Un petit rat est mort et tout le monde s’en fout. Enfin presque tout le monde : pas mon assistante, pas moi et surtout pas ce jeune homme de 14-15 ans qui nous l’a apporté, mardi soir dernier.
Quelques-uns de ses « copains » l’ont découvert en mauvais état ce soir-là et n’ont rien trouvé de plus intelligent et intéressant que de le malmener un peu plus. Le jeune homme est resté avec eux, sans participer, sans intervenir (mais peut-on le lui reprocher ?), attendant cependant qu’ils partent en laissant leur petite victime. Il l’a alors ramassée, installée dans un carton bien fermé dans lequel il avait percé des petits trous d’aération, et il l’a amenée ici, nous le confiant pour la soigner, dégoûté de la conduite des autres et proposant même de venir la reprendre une fois remise sur pattes, pour la libérer…
Mais ce petit rat de quelques mois à peine était trop mal en point : blessé à la tête, la queue déchiquetée, la peau arrachée… Froid comme la mort qui était déjà à l’œuvre. La seule chose à faire a été de l’accompagner pour son départ ultime, de le rassurer pour ses derniers moments d’une bien courte et bien triste vie.
Et la soirée qui a suivi n’a été qu’un mélange de colère et de tristesse. Colère contre ces ados qui, même s’ils n’étaient certainement pas à l’origine des blessures du Petit Rat, n’ont fait que le tourmenter encore plus alors qu’il était sans défense. Aucune empathie, aucune réflexion, bêtise et cruauté à l’état pur. Et tristesse de voir comment les humains peuvent traiter les plus faibles, les plus petits.
Comment expliquer que ce geste ne soit pas puni ? Quelle loi pour protéger ce pauvre animal ? Et comment analyser cette cruauté gratuite chez des jeunes gens en train de se construire?
Les rats, comme beaucoup d’autres animaux sauvages[i], ne reçoivent aucune protection par nos lois. L’article 515-14 du Code civil énonce bien que « les animaux sont des êtres vivants doués de sensibilité » mais aussi que « sous réserve des lois qui les protègent, les animaux sont soumis au régime des biens ». Mais quelles lois protègent les rats (et bien d’autres animaux) ? Aucune, dans aucun Code, car ils n’appartiennent pas aux espèces protégées[ii] (la protection pouvant concerner l’espèce mais aussi son habitat), chassables[iii], ou « nuisibles », « espèces susceptibles d’occasionner des dégâts » selon la nouvelle appellation politiquement correcte[iv]. Ces lois sont dans les deux derniers cas plus « contre » les animaux que « pour » eux et comportent nombre de dérogations mais sont censées contrôler les moyens de chasse et éviter les plus cruels (hormis pour les chasses dites traditionnelles…). Alors que sont ces rats du dehors ? Des biens, des choses, des res nullius pour la loi, la chose de personne, malgré leur reconnaissance d’êtres vivants[v]. Et de ce fait, en toute impunité, on peut les capturer, les maltraiter, les tuer de quelque façon que ce soit, même les plus cruelles. Ces actes de cruauté ne donneront lieu à aucune condamnation, et il s’agit pourtant de cruauté envers un être vivant.
Lorsque cela est subi par ce même rat mais domestique, comme Tabatha, jeune rate de quelques mois vraisemblablement achetée en animalerie dans le but de servir d’amusement malsain et qui a subi une amputation de la queue suite à des sévices similaires commis par de semblables jeunes gens, les sanctions pourront aller à présent jusqu’à 5 ans d’emprisonnement et 75 000 € d’amende si l’animal est mort suite à ces actes[vi]. Tabatha a mis plusieurs mois avant de retrouver confiance en son humaine (moi). Petit Rat par contre n’aura pas la chance de vivre sa courte vie de rat. Où est la logique ? Cette situation est une incohérence du point de vue scientifique. Comment une telle cruauté peut-elle rester impunie et surtout non punissable pour le rat sauvage, alors que la loi la sanctionne quand elle est commise sur un rat domestique ?
