Les animaux liminaires[1] sont les animaux qui vivent en liberté dans l’espace urbain. Ni sauvage, ni domestique, ils vivent en liberté à proximité des humains. Cette catégorie rassemble un ensemble d’espèces animales très différentes (rats, moineaux, pigeons, lapins, cygnes, canards, fouines…).
Aujourd’hui deux espèces sont très répandues dans l’espace urbain, les pigeons et les rats.
Ces animaux ont mauvaise réputation, ils sont considérés comme sales et vecteurs de maladie dangereuses voire mortelles pour l’homme. Ces animaux ne sont pas utiles pour l’homme comme les animaux d’élevage, de travail ou de compagnie. Par conséquent, les hommes en ont peur, et c’est pour cela qu’ils sont méprisés, malmenés et tués dans des conditions cruelles simplement parce qu’ils partagent notre espace. L’urbanisation croissante ne laisse pas d’autres choix aux animaux liminaires que de cohabiter avec les humains. Il est donc important de mieux les connaitre afin d’accepter ces êtres vivants de manière pacifique.
Changer notre regard sur eux grâce aux nouvelles études scientifiques[2]
Les capacités affectives et cognitives complexes des rats
Les rats sont utilisés dans la recherche médicale pour sauver des vies humaines mais en même temps sont exterminés lorsqu’ils vivent en ville et ne sont pas utiles à l’homme… La majorité des études portent sur leurs peurs, anxiétés ou douleurs mais des études très récentes de 2024 mettent en évidence les capacités émotionnelles et prosociales de cette espèce. Nous savons maintenant que le rat est capable d’empathie. Ces travaux scientifiques ont démontré que les rats sont une espèce très coopérative et qu’ils sont motivés par la détresse des autres pour des actions prosociales, comme ouvrir une porte ou tirer une chaîne pour libérer des congénères pris au piège. Des études sur l’affect, la cognition et les fonctions neuronales des rats montrent de manière convaincante que les rats sont capables de se représenter les besoins des autres, d’agir de manière instrumentale pour améliorer leur bien-être, et donc d’apporter des formes d’aide ciblées. Les capacités complexes des rats à partager ses états affectifs soulignent l’importance d’intégrer de nouvelles mesures du bien-être des rats dans la recherche scientifique ainsi que le développement de méthodes contraceptives non cruelles. Ces nouvelles pratiques aideront à la gestion des populations en ville afin d’interdire l’utilisation d’anticoagulants ou de pièges à colle[3].
La grande intelligence des pigeons
Les pigeons sont monogames et dévoués à leur partenaire toute leur vie, les mères et les pères partagent également les tâches parentales à parts égales. Le nombre de pigeons dans une zone se stabilisera naturellement en fonction de l’approvisionnement en nourriture car les pigeons contrôlent leur population. L’intelligence des pigeons a longtemps servi aux hommes. Ils comprennent les itinéraires des transports humains et s’appuient souvent sur cette connaissance pour la navigation, plus que sur leur propre boussole magnétique interne. Les pigeons peuvent reconnaître les 26 lettres de l’alphabet et sont capable de résoudre des problèmes complexes. Les pigeons passent le « test du miroir », c’est-à-dire qu’ils ont la conscience d’eux-mêmes. Très peu d’espèces ont cette conscience.
Aussi, une étude menée par Edward Wasserman en novembre 2023[4], qui travaille avec des pigeons depuis plus de 50 ans, a révélé que les pigeons apprennent à identifier différents stimuli en utilisant les mêmes stratégies que l’intelligence artificielle. Pour réussir, les animaux doivent s’adapter au monde qui les entoure et apprendre des choses qu’ils n’auraient jamais pu anticiper. De plus, pour évoluer dans leur monde, ils s’inspirent d’expériences passées, comme les humains. Les pigeons associeront alors des stimuli d’entrée particuliers à des réponses spécifiques, sachant que la récompense sous forme de nourriture rend leur réponse plus forte.
