Depuis le début de la guerre en Ukraine, les journaux français nous parlent des victimes humaines, mais jamais ou rarement des victimes animales. A l’exception de quelques rares médias en ligne (Le Monde[1], Radiofrance[2]…), et plus souvent étrangers (LA Times[3], Euronews[4], National Geographic[5]…), aucun JT n’en a fait mention. Et lorsqu’ils évoquent les animaux, c’est uniquement ceux de compagnie et sous le prisme de leurs propriétaires humains. La France, qui a pourtant reconnu la sensibilité animale dans son Code civil en 2015[6], serait-elle à ce point spéciste?
Pourtant, les victimes animales sont bien plus nombreuses à ce jour que les victimes humaines. Qu’il s’agisse des plus de 700 000 animaux abandonnés (en février 2022[7] ; chiffre ayant explosé depuis) dans les rues, gares ou appartements (dont seuls certains ont pu être recueillis par des associations de protection animale[8]), de ceux restés dans les refuges sous surveillance des bénévoles, ceux détenus dans les élevages (laissés à l’abandon par les éleveurs ou détruits sous les bombes[9]) ou les zoos… et dont on ne sait s’ils sont encore vivants. Les animaux n’ont tristement pas été le centre d’attention durant cette guerre, ni durant aucune autre d’ailleurs.
Plus étonnant, ce sont principalement les associations (de protection animale) qui ont aidé les réfugiés fuyant avec leurs animaux domestiques à la frontière, et à leur arrivée en Pologne, France, Royaume Uni,… dès les premiers jours de la guerre; et ce, sans attendre que les Etats membres ne prennent de mesures d’urgence au niveau national[10].
Pendant ce temps, beaucoup d’autres animaux ont malheureusement péris au milieu des attaques russes (dans les élevages, zoos, refuges, forêts, …), alors que le monde se concentrait sur l’évacuation et l’aide apportée aux victimes humaines. Nous ne saurons jamais combien d’animaux abandonnés ou sauvages y ont perdu la vie (affamés ou sous les tirs de l’armée russe). Car hormis quelques vidéos diffusées sur les réseaux sociaux par les ukrainiens restés sur place, montrant des refuges et élevages entiers détruits et leurs animaux tués ou errants (sans nourriture ni abri), peu de médias ont visiblement estimé important d’en informer la communauté internationale. L’ONG Open cages Ukraine a établi un rapport des fermes détruites et des animaux qui y ont été tués[11], tandis que le ministère ukrainien de l’agriculture annonce une « perte » de 15 % du volume total de la « production animale », et 300 000 animaux en moins attendus sur les 3,11 millions estimés en 2021. Evaluer des pertes financières plutôt que des vies perdues dans les pires souffrances : le spécisme[12] à l’état pur.
Les autorités ukrainiennes prendront-elles la peine de faire ce lourd bilan à la fin du conflit en dehors de toute considération économique? Rendront-elles hommage à ces vaches brulées vives, dont l’exploitante se dit hantée par les pleurs, dans un élevage du sud-est de Kharkiv après le bombardement de sa ferme? A ces truies incapables de bouger, pétrifiées de peur et refusant d’abandonner leurs petits, qui ont tous péris sous les décombres de cette même ferme? A cette vache qui y a été décapitée par les poutres de la grange alors qu’elle mettait bas son petit? Ou encore à cette brebis et ses agneaux blessés après une attaque de chiens errants affamés ?[13] Aux quatre millions de poulets, tués à Chornobaivtsi (région de Kherson), dans le plus grand élevage de volailles d’Europe? Et à tous les animaux blessés qui durent être euthanasiés car les éleveurs, incapables de les soigner, ne pouvaient sortir des zones assiégées par les troupes russes pour les emmener chez les rares vétérinaires encore présents malgré les attaques? [14] Ce sont ainsi de nombreuses fermes industrielles et bio qui ont été démolies et leurs animaux (dont des nouveau-nés) brulés vifs, étouffés sous les décombres ou abattus par les soldats russes[15]. Cet enfer, c’est ce que vivent des centaines de milliers d’animaux d’élevage et de zoos en Ukraine depuis 4 mois.
Mais c’est aussi ce qu’endurent des milliers de chiens abandonnés, contraints de s’attaquer aux troupeaux survivants, de manger les restes de cadavres de soldats russes[16] ; ou encore utilisés comme pièges par l’armée russe : comme Fox, ce pauvre chien, battu presque à mort, puis relié à une bombe pour piéger les ukrainiens qui tenteraient de l’aider[17]. Ce fut aussi le cas de Max, ce chien des forces armées russe, abandonné et presque mort de faim, lorsqu’il fut récupéré par les soldats ukrainiens qui l’ont depuis adopté et formé comme chien démineur[18]. Pourquoi, les médias télévisés français n’en parlent-ils pas?
