du nombre d’animaux de cirques qui seraient à placer, pour des centaines d’entre eux, il n’y a tout simplement aucune possibilité d’hébergement à l’heure actuelle ni dans les années proches.
Avec l’interdiction d’ici à sept ans d’animaux non domestiques dans les cirques itinérants, avec l’interdiction de reproduction et de nouvelles acquisitions applicables d’ici deux ans, au vu de la quantité importante de mammifères de cirques et du constat sans appel d’impossibilité d’accueils actuels comme à venir, peut-être devrait-on considérer d’autres pistes, comme de laisser les animaux à leurs propriétaires, quand ces derniers disposent ou peuvent fournir un terrain de taille et de conditions susceptibles de répondre aussi bien à leur entretien que les trois structures d’accueil actuelles en France… Et permettre à ce pan « des animaux sauvages» de l’activité des cirques de s’éteindre sans heurt et en douceur pour les animaux plutôt que de se laisser bercer par des déclarations tonitruantes qui ne tiennent pas compte du sort des animaux concernés.
Julie Lasne
Représentante de CACH France, Conservationniste - Ethologue de terrain & Communication Faune Sauvage spécialisée sur les animaux sauvages exotiques libres et captifs