Les actions de défense des animaux ou de l’environnement non répréhensibles continueront à être surveillées par la gendarmerie nationale
Ce jeudi 7 novembre, le Conseil d’État a rendu sa décision concernant la cellule de renseignement Déméter : il ne juge pas illégales les missions de « suivi […] des actions idéologiques » confiées à cette cellule de la gendarmerie, qui consistent à « évaluer les risques d’atteinte imputables aux mouvances animalistes, antispécistes et environnementalistes (…) y compris les atteintes non délictuelles telles que les atteintes à l’e-réputation (…) et de caractériser les manifestations du phénomène d’agribashing ». Autrement dit, des actions qui ne sont pas répréhensibles.
Une décision qui contredit le jugement du tribunal administratif de Paris rendu en 2022, qui considérait ces missions illégales.
Pour L214, Pollinis et Générations Futures, cette décision est alarmante et traduit un climat toujours plus répressif à l’égard des lanceurs d’alerte.
Une cellule de renseignement en étroite collaboration avec la FNSEA et les Jeunes Agriculteurs
La cellule nationale de suivi des « atteintes au monde agricole », appelée Déméter, a été créée au sein de la Gendarmerie natio nale en octobre 2019, via une convention de partenariat entre le ministre de l’Intérieur, la FNSEA (syndicat agricole majoritaire) et les Jeunes Agriculteurs (syndicat dédié aux agriculteurs de moins de 35 ans).
Sous couvert de répondre à un prétendu phénomène d’ « agribashing », la cellule a pour mission aussi bien la prévention et le suivi des infractions pénales, que le suivi des « actions de nature idéologique, qu’il s’agisse de simples actions symboliques de dénigrement du milieu agricole ou d’actions dures ayant des répercussions matérielles ou physiques ».
Selon le Conseil d’État, la « mission de renseignement et d’information des autorités publiques [de la cellule Déméter] ne saurait légalement porter atteinte à la liberté d’expression ou à la liberté de réunion », de sorte que sa mise en oeuvre ne peut pas « viser à intimider ou à dissuader l’expression ou le partage d’opinions ».
Mais comment ne pas se sentir intimidé en étant potentiellement sous surveillance de la gendarmerie en permanence parce qu’on agit pour la défense des animaux ou de l’environnement, même si ce n’est pas le but recherché par la gendarmerie ?
De toute évidence, la cellule Déméter, dont la FNSEA a reconnu être à l’origine, a précisément été conçue dans le but d’intimider les associations de protection animale et environnementale et ainsi d’empêcher l’expression d’opinions critiques envers le modèle agricole dominant.
Les gendarmes qui la composent ont même assisté à des réunions d’associations locales œuvrant pour la préservation de l’environnement, interrogé des responsables associatifs sur la teneur de leurs activités, convoqué un porte parole associatif dans le cadre d’une enquête pour violation de domicile après qu’il ait donné une interview pour France 3 Limousin, etc (lire notre communiqué de presse recensant ces événements).
2022 : une partie des activités de la cellule Déméter jugée illégale
Face à la contrariété manifeste de la cellule Déméter avec les principes fondamentaux de notre État de droit, L214 a sollicité sa dissolution auprès du ministre de l’Intérieur, qui a refusé.
L’association a ensuite saisi le tribunal administratif de Paris qui, le 1er février 2022, a reconnu l’illégalité des missions de prévention et de suivi des actions de nature idéologique de la cellule Déméter et a enjoint au ministre d’y mettre fin.
Comme l’a rappelé le tribunal, d’un point de vue légal, les activités de la Gendarmerie nationale ne peuvent avoir pour but que de préserver l’ordre et la sécurité publique et de prévenir les infractions pénales.
L’État a fait appel et le litige a été confié au Conseil d’État.
Une décision qui s’inscrit dans un contexte inquiétant pour les libertés fondamentales
Les associations L214, Pollinis et Générations Futures déplorent la décision du Conseil d’État, dont les conséquences pourraient être graves pour la liberté d’expression et la liberté d’informer.
Cette décision s’inscrit dans un contexte toujours plus répressif à l’égard des associations et lanceurs d’alerte qui osent s’opposer au modèle intensif de l’agriculture : les procédures-bâillons se multiplient, se diversifient et aboutissent davantage ; les plaintes déposées par les associations de défense des animaux ou de l’environnement se heurtent de plus en plus à des classements sans suite…
Il y a deux semaines à peine, un amendement visant à asphyxier financièrement les associations comme L214 a été adopté pendant l’examen du projet de loi de finances. Le texte définitif doit être voté à l’Assemblée nationale dans les semaines à venir.
Malgré tout, les associations L214, Pollinis et Générations Futures sont déterminées à se battre pour les libertés d’expression et d’information, des outils indispensables pour faire connaître les dérives de l’agriculture intensive et participer à l’émergence d’un autre modèle, plus respectueux des animaux et de l’environnement.
Pour les associations L214, Pollinis et Générations Futures : « Les conséquences de cette décision pourraient être dramatiques pour les lanceurs d’alerte et pour toutes les personnes et associations qui questionnent notre modèle agricole : de simples réunions associatives ou interviews données aux médias pourraient faire l’objet d’un suivi ou d’une convocation en gendarmerie, comme cela s’est déjà produit ces dernières années. C’est une atteinte grave à la liberté d’expression et à la liberté d’information !
Le contexte est inquiétant : les attaques se multiplient contre les lanceurs d’alertes et les associations qui dénoncent les dérives de l’agriculture intensive. L’État, avec cette cellule de renseignement téléguidée par la FNSEA, se met au service de ce modèle agricole délétère. Il choisit de surveiller et réprimer plutôt que de favoriser la transition vers un modèle agricole plus vertueux pour les animaux, la santé humaine, l’environnement et la souveraineté alimentaire. »