Si aucune règlementation internationale ne protège les animaux victimes des conflits armés, il n’en reste pas moins que ces êtres sensibles ne peuvent être décemment abandonnés au milieu des guerres humaines : ni par leurs propriétaires, ni par les médias qui ont la responsabilité d’en informer le public. Cela parait évident pour les animaux domestiques dès lors qu’ils sont sous la responsabilité de leur maitre; mais cela devrait l’être tout autant pour les animaux d’élevage dont les éleveurs ont la charge, ceux utilisés (comme outils de tests cruels) dans les laboratoires pharmaceutiques, ou ceux exploités par les cirques et zoos qui doivent être placés en sécurité par leurs propriétaires. Ceci parait d’autant plus légitime qu’ils sont les victimes silencieuses et collatérales des conflits, qu’ils subissent tragiquement et malgré eux. Il en va ainsi de notre devoir moral, tant envers les animaux domestiques qu’envers ceux que notre société exploite malgré eux (animaux d’élevage, de zoos, de laboratoires, …).
Ainsi, à la demande de la Commission Européenne, la plupart des pays frontaliers de l’Ukraine suivis par le Royaume Uni (et seulement plus tard par la France) ont rapidement allégé les conditions d’entrée des ukrainiens avec leurs compagnons à quatre pattes sur leurs territoires. Cette mesure répondait à la dérogation prévue par l’article 32 du Règlement EU du 12 juin 2013 relatif aux mouvements non commerciaux d’animaux de compagnie[19]. L’objectif étant de ne pas ajouter de contraintes administratives (identification, vaccins, …) à la situation déjà difficile que les réfugiés et leurs animaux vivaient en fuyant le pays. Un tel dispositif d’accueil d’urgence, instauré en temps de guerre, devrait, en toute logique, être étendu à tous les animaux, et non seulement aux animaux domestiques. C’est d’ailleurs pourquoi, de nombreuses associations (Eurogroup for Animals, Four paws, Fédération des Vétérinaires d’Europe,…) ont saisi la Commission Européenne le 29 mars 2022 afin de demander un allégement des mesures d’évacuation des animaux (domestiques et autres), ainsi que la mise en place de protocoles harmonisés pour importer les animaux d’Ukraine, des zones de quarantaines sécurisées,… [20]
Alors, faut-il attendre que des lois soient spécifiquement établies pour sauver les animaux en temps de guerre, ou nous faut-il simplement faire preuve d’empathie en organisant leur sauvetage dans ce chaos? Les mesures d’entraides mises en place en faveur des humains le sont spontanément durant les conflits, et parfois en dehors de tout cadre légal. On ne reprochera à personne d’aider des réfugiés de guerre en leur offrant de quoi se nourrir et s’abriter. Pourquoi n’en serait-il pas de même pour les victimes animales, celles qui n’ont pas de voix? Hormis les animaux domestiques qui ont eu la chance de fuir avec leur maitre, les autres restés en Ukraine méritent tout autant notre considération et notre aide pour fuir cette guerre.
Il en va de la dignité des animaux, tout comme de la dignité des humains pour lesquels des mesures d’aide sont instaurées en urgence depuis le début de ces évènements tragiques. Si, à ce jour, seuls quelques pays au monde ont reconnu la dignité de l’animal comme principe à valeur constitutionnelle (Suisse, Allemagne, Luxembourg, Inde, …), doit-on pour autant attendre que tous les pays frontaliers d’une zone de guerre la reconnaissent dans leur législation pour sauver les animaux pris en étau dans les conflits humains? Cela reviendrait à les laisser consciemment mourir, sous le prétexte que la loi ne les protège pas durant les guerres, et ne leur donne donc pas autant d’importance qu’aux humains. Ce fut le cas, parmi tant d’autres, de ces 485 chiens abandonnés dans un refuge (appartenant à une clinique vétérinaire) sans eau ni nourriture durant un mois, et dont 335 sont morts de faim enfermés dans leurs cages[21]. Le défaut de droit spécifiquement reconnu aux animaux en temps de guerre nous autorise-t-il (moralement) à ne pas les considérer comme victimes au même titre que les humains ? A l’évidence, non.