Améliorer leur vie et diminuer leurs souffrances grâce à des méthodes de régulation non létales
La première journée mondiale pour la défense des animaux liminaires a eu lieu le 20 juillet 2024 grâce au travail de l’association PAZ[5]. Les pigeons ne sont pas les bienvenus dans les espaces publics en ville. Les mairies, les bailleurs sociaux ou encore la SNCF installent régulièrement des filets qui ont pour but d’empêcher les pigeons d’accéder à certains endroits (ponts, lieux spécifiques…). Cette méthode peut sembler inoffensive, mais quand les oiseaux parviennent à s’y engouffrer, ils se retrouvent piégés. Ils sont alors incapables d’en ressortir et ces dispositifs deviennent ainsi des mouroirs à pigeons. Parmi les autres méthodes cruelles, il existe la capture suivie de mise à mort par gazage, par système sous-vide ou à l’aide d’une pince coupante. En zone rurale, les pigeons sont abattus par balle (avec une carabine à air comprimé), par des sociétés de chasse. D’autres procédés atroces sont également utilisés, comme la stérilisation chirurgicale ou encore l’effarouchement avec des rapaces dressés et captifs qui consiste à effrayer les pigeons qui finissent blessés ou tués par ces rapaces. D’autres solutions éthiques et bien plus efficaces existent : la modification de l’environnement pour le rendre moins attractif aux pigeons, la mise en place de pigeonniers contraceptifs, c’est à dire secouer les œufs pondus ou les remplacer par des factices. Il est possible aussi de recourir au maïs contraceptif non hormonal afin de limiter leur reproduction.
Proposition de loi déposée à l’Assemblée nationale afin d’interdire des méthodes cruelles sur les pigeons[6]
Le 19 décembre 2024 et, à la suite du colloque de l’association PAZ coorganisé avec la Députée Anne Stambach-Terrenoir et le Député François Piquemal, la Députée Ersilia Soudais a déposé une proposition de loi sur le sujet. Ce texte vise d’une part, à créer la catégorie juridique des animaux liminaires en intégrant cette notion dans le Code de l’environnement et d’autre part, à mettre fin aux méthodes cruelles visant les pigeons.
Dans notre système politique, en dehors des niches parlementaires[7],seul le gouvernement peut décider qu’un texte soit soumis au vote des Parlementaires. La proposition de loi ne sera donc a priori pas débattue, mais elle permet de rendre compte d’une réelle demande politique d’interdire les méthodes cruelles visant les pigeons. Comme cela a été le cas pour la loi contre la maltraitance animale votée en 2021, les propositions de loi des parlementaires (même non débattues) sont primordiales pour pousser le Gouvernement à légiférer.
[1] La notion a été inventée en 2011 par les philosophes canadiens Sue Donaldson et Will Kymlicka dans leur livre Zoopolis, avant d’être popularisée par les médias et l’association française PAZ (Paris Animaux Zoopolis), qui tire son nom de l’ouvrage.
[2] Article publié par Inbal Ben-Ami Bartal, neuroscientifique à l’Université de Tel Aviv dans la Revue Science en septembre 2024 (Source reprise par le CNR BEA)
[3] zoopolis.fr/nos-campagnes/cohabitons-avec-les-animaux-liminaires/stop-aux-pieges-a-colle/
[4] Pour aller plus loin : dailyiowan.com/2023/11/14/study-finds-connection-between-pigeon-brain-and-ai-at-university-of-iowa/
[5] zoopolis.fr/nos-campagnes/cohabitons-avec-les-animaux-liminaires/journee-mondiale-pour-la-defense-des-animaux-liminaires/
[6] assemblee-nationale.fr/dyn/17/textes/l17b0740_proposition-loi
[7] vie-publique.fr/infographie/290761-infographie-quest-ce-quune-niche-parlementaire
Photo : © Shutterstock.
Olivia Merlet
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