C’est par la voie jurisprudentielle que le propriétaire d’un animal s’est vu reconnaître le droit à réparation du préjudice moral — également qualifié de préjudice d’affection — résultant de la perte ou de la souffrance de son compagnon animal (Cass. civ. 2e, 16 janvier 1962, dit arrêt Lunus).
Dans le prolongement de cette dynamique, les juridictions ont consacré le principe de la valeur intrinsèque de l’animal et de son caractère irremplaçable (v. Cass. civ. 1re, 9 décembre 2015, n° 14-25910, dit arrêt Delgado).
Parallèlement, s’est affirmée la notion d’intérêt supérieur de l’animal, en résonance avec les dispositions du code pénal relatives à sa protection.
La reconnaissance d’un préjudice propre subi par l’animal consacre son statut d’être sensible, tout en réaffirmant le principe fondamental du droit civil de la réparation intégrale du préjudice.
Tous les éléments nécessaires à la reconnaissance d’un préjudice réparable sont réunis : une atteinte à un intérêt autonome, distinct de celui du propriétaire ou du détenteur.
1. L’existence d’une atteinte au vivant
La question centrale n’est plus « Peuvent-ils raisonner ? » ni « Peuvent-ils parler ? », mais bien « Peuvent-ils souffrir ? », selon la célèbre formule de Jeremy Bentham.
La Commission européenne dans son préambule sur la directive 2010/63 relative aux animaux utilisés à des fins scientifiques expose : « Les animaux ont une valeur intrinsèque qui doit être respectée » (…). « De nouvelles connaissances scientifiques sont disponibles concernant (…) la capacité des animaux à éprouver et exprimer de la douleur, de la souffrance, de l’angoisse et un dommage durable (…) ».
.Les animaux sont juridiquement reconnus comme des êtres vivants doués de sensibilité, conformément à :
- l’article 515-14 du code civil,
 - l’article L. 214-1 du code rural et de la pêche maritime,
 - l’article 13 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE),
 - la Déclaration de Cambridge de 2012 sur la conscience animale, confirmée par les récentes études de l’INRA.
 
La doctrine récente (Goujon-Bethan, Kassoul, 2022) appelle à un aggiornamento de la responsabilité civile, en faveur de la reconnaissance d’un préjudice animal pur, c’est-à-dire une atteinte subie directement et exclusivement par l’animal, susceptible d’indemnisation devant les juridictions civiles.
Cette évolution s’inspire du modèle du préjudice écologique, consacré par la loi du 8 août 2016, qui admet la réparation d’un préjudice extra-individuel, centré non sur la personne juridique, mais sur l’intérêt du vivant et des écosystèmes.
La reconnaissance du préjudice autonome s’appuie également sur l’article 515-14 du code civil, qui définit l’animal comme un être vivant doué de sensibilité, soumis au régime des biens, sous réserve des lois qui le protègent.
Dans le prolongement de ces avancées, Maître Graziella Dode a obtenu, pour la première fois, la reconnaissance judiciaire d’un préjudice animalier le 11 janvier 2024 par le tribunal correctionnel de Lille.
Cette jurisprudence a depuis été confirmée par d’autres juridictions de premier dégré, notamment à Pau, Rennes et Béziers.
Le préjudice de sentience, dont l’indemnisation a été sollicitée devant le tribunal correctionnel de Bordeaux le 28 septembre 2025, s’appuie sur ce fondement, l’appellation ayant été adaptée pour une meilleure appréhension du préjudice réparé.
2. Un intérêt autonome
L’intérêt propre de l’animal a émergé avec la loi dite Grammont (2 juillet 1850) , qui a organisé la protection de l’animal en limitant les prérogatives du droit de propriété de son détenteur.
L’intérêt de l’animal détenu est ainsi devenu distinct, voire supérieur, à celui de son propriétaire.
Ce concept prétorien d’intérêt supérieur de l’animal a progressivement investi les juridictions civiles, où les litiges impliquant un animal sont désormais tranchés en tenant compte des enjeux de bien-être animal, indépendamment des droits patrimoniaux.
Le code pénal et le code de procédure pénale consacrent également un statut sui generis de l’animal, tant au cours de la procédure qu’à l’issue du jugement, confirmant sa nature d’être souffrant et sensible, et lui conférant le statut de victime animale.
La Cour de cassation elle-même a reconnu, dans certaines décisions relatives à des actes de cruauté, la qualité de victime animale (v. Cass. crim., 25 janvier 2000, n° 98-83.339, inédit).
Dans la pratique, la demande de réparation du préjudice de sentience est portée par le détenteur légitime de l’animal, qu’il s’agisse de son propriétaire ou d’une association de protection animale lorsque le maître est défaillant ou maltraitant.
Le détenteur légitime est ici défini comme celui qui prodigue des soins à l’animal conforme à ses besoins, tels que définis par les données récentes de la science, et dans l’intérêt de celui-ci.
Conclusion
Indemniser les souffrances endurées par l’animal, au titre du préjudice animalier ou du préjudice de sentience, répond à une exigence éthique et scientifique, dans le respect de sa valeur intrinsèque et de son intérêt supérieur.
Avec les décisions récentes des tribunaux correctionnels de Lille, Pau et Rennes, qui reconnaissent le préjudice animalier, la jurisprudence poursuit une œuvre novatrice, en écho aux avancées scientifiques et aux fortes attentes de la société civile en matière de protection animale.
Les cours d’appel de Douai, Rennes et Bordeaux seront prochainement appelées à se prononcer sur ce préjudice, ouvrant ainsi la voie à une éventuelle consolidation de cette reconnaissance de l’animal victime au niveau des juridictions du second degré.
Références principales :
- Jean-Pierre Marguénaud – L’animal en droit privé -1987,
 - Goujon-Bethan T., Kassoul H., « Pour un aggiornamento de la responsabilité civile : vers la reconnaissance d’un préjudice animal pur », Revue semestrielle de droit animalier, 2022.
 - Camproux Duffrène M.-P., « Le préjudice écologique et sa réparabilité en droit civil français », RJE, 2021.
 - Jurisprudence : Cass. civ. 1re, 16 janv. 1962 (Lunus) ; Cass. civ. 1re, 9 déc. 2015 (Delgado) ; CA Besançon, 23 fév. 2021.
 - INRA, « La conscience animale » Expertise scientifique collective, 2009.
 - Déclaration de Cambridge sur la conscience animale, 7 juillet 2012.
 

Arielle Moreau
avocate en droit des animaux Barreau de la Rochelle






