Numéro 19Droit animalierLa maltraitance animale appelle une réponse pénale

Franck Rastoul15 avril 20254 min

La lutte contre la maltraitance animale mobilise de nombreux acteurs institutionnels et associatifs. Parmi ces derniers figure le ministère public, en d’autres termes les parquets et les parquets généraux. En charge de l’application de la loi pénale, les magistrats du ministère public ont à leur disposition un arsenal législatif constitué d’une centaine d’infractions, des contraventions et des délits, pour réprimer les actes de maltraitance à l’encontre des animaux. Les temps ont changé et continuent d’évoluer ce qui est heureux car l’on part de loin. Les animaux, assimilés pendant longtemps à de simples biens, sont en effet désormais reconnus comme des êtres dotés de sensibilité, c’est-à-dire susceptible d’éprouver des sentiments, de souffrir. Notre société est passée de l’indifférence à la condition animale à une attention accrue. Bien sûr, cette attention n’est pas unanimement partagée mais la tendance de fond est là. Il faut s’en réjouir et continuer à œuvrer pour maintenir et amplifier ce mouvement car celui-ci relève plus du marathon que du 100 mètres. Il s’agit d’assurer le respect de la vie et la protection due aux êtres vivants et sensibles, de faire preuve d’humanité et d’empathie face à la souffrance, quelle qu’elle soit. Droit pénal rime ici avec exigence morale. Cette exigence de protection s’impose d’autant plus que les victimes ne peuvent en l’occurrence se défendre et dénoncer les faits subis. Un chien martyrisé ne va pas pousser la porte d’un commissariat pour déposer plainte pas plus qu’un enfant en bas âge maltraité.  Il faut lutter contre la violence, unique dans sa racine et protéiforme dans ses manifestations. Les parquets sont chargés d’appliquer la loi à ceux qui l’enfreignent. Ceux qui commettent des actes de maltraitance animale sont des délinquants. Il y a des délinquants de la maltraitance animale comme il y a des délinquants de la route. La maltraitance animale s’inscrit dans des contextes divers : misère sociale, exploitation des animaux à des fins mercantiles, troubles mentaux, sadisme… Certains faits traduisent une barbarie absolue, une inhumanité révélatrice d’une absence totale de sens moral et d’une profonde dangerosité sociale à l’égard des animaux mais encore d’autrui. Il faut sanctionner ces faits à la hauteur de leur gravité et le faire savoir. Le « prix judiciaire » doit faire écho, dans ce contentieux comme dans tout autre, au caractère inacceptable de l’acte et à la gravité de ses conséquences. Torturer un animal en le filmant pour diffuser ces images sur un réseau social ou bien pour les adresser à sa propriétaire à titre de vengeance dans le cadre d’une séparation conflictuelle, jeter un veau depuis un viaduc, laisser agoniser un chien à l’attache en plein soleil estival sont, parmi bien d’autres, les faits que l’autorité judiciaire doit traiter. La réponse doit être ici exemplaire et rapide. Dès la révélation des faits, des placements en garde à vue et des déferrements au parquet s’imposent dans la perspective d’un jugement à bref délai. Outre les peines d’emprisonnement, d’amende, la peine complémentaire d’interdiction de détenir un animal doit encore être systématiquement requise afin de prévenir le renouvellement des faits. Par ailleurs, le champ de la maltraitance animale est bien plus large que ce type de  faits. Il embrasse ainsi, de manière non exhaustive, la protection des espèces protégées, allant du piégeage des chardonnerets en Europe au braconnage des grands singes ou des rhinocéros en Afrique, à l’importation et à la consommation de viande de brousse et à bien d’autres situations. Ces trafics, qui contribuent à la destruction de la bio-diversité, relèvent de la criminalité organisée et génèrent des produits financiers considérables. Lutter contre la maltraitance animale conduit encore à se tourner en bien d’autres directions  au-delà des sévices ou de la maltraitance imposés à un animal par son propriétaire : les ventes désormais interdites en animalerie, le monde des zoos et des delphinariums, le monde agricole concernant les  animaux de rente, les conditions d’élevage et de transport de ces animaux, les pratiques au sein des abattoirs, le monde de l’équitation et des courses hippiques avec les problématiques de dopage…Traiter ces faits impliquent des connaissances techniques s’agissant d’un contentieux pouvant poser des questions juridiques  complexes dans le maquis légal et règlementaire français.  Des problèmes très concrets se posent également aux magistrats qui doivent disposer de solutions pratiques et opérationnelles face à des situations souvent imprévues. Pour un procureur, trouver en urgence une structure susceptible d’accueillir des fauves ou un troupeau de bovins n’est pas nécessairement d’évidence… Il faut disposer d’enquêteurs et de magistrats formés à la maltraitance animale et de structures judiciaires pérennes et identifiées. Ces structures se développent dans différents parquets et parquets généraux, par exemple le pôle environnement et maltraitance animale (PEMA) au parquet général de Toulouse ou la cellule de lutte contre la maltraitance animale (CLUMA) au parquet général d’Aix-en-Provence. Ces structures permettent de mobiliser tous les acteurs concernés, en particulier les services enquêteurs et administratifs, les associations de protection animale, dont il faut saluer l’action, ou encore les vétérinaires dont le rôle est essentiel pour détecter les faits de maltraitance animale et apporter une expertise technique dans le cadre des procédures judiciaires. En outre, la lutte contre la maltraitance animale ne peut reposer sur les seules épaules de la justice. Elle est une œuvre collective qui doit mobiliser les administrations, les services de l’Etat impliqués, les représentants du secteur associatif, dans leurs convergences et divergences, les élus dont certains concourent de longue date à faire évoluer les mentalités et plus encore les textes. Bien des évolutions demeurent à réaliser comme réduire le fossé, à défaut de le combler entièrement, séparant le régime de protection des animaux captifs et domestiques de celui des animaux dits sauvages. Face à l’ensemble de ces enjeux, pratiques, juridiques, législatifs, il faut continuer à aller de l’avant, avec lucidité car la route est encore longue et semée d’obstacles, mais surtout avec détermination en ayant présent à l’esprit l’adage qui veut que « si le pessimisme est d’humeur, l’optimisme est de volonté ».  La cause animale le vaut bien.


Franck Rastoul
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Procureur général près la cour d’appel d’Aix-en-Provence

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