Notre époque met de plus en plus en avant le rapport entre violence envers les animaux et violence envers les membres de la famille[vii], il est dommageable de ne pas se pencher plus sur les violences exercées par les adolescents envers les animaux, qui peuvent être le signe de fragilités psychologiques et constituer une alerte. Une étude très complète du Professeur Laurent Bègue de l’Université Grenoble Alpes menée sur 12300 adolescents a établi que « 73 % des garçons condamnés pour délit violent à 18 ans avaient déjà arboré des formes de conduite agressive durant leur enfance, dont les victimes étaient des pairs, mais aussi parfois des animaux ». Par ailleurs, il note que l’effet « de groupe » est à l’origine d’une exacerbation du phénomène de violence : « le groupe fournit un cadre où se transmettent des normes proagressives, ainsi que les conditions de réalisation de conduites agressives. La violence est donc apprise et stimulée au contact des pairs délinquants »[viii].
Car comment expliquer ce sadisme qui consiste à maltraiter un animal sauvage mal en point et sans défense ? Ne pas aimer les rats peut se concevoir, ne pas ressentir d’empathie envers eux également, on peut aussi préférer « laisser faire la nature ». Alors on passe son chemin mais on ne rajoute pas une souffrance supplémentaire à un être vivant, souffrant et sensible car leur sensibilité ne fait aucun doute et n’est pas liée à leur statut de rat sauvage, domestique voire d’expérimentation. Sinon, si on ne peut le laisser mourir ainsi, on fait comme ce jeune homme sensible et compatissant, et on permet à ce petit être, en l’amenant chez le vétérinaire, de mourir un peu plus vite et un peu moins mal.
Il est temps que la sensibilité des animaux sauvages soit reconnue par la loi, pour eux mais aussi pour que les hommes ne puissent plus exercer cette cruauté gratuite en toute impunité, et pour pouvoir rectifier les comportements déviants chez les plus jeunes.
Alors, parce que sa réaction a été importante pour ce petit rat, merci à ce jeune homme pour ce geste si naturel mais qui semble si rare.
Et pardon, pardon Petit Rat, pour cette cruauté dont tu as été victime alors que déjà tu te mourais. Tu ne peux imaginer combien nous aurions préféré pouvoir te rendre ta vie et ta liberté…
[i] La seule définition de l’animal sauvage est donnée par l’article R411-5 du Code de l’environnement : « Sont considérées comme espèces animales non domestiques celles qui n’ont pas subi de modification par sélection de la part de l’homme. »
[ii] Article L411-2 du Code de l’environnement.
[iii] L’Arrêté du 1 août 1986 relatif à divers procédés de chasse encadre les temps de chasse, les lieux et moyens de chasse.
[iv] Article R427-6 et 10 du Code de l’environnement.
[v] Article L110-1 du Code de l’environnement.
[vi] Article 521-1 du Code pénal, en vigueur depuis le 2 décembre 2021.
[vii] Voir par exemple le guide diffusé par AMAH : lepointveterinaire.fr/ressources/upload/imgnewspha/veterinaire/wk-vet/media/complements_biblio/sv/sv1914/brochure_amah.pdf.
[viii] researchgate.net/publication/356216593_De_l’enfant_a_l’adulte_violent.
Brigitte Leblanc
Vétérinaire
2 commentaires
Leblanc Brigitte
17 décembre 2021 à 19h45
Merci pour ce commentaire, j’espère que certaines consciences pourront s’ouvrir…
Frederic
17 décembre 2021 à 8h10
Rien, absolument rien ne peut excuser de tels comportements.
Nous, soi-disant espèce évoluée avons la responsabilité de nous conduire de façon au moins humaine, quelque soit notre empathie ou nos convictions.
Malheureusement les plus nuisibles ne sont pas toujours là où on regarde mais parfois au sein de notre propre espèce…