Numéro 17Animaux domestiquesL’Europe réglemente mais ferme les yeux sur la maltraitance des animaux en haute mer

Olivia Merlet15 octobre 20246 min

Chaque année des millions d’animaux d’élevage sont transportés par voie maritime sur des bétaillères flottantes principalement vers le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord. Ce commerce représente au moins 1,5 milliard d’euros par an. Les seuls ports spécialisés dans ce domaine sont situés à Tarragone et Carthagène (Espagne), Sète (France), Setúbal et Sines (Portugal), Raša (Croatie), Greenore, Waterford, Cork et Foynes (Irlande), Midia et Braila (Roumanie) et Koper (Slovénie).

Lorsque les navires quittent les ports européens, les animaux ne sont plus sous la responsabilité du pays de départ et ne sont pas encore sous l’autorité du pays d’accueil. Il y a donc une incertitude juridique quant à savoir qui est légalement responsable du bien-être des animaux lors du transport en mer. Il n’y a donc aucun responsable pour les animaux morts en mer.

Selon un récent rapport de mars 2024 de l’ONG « Animal Welfare Foundation » allemande (AWF), écrit en collaboration avec l’organisation environnementale française « Robin Des Bois », sur les 64 navires de transport de bétail autorisés dans l’UE, seuls 4 ont été construits à l’origine dans le but de transporter des animaux. Les trajets peuvent durer jusqu’à quinze jours à bord de ces navires hors-normes et surchargés. La réalité est la suivante, la bétaillère flottante type est un navire en fin de vie trop vétuste pour le transport de marchandises non vivantes. Plus de la moitié de ces navires sont âgés de plus de 40 ans et ne sont plus agrées pour le transport de marchandises pour des raisons de sécurité. Mais, par contre, en seconde vie, ils sont approuvés pour le transport d’animaux vivants. Convertis pour le transport de bétail, les risques de chavirement ne sont pas pris pour des marchandises mais sont acceptés pour les animaux. En 2024, près de la moitié des bétaillères maritimes agréées par l’UE battent le pavillon d’un pays figurant sur la liste noire du Mémorandum d’entente de Paris (MoU).

Aussi, ces navires exposent la santé et la vie d’innombrables animaux ainsi que les environnements marins puisque tous les déchets, les excréments et les animaux morts sont rejetés en mer. Cette pratique est en infraction totale avec la convention MARPOL (de MARine POLlution : pollution marine) visant à prévenir et à réduire la pollution due aux navires, cette convention établit des zones spéciales dans lesquelles les rejets sont strictement réglementés, au-delà de 185 kms des côtes. En Méditerranée, il est ainsi formellement interdit de déverser des cadavres d’animaux ainsi que du lisier sous forme solide. Pourtant, selon l’ONG Animal Welfare Foundation, 300 000 m3 de fumier seraient déversés en méditerranée chaque année, car ni les ports de l’UE ni ceux des pays tiers ne possèdent les infrastructures adaptées pour collecter le lisier des navires.

Comme les animaux sont destinés à l’abattoir comme destination finale, on ne les soigne pas et surtout on ne les respecte pas. S’ils se blessent lors du chargement sur le bateau ou s’ils tombent malades durant la traversée, ils ne peuvent pas être soignés car il n’y a aucune surveillance vétérinaire. Les reportages des associations de protection animale montrent clairement le manque de soins, des blessures ouvertes et ensanglantées, le stress et l’angoisse dans le regard des animaux. Les risques pour les animaux sont multiples lors d’un transport en mer car les traversées et les manipulations sont violentes lors des chargements et déchargements. Plus grave, les quantités de nourriture et d’eau sont insuffisantes. Il n’existe donc pas de bien-être animal dans ces conditions, parlons plutôt d’un instinct de survie pour ceux qui ne se laissent pas mourir…sous les yeux indifférents des équipages. Le transport maritime d’animaux vivants est incompatible avec cette indifférence et cette absence totale de bienveillance.

Le transport d’animaux sensibles sur ces navires dangereux constitue une violation flagrante du règlement (CE) n°1/2005, article 3, qui stipule que “nul ne transporte ou ne fait transporter des animaux dans des conditions telles qu’ils risquent d’être blessés ou de subir des souffrances inutiles” et que “les moyens de transport doivent être conçus, construits, entretenus et utilisés de façon à éviter des blessures et des souffrances aux animaux, et à assurer leur sécurité”.

La proposition de la Commission européenne de décembre 2023 contient quelques améliorations comme l’interdiction de circulation des navires figurant sur la liste noire du MoP, mais elle passe à côté d’évolutions indispensables à une réelle amélioration de la condition animale, dont l’interdiction des exportations d’animaux vivants hors de l’Union européenne fait incontestablement partie ! Et notamment le transport maritime des veaux, agneaux, chevreaux et porcelets car ce sont de jeunes animaux très fragiles. L’Union européenne et ses États membres doivent remplacer l’exportation d’animaux vivants par un commerce de carcasses uniquement.  Le manque de volonté et de courage des États membres, pour faire évoluer leurs pratiques commerciales, ne correspond pas à des impératifs éthiques largement plébiscités par la population européenne (83%).

Mais que pouvons-nous faire ? Les nouvelles générations sont aujourd’hui de plus en plus concernées par le bien-être des animaux. Grâce au travail des associations de protection animale, nous pouvons avoir connaissance de ces comportements inacceptables et les dénoncer. Mais cela passera inévitablement par une réelle envie de faire bouger les lignes en faveur d’une refonte complète du système. Notre seul espoir sera l’éducation des générations futures sur l’importance du respect du bien-être des animaux de rente au même titre que celui des animaux de compagnie, depuis la rentrée 2024, dans les programmes scolaires du CP. Le chemin sera long mais si les générations nouvelles sont mieux formées et informées, elles pourront s’emparer du sujet et contribuer à faire évoluer les mentalités puis le système en profondeur. Les animaux d’élevage sont en majorité nés pour mourir après avoir vécu une courte vie dans d’atroces conditions. Battons-nous pour leur offrir une vie décente.

Photo : commons.wikimedia.org/wiki/File:Sheep_Ship_2


Olivia Merlet
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