Dans ce contexte, nous avons aussi beaucoup entendu parler de « couloirs humanitaires » pour évacuer les ukrainiens, mais jamais de couloirs « animaliers ». Or, les animaux ont autant que les humains le droit d’être sauvés d’une mort certaine, d’autant que leurs déplacements dépendent de ceux des humains qui les détiennent et/ou les exploitent malgré eux. Ainsi, par exemple, seuls quelques animaux domestiques de refuges et animaux sauvages (survivants) de zoos ont bénéficié d’une évacuation grâce à des ONG de protection animale[22]. C’est le cas, notamment, de l’ours Vova, sauvé par Four Paws, d’un restaurant qui l’utilisait pour attirer les clients[23]. Ou de ces fauves issus d’un refuge pour animaux maltraités, qui durent être évacués vers la Pologne en urgence et dont le voyage ne fut pas sans risque face aux chars russes qu’ils durent contourner sur leur route[24]. Des sauvetages organisés par les associations et refuges avec de faibles moyens matériels et financiers, de lourdes contraintes administratives, et surtout, avec le risque d’être pris pour cible; aucun couloir spécifique n’ayant été accordé pour procéder à ces évacuations. Sans parler des conditions dans lesquelles ils étaient détenus (ou le sont encore, pour ceux n’ayant pas eu cette chance) avant leur évacuation d’urgence. Le zoo de Kiev, par exemple, a dû, face au stress intense subi par ses animaux, les confiner dans des enclos sous-terrain durant plusieurs semaines voire, pour certains, les mettre sous tranquillisants pour éviter qu’ils ne s’échappent.[25] Quand on sait que beaucoup d’animaux, de par la sensibilité de leur système nerveux, peuvent mourir d’arrêt cardiaque (suite à un état de stress ou de crises de panique), on peut s’interroger de savoir pourquoi des mesures plus conséquentes pour les évacuer n’ont pas été naturellement mises en place par les autorités, comme pour les humains.
Nous ne serons d’ailleurs pas étonnés de lire que, face au risque que pourraient potentiellement représenter leurs grands prédateurs (ours, lions,…paniqués face aux bombardements), le directeur du zoo de Kharkiv avait indiqué : « la priorité absolue est désormais la vie des humains » pour justifier sa décision de les euthanasier s’ils ne parvenait pas à les faire évacuer[26]. Ce même zoo ayant vu nombre de ses animaux (dont des espèces protégées) être massacrés par les tirs russes. Triste démonstration du manque d’empathie dont l’humain est capable envers ceux qu’il exploite allègrement en dehors des guerres pour son business, mais dont il est incapable de sauver les vies face à une situation de péril.
Au vu de ces (trop) nombreux exemples survenus dans le cadre d’une seule et même guerre – qui a pourtant attiré quotidiennement l’attention des médias du monde entier ces quatre derniers mois -, une question se pose : n’est-ce finalement pas le specisme, qui sous-tend la société actuelle, la véritable cause de l’oubli des animaux dans la guerre ?
Considérant que la vie des humains prévaut sur celle de ces millions d’innocents (pourtant exploités pour notre plaisir et incapables de s’exprimer, ou de s’échapper comme le leur dicterai leur instinct s’ils n’étaient prisonniers de notre bon vouloir), les pays qui ont apporté leur aide financière et matérielle aux ukrainiens ont, semblent-ils, oubliés que les animaux (partageant ou non la vie de ces derniers) dépendent indubitablement d’eux quant à leur survie dans ce conflit. La question n’est pas de comparer la valeur d’une vie humaine à celle d’un animal, mais bien à considérer que chaque vie compte sans distinction de l’espèce.
L’absence de droit protecteur des animaux en temps de guerre ne peut, donc, décemment justifier l’absence d’adaptation de notre système lorsque leur vie est en danger.
Si vous souhaitez aider les refuges qui sauvent actuellement les animaux victimes de la guerre en Ukraine, ce site liste les principales associations de protection animale chargées de récolter les dons et de les redistribuer: eurogroupforanimals.org/news/how-you-can-support-animal-protection-organisations-ukraine.
[1] lemonde.fr/international/article/2022/03/26/ukraine-des-animaux-dans-la-guerre
[2] radiofrance.fr/franceinter/podcasts/camille-passe-au-vert
[3] latimes.com/world-nation/story/2022-06-02/russia-ukraine-war-animal-pets-sanctuary-farm
[4] euronews.com/green/2022/04/05/meet-the-volunteers-saving-ukraine-s-animals-from-the-horrors-of-war
[5] Guerre en Ukraine : que deviennent les animaux domestiques abandonnés ? | National Geographic
[6] Article 515-14 – Code civil – Légifrance (legifrance.gouv.fr)
[7] Selon l’Eurogroup for Animals :.eurogroupforanimals.org/news/how-you-can-support-animal-protection-organisations-ukraine
[8] En Ukraine le calvaire des animaux, abandonnés ou forcés à l’exode à cause de la guerre – rtbf.be
[9] instagram.com/p/Cft6-LJML_R
[10] Guerre en Ukraine : que deviennent les animaux domestiques abandonnés ? | National Geographic
[11] Renseignements recueillis du 06.04 au 31.05.22 sur 290 fermes d’élevage : opencages.com.ua/blog/fermy-ukrajiny-pidchas-vijny
[12] Du latin species (espèce). Idéologie qui postule une hiérarchie entre les espèces, et plus précisément la supériorité de l’être humain sur les animaux. Forme de discrimination opérée par l’Homme à l’encontre des animaux, et basée sur le fait que l’existence de l’espèce animale vaut moins que celle de l’espèce humaine.
