Après 25 ans de négociations, l’accord de libre-échange a été signé le 6 décembre entre l’Union européenne (UE) et les pays du MERCOSUR – l’Argentine, le Brésil, le Paraguay et l’Uruguay lors du 65e sommet du bloc latino-américain à Montevideo. [1] Si cet accord bilatéral pourrait bel et bien transformer les relations commerciales entre ces deux régions, il suscite néanmoins de vives inquiétudes parmi les défenseurs des droits des animaux.
Une ouverture de marché controversée
L’UE-MERCOSUR, regroupant plus de 800 millions de consommateurs, est l’un des accords commerciaux les plus ambitieux conclus par l’UE. Il repose sur trois principaux piliers[2] :
–Commerce : tarifs douaniers pour les produits industriels et agricoles, mesures sanitaires et phytosanitaires, etc.
–Dialogue politique : droits de l’homme, démocratie, gouvernance internationale, etc.
-Coopération : environnement, éducation, technologie, etc.
L’accord prévoit ainsi une suppression significative des droits de douane pour les produits agricoles. Les importations en provenance du MERCOSUR devraient donc augmenter de manière significative. Avec cette mesure, les producteurs sud-américains pourraient ainsi exporter chaque année jusqu’à 160 000 tonnes de viande bovine et 180 000 tonnes de volaille vers l’Union européenne, une augmentation substantielle par rapport aux volumes actuels. Les associations animalistes craignent que cette importation massive ne mette à mal les efforts de l’UE pour promouvoir une agriculture plus respectueuse des animaux et de l’environnement.
En France, le projet est vivement critiqué par les agriculteurs qui redoutent une concurrence déloyale de la viande importée. La viande de bœuf et de volaille provenant du MERCOSUR est en effet souvent produite à moindre coût en raison de normes de production moins strictes. Les éleveurs français estiment que cet accord pourrait déstabiliser le marché, entraînant une perte de revenus et menaçant les emplois dans le secteur de l’élevage.
Un accord au détriment du bien-être animal
Si l’accord stipule que les produits importés devront respecter les normes sanitaires européennes, ce dernier ne comporte aucune « clause miroir »[3] en matière de bien-être animal. Autrement dit, cela permettrait l’entrée sur le marché européen de produits issus de systèmes d’élevage intensif cruels ou encore soumis à l’usage excessif d’antibiotiques et d’hormones de croissance, pratiques interdites en Europe. De plus, l’accord UE-MERCOSUR facilitera l’exportation d’animaux vivants vers l’UE, laissant craindre des conditions de transport déplorables.
Le fait que l’accord repose en grande partie sur la confiance accordée aux producteurs sud-américains, sans mécanisme de contrôle rigoureux, interpelle. En Amérique du Sud, les pratiques agricoles, en particulier l’élevage intensif, sont en effet très loin de répondre aux standards européens. Les conditions de vie des animaux dans ces systèmes sont, selon de nombreux rapports, marquées par des niveaux de souffrance extrêmes. A titre d’exemple, les parcs d’engraissement pour le bétailet les enclos à forte densité pour les poulets de chair sont monnaie courante.
Dans le même temps, l’accord UE-MERCOSUR soulève une incohérence avec les objectifs climatiques de l’UE et sa volonté de verdir ses échanges commerciaux. Ce projet pourrait en effet conduire à l’augmentation de la déforestation notamment en Amazonie, pour permettre l’expansion des pâturages destinés à l’élevage ou à la culture de soja pour nourrir les animaux d’élevage. L’agriculture industrielle, déjà responsable d’importantes émissions de gaz à effet de serre, risquerait d’être encouragée par ces échanges.
Processus de ratification : un chemin semé d’embûches
Bien que l’accord ait été signé, le processus de ratification demeure complexe. Au sein de l’UE, l’accord commercial doit être ratifié par le Conseil (majorité qualifiée) et le Parlement européen (majorité simple). Les aspects politiques et de coopération nécessitent quant