Les premiers mois de cohabitation avec le covid-19 ont vu s’arrêter du jour au lendemain la quasi-totalité des activités de chasse, en particulier des chasses collectives et de loisir comme la chasse à courre. Mais après un retour à la normal à la rentrée, un rebond dans la crise sanitaire oblige le Ministère de la Transition Écologique à réévaluer ses consignes, et le couperet tombe : une circulaire de Barbara Pompili limite les conditions de reprise de la chasse au seul maintien de la « régulation de la faune sauvage ». La Ministre ne mâche pas ses mots, « les chasses de loisir sans impact sur la régulation nécessaire du gibier, et en particulier la vénerie » (ndlr : la chasse à courre) sont spécifiquement interdites ! Alors que le lobby de la chasse a toujours fait bloc comme un seul homme malgré ses contradictions internes (en terme de pratiques comme de pratiquants), la Ministre balaye ce tabou et reconnaît l’évidence : il existe bel et bien, en France, des modes de chasse qui ne participent à aucune mission de « régulation » et qui relèvent d’un simple loisir dont on pourrait se passer du jour au lendemain. La chasse à courre en est le parfait exemple : cette chasse « qualitative » (qui tue peu et qui cible les plus beaux trophées) est littéralement inutile. La Société de Vénerie indique elle-même tuer « une partie infinitésimale des animaux chassés » en France (0,1 % des sangliers chassés, 1,8 % des cerfs, 0,25 % des chevreuils). Le sentiment de participer à une quelconque mission de régulation est parfaitement étranger aux veneurs, qui renient cette vision comptable de la Nature. Le veneur cherche surtout à mettre en scène, le temps d’une journée, le combat viriliste entre l’Homme et la Bête, un affrontement qui doit rester l’apanage des puissants.
Après un mois d’une pratique de la chasse complètement révolutionnée, l’allégement du confinement ouvre une porte aux fédérations de chasse qui s’empressent de négocier le retour à la normal. Sans grande surprise, les chasses de loisir demeurent interdites pour les grands animaux. Pourtant, dès le lendemain, des chasses à courre sont aperçues dans l’Aisne (02) et dans l’Allier (03), où au moins sept chasses se succèdent. Des témoins contactent leur préfecture qui les renvoie vers la Direction Départementale des Territoires, puis l’Office National des Forêts, puis la Fédération de chasse locale, puis… vers les veneurs eux-mêmes. Quelques fonctionnaires confirment malgré tout l’absence de dérogation pour la chasse à courre. Les signalements et les articles de la presse locale ne font que renforcer l’impunité des veneurs, dont les chasses sont même encadrées par la gendarmerie.
Cet épisode surréaliste aura mis en lumière deux facettes problématiques de la chasse dans notre pays.
On constate d’abord, chez les chasseurs à courre, un rejet perpétuel du cadre juridique de l’acte de chasse. Un des veneurs impliqués dans ces chasses a nié toute illégalité. Il a décrit à la presse une simple promenade pour ses chiens… avant de préciser avoir décidé d’arrêter la poursuite d’un cerf après deux heures de traque. La vénerie est donc une pratique si particulière que sa subtilité est réservée aux seuls érudits qui choisissent ou non ce qui relève d’un acte de chasse, c’est alors l’intention qui le définit et non plus la loi. C’est par ce même mécanisme qu’un cerf « gracié » par des veneurs peut finir en trophée au-dessus d’une cheminée, comme à Lacroix Saint-Ouen en 2017. Ce décalage entre la loi et la pratique est tel que l’Association des Équipages de chasse à courre a même partagé en interne ses recommandations pour limiter les lourdes conséquences qu’entraîneraient ces chasses illégales, conseillant notamment de se faire discret et de sonder sa Fédération de chasse locale.
Enfin, tout porte à croire que si ces chasses illégales ont pu avoir lieu aussi ostensiblement, c’est parce que les services de l’État se reposent entièrement sur les acteurs de la chasse pour décider de son propre sort. Les chasseurs comptent les animaux, fournissent les données, les interprètent, négocient les plans de chasse, et sont les seuls à pouvoir les réaliser. Ce sont eux que l’on appelle pour savoir si leurs activités sont bien en règle. Pendant ce confinement, le Président de la Fédération de chasse de l’Aisne se félicitait d’avoir obtenu le rétablissement de « tous les modes de chasse » auprès du Préfet, à qui il avait demandé le retour de la vénerie, alors que ce dernier avait au contraire signé un arrêté l’interdisant. Deux semaines plus tard, c’est Willy Schraen qui court-circuitait les annonces officielles pour lancer la rumeur d’un retour à la normal total, que les chasseurs à courre se sont empressés de relayer et d’appliquer. Comment attendre des veneurs qu’ils respectent la loi si leurs représentants les incitent à l’inverse ?
Trop tard le mal était fait. C’était là la fin de cette expérience particulière dans l’histoire de la chasse et de cet avant-goût d’une société sans chasse à courre.
Photos : AVA France
Léa Le Faucheur
Porte-parole d'AVA France