Dans une décision inédite du 11 janvier 2024, le Tribunal correctionnel de Lille a reconnu et indemnisé pour la première fois en France le préjudice animalier, dans l’affaire de la chatte Lanna.
Le 12 février 2025, une nouvelle décision du Tribunal correctionnel de Lille, réunie en chambre collégiale, a reconnu le préjudice animalier dans l’affaire d’un chaton prénommé Lino.
Dans ces deux affaires, les prévenus ont été reconnus coupables d’actes de cruauté sur ces animaux, et ont été condamnés à verser à l’association partie civile, la Ligue Protectrice des Animaux du Nord de la France (LPA-NF), 100 euros symboliques à titre de réparation des souffrances subies par l’animal lui-même, victime directe des faits.
Qu’est-ce que le préjudice animalier ?
Le préjudice animalier peut être défini comme l’atteinte directe ou indirecte portée à l’animal, être vivant doué de sensibilité, découlant de l’infraction.
Il s’agit d’un nouveau poste de préjudice indemnisable par l’allocation de dommages et intérêts visant à réparer la souffrance de l’animal victime d’actes de cruauté.
Classiquement, une partie civile peut demander devant un tribunal une indemnité au titre de son préjudice matériel, par exemple le remboursement de frais vétérinaires pour la prise en charge de l’animal maltraité, ou une indemnité au titre de son préjudice moral, lorsque l’association qui se constitue partie civile est déclarée depuis plus de 5 ans et a pour mission, dans ses statuts, la défense des animaux[1].
Désormais, la partie civile peut réclamer une indemnité supplémentaire, visant à réparer la souffrance de l’animal dont elle porte la voix en Justice.
L’animal n’ayant pas de personnalité juridique en droit français, il ne peut recevoir lui-même cette indemnisation.
Les origines du préjudice animalier
En 1999, le pétrolier Erika a fait naufrage au large des côtes bretonnes.
Une saga judiciaire s’en est suivie, au cours de laquelle le préjudice écologique a été créé, sous l’impulsion des associations de protection de l’environnement et grâce au pouvoir de création prétorien.
Le 25 septembre 2012, la Cour de cassation a ainsi consacré le préjudice écologique, consistant en une atteinte non négligeable aux éléments ou aux fonctions des écosystèmes ou aux bénéfices collectifs tirés par l’homme de l’environnement, c’est-à-dire les dommages causés à la nature.
Raz de marée juridique, cette consécration a permis de faire évoluer le statut de la nature en droit français, poussant le législateur à agir.
Un régime spécial de réparation des dommages causés à l’environnement existe désormais (articles 1246 et suivants du Code civil issus de la loi n° 2016-1087 du 8 août 2016 pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages).
La reconnaissance du préjudice animalier poursuit le même objectif.
Si le caractère d’être sensible de l’animal est reconnu de longue date dans le Code rural et de la pêche maritime[2], la loi n° 2015-177 du 16 février 2015 a été très médiatisée car elle a modifié le Code civil et retiré toute mention de bien meuble appliquée à l’animal.
Son article 515-14 dispose désormais que « Les animaux sont des êtres vivants doués de sensibilité[3]. »
En se fondant notamment sur ces dispositions, et en respectant certaines conditions, le préjudice animalier peut être sollicité en justice afin de demander une réparation financière.
Cela nécessite de démontrer bien évidemment les souffrances subies par l’animal pour lequel il est sollicité la reconnaissance du préjudice animalier et son indemnisation.
Lorsque l’infraction de sévices graves[4] est constituée, ce préjudice est indéniable. Lanna a été battue à coups de lattes en bois. Lino a été noyé. Ces deux félins ont bien évidemment beaucoup souffert avant de mourir.
Dans une telle hypothèse, l’auteur de tels faits s’expose donc non seulement à des peines sévères pouvant aller jusqu’à 5 ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende, mais également à une indemnité supplémentaire au titre du préjudice animalier[5].
Les perspectives du préjudice animalier
Les décisions reconnaissant l’existence d’un préjudice animalier et leur indemnisation s’inscrivent dans une évolution inexorable des droits des animaux en droit français, à l’instar de nombreux autres pays à travers le monde.
Sur la province des Îles Loyauté en Nouvelle-Calédonie, les requins et les tortues ont la qualité d’entités naturelles sujets de droit : des droits fondamentaux leur sont reconnus, sans devoirs[6]. En Argentine, des juges ont qualifié l’animal de personne non humaine afin de leur appliquer des droits fondamentaux[7].
En France, le préjudice animalier a été reconnu dans des contextes précis : des sévices graves commis sur un animal de compagnie dont les intérêts étaient défendus par une seule association, laquelle avait engagé des frais financiers, notamment en recueillant leurs dépouilles.
Trois décisions de justice sont intervenues, le 11 janvier et 23 septembre 2024[8], ainsi que le 12 février 2025. La juridiction lilloise s’étant illustrée à deux reprises en la matière.
Il conviendrait désormais d’obtenir la position d’autres juges du fond et surtout de la Cour de cassation, et pourquoi pas une intervention législative.
[1] Article 2-13 du Code de procédure pénale.
[2] Article L. 214-1, issu de la loi n° 76-629 du 10 juillet 1976.
[3] L’article 515-14 du Code civil précise que “Sous réserve des lois qui les protègent, les animaux sont soumis au régime des biens”.
[4] L’article 521-1 du Code pénal, alinéas 1, 3 et 4, dispose : “Le fait, publiquement ou non, d’exercer des sévices graves ou de commettre un acte de cruauté envers un animal domestique, ou apprivoisé, ou tenu en captivité, est puni de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende. (…)
En cas de sévices graves ou d’actes de cruauté sur un animal domestique, apprivoisé ou tenu en captivité prévus au présent article, est considéré comme circonstance aggravante le fait d’être le propriétaire ou le gardien de l’animal.
Lorsque les faits ont entraîné la mort de l’animal, les peines sont portées à cinq ans d’emprisonnement et à 75 000 euros d’amende. (…)”.
[5] Depuis la loi n° 2021-1539 du 30 novembre 2021 visant à lutter contre la maltraitance animale.
[6] Article 242-16 du Code de l’environnement de la province des Îles Loyauté en Nouvelle-Calédonie.
[7] Par exemple dans l’affaire de la femelle Chimpanzé Cécilia, dont la libération d’un zoo a été ordonnée (Tribunal de Mendoza, 3 novembre 2016).
[8] Tribunal de police de Béziers.

Graziella Dode
Avocate en droit animalier - Barreau de Lille