Numéro 21Animaux domestiquesPourquoi la connaissance de nos animaux de compagnie n’est-elle pas aussi avancée que nous pourrions l’espérer en 2025 ?

Julie Courtadon15 octobre 20255 min

Comme beaucoup de passionnés d’animaux soucieux de leur bien-être, je me sens souvent démunie face aux traitements qu’on leur inflige encore de nos jours. Et lorsque je regarde autour de moi, sur les animaux que nous côtoyons au quotidien (chats, chiens, NAC), je constate un grand manque de connaissances sur les spécificités propres à chaque espèce (sortir son chien au moins une à deux heures par jour et ne pas le laisser uniquement dans un jardin, ou encore savoir qu’un chat est une espèce crépusculaire avec des pics d’activité vers 4/5 h du matin, par exemple).

Pourtant, en France, nous comptons près de 79 millions d’animaux de compagnie, détenus par 61 % des Français. Parmi eux, 68 % considèrent leur animal comme un membre de la famille. Alors, comment est-il possible qu’en 2025, nous soyons encore si peu avancés dans le domaine de la connaissance des comportements de nos propres animaux de compagnie ?

L’éthologie (science du comportement) est une discipline relativement récente, puisqu’elle n’a été réellement reconnue comme telle qu’à partir des années 1940. Mais ce n’est qu’à partir des années 1980/1990 qu’elle commence à prendre un véritable essor. Elle reste cependant essentiellement connue du grand public à travers la primatologie et des figures emblématiques telles que Jane Goodall, Frans de Waal ou Dian Fossey. Mais qu’en est-il des animaux plus proches de nous ?

Concernant les chiens, la figure emblématique est Ádám Miklósi, pourtant très peu connu du grand public. À l’heure actuelle, la population générale s’appuie encore sur des travaux des années 1960, comme ceux de David Mech, qui avait alors affirmé que la hiérarchie chez les chiens était, comme chez les loups, une hiérarchie de dominance soumise uniquement à un « mâle alpha ». Des travaux sur lesquels il est lui-même revenu dans les années 1990, mais qui, encore aujourd’hui, restent ancrés dans les mentalités et sont même encore utilisés par certains éducateurs canins.
(La hiérarchie chez les chiens étant beaucoup plus complexe et ne se basant pas sur la dominance.)

Concernant les chats, c’est un domaine encore moins développé et beaucoup plus récent. Certains grands scientifiques tels que Dennis Turner, Patrick Bateson (1988) ou encore John Bradshaw (2013) y ont pourtant consacré leurs travaux. Mais combien d’entre nous connaissent leurs ouvrages ?

Et ne parlons même pas de tout ce qui concerne les NAC (nouveaux animaux de compagnie : poissons, lapins, rongeurs…), dont la connaissance commence à peine à être intégrée dans la formation vétérinaire.

Sur le plan du droit, celui-ci reste peu développé : ce n’est qu’en 2015 que seuls les animaux domestiques ont été définis comme « des êtres vivants doués de sensibilité », bien qu’ils demeurent soumis au régime des biens.

Sur le terrain, l’éducation positive des animaux est arrivée en France dans les années 2000-2010. Et malgré une reconnaissance croissante, elle reste encore mal comprise et parfois dénigrée.

Nous pouvons toutefois observer une avancée majeure avec l’arrêté du19 juin 2025, interdisant aux professionnels du domaine canin l’utilisation de méthodes coercitives.

Il aura donc fallu un peu moins d’un siècle (1940-2025) pour que les sciences comportementales commencent à être appliquées au niveau professionnel et vulgarisées auprès du grand public.

Cela s’explique par ce qu’on appelle un changement de paradigme (Thomas Kuhn). En sciences humaines et sociales, un tel changement demande généralement une à deux générations (soit 30 à 60 ans). Au vu des dates précédemment évoquées, et sachant que les premiers travaux scientifiques sur nos animaux de compagnie datent surtout des années 1990, nous pouvons comprendre que nous ne sommes encore qu’au début du processus d’acceptation par le grand public.

Il faut également prendre en considération la masse critique : c’est le nombre de personnes qu’il faut toucher pour qu’une idée se propage. Il a été démontré qu’il fallait qu’au moins 25 % de la population suive et adhère à une idée pour que celle-ci puisse se répandre et provoquer rapidement une bascule du groupe (travaux de Damon Centola).

On pourrait penser que l’évolution rapide de ceux-ci, notamment avec les réseaux sociaux, permettrait d’accélérer ce changement.

Mais là encore, deux facteurs viennent ralentir la progression du bien-être animal :
D’abord, comme pour la science comportementale, l’informatique et son usage par tous sont récents (fin des années 1990 / début des années 2000).
Ensuite, les réseaux sociaux ne permettent pas toujours de développer l’esprit critique ni d’expliquer des concepts complexes. Il devient aussi facile de faire reculer ou de décrédibiliser une information scientifique cruciale (comme l’éducation positive, parfois qualifiée de « laxiste ») que de la propager correctement. Ils ne constituent donc pas un outil fiable pour accélérer l’amélioration du bien-être animal.

Et c’est sans m’aventurer sur tout l’aspect de l’être humain, avec ses biais cognitifs tels que le biais de confirmation ou le biais de justification de l’effort (plus une méthode est difficile ou désagréable, plus on la juge efficace ou légitime), issus de nos propres éducations ou valeurs sociétales, qui peuvent venir parasiter notre propre bascule vers une amélioration du bien-être animal.

En conclusion, après étude de la situation, et bien que cela soit frustrant lorsque l’on souhaite aider au mieux les animaux, il est donc normal qu’à l’heure actuelle nous ne soyons pas plus avancés dans le bien-être animal, même pour celui de nos compagnons les plus proches…

Cela ne veut bien évidemment pas dire qu’il ne faut pas continuer de transmettre au maximum nos connaissances — bien au contraire ! Nous sommes à un passage crucial où nous devons communiquer dessus et impacter le plus de personnes possible afin que la prise en compte de leur bien-être évolue dans le bon sens.

Cependant, à une époque où l’on nous demande toujours d’aller plus vite, de faire toujours plus, d’être toujours mieux, il me paraissait important d’étudier cette question d’un point de vue objectif et réaliste afin de nous rappeler que nous aussi restons des animaux, soumis à notre propre nature et à nos propres apprentissages… et que ceux-ci prennent également du temps.


Julie Courtadon
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