[13] lexpress.fr/actualites/1/monde/en-ukraine-le-betail-victime-de-la-guerre
[14] opencages.com.ua/blog/fermy-ukrajiny-pidchas-vijny
[15] opencages.com.ua/blog/fermy-ukrajiny-pidchas-vijny
[16] mobile.twitter.com/Spec_Operators/status
dailystar.co.uk/news/world-news/puppies-eat-charred-remains-dead
[17] geo.fr/geopolitique/des-soldats-russes-blessent-un-chien-et-le-piegent-avec-une-bombe-pour-faire-exploser-des-ukrainiens
[18] geo.fr/geopolitique/sauve-par-les-forces-ukrainiennes-un-chien-de-guerre-russe-change-de-camp
[19] RÈGLEMENT (UE) No 576/2013 DU PARLEMENT EUROPÉEN ET DU CONSEIL, 12 juin 2013– Dérogation aux mouvements non commerciaux d’animaux de compagnie à destination d’un État membre : eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF
[20] eurogroupforanimals.org/files/eurogroupforanimals/2022-03/011_EC-CVO_letterUkraine
[21] Refuge appartenant à la clinique vétérinaire de dailynewsbrief.com/fr/more-than-300-rescue-dogs-starve-to-death-in-ukrainian-shelter/ – photos du refuge : nouvelles-du-monde.com/trouve-plus-de-300-chiens-morts-les-images-sont-choquantes
[22] PETA, Four paws, UAnimals, IFAW, Open cages, LAV, …etc.
[23] quatre-pattes.org/nos-recits/presse/meme-en-temps-de-guerre-le-travail-en-faveur-de-la-protection-des-animaux-se-poursuit
[24] peuple-animal.com/guerre-en-ukraine-des-fauves-evacues-en-pologne
[25] francetvinfo.fr/monde/europe/manifestations-en-ukraine/reportage-nous-sommes-ici-parce-qu-il-y-a-un-abri-a-kiev-le-zoo-devenu-un-refuge-pour-les-soigneurs-et-leurs-familles
[26] « Ecoparc Feldman » : huffpost.com/entry/ukraine-zoo-kharkiv-lions-tigers-evacuation
Sépidéh Molaïe
Juriste en droit animalier
2 commentaires
guerlus
31 juillet 2022 à 15h00
Bonjour
je suis très heureuse de lire un article sur les animaux en UKRAINE ! je pense qu’ils sont complètement oubliés ! les derniers articles que l’on découvre des associations et fondations datent de mars ou avril ?
est ce que des associations sont encore sur le terrain pour en sauver quelques uns ……
Sépidéh MOLAÏE
14 août 2022 à 17h08
Bonjour, et merci pour votre commentaire.
En effet, car très peu de médias (français), voir aucun, n’en parlent (et pas uniquement des animaux de compagnie d’ailleurs…). L’information n’est pas diffusée comme elle le devrait auprès du grand public, et reste relayée au second plan après celle concernant les victimes humaines.
Oui, il y a encore quelques associations et refuges locaux, aidées (pour certains) par des ONG de protection animale, qui continuent de recueillir, nourrir et soigner les animaux errants, blessés et affamés. Mais les fonds manquent terriblement pour leur procurer à tous les soins vétérinaires et la nourriture nécessaires. Sans compter les refuges détruits, ou ceux qui continuent de subir les attaques russes – qui n’ont pas cessé, même si nous n’en entendons malheureusement plus parler dans les médias français.
A la fin de l’article, il y a un lien en listant quelques uns, si vous souhaitez les soutenir et partager l’information. La liste n’est pas exhaustive, car il y a en réalité beaucoup d’autres plus petites associations qui y demeurent dans le besoin, comme notamment Shelter Friend Ukraine, Animal Rescue Shelter Kyiv,… etc, dont vos pourrez trouver les comptes sur Facebook et Instagram avec les liens vers les donations.
Merci pour eux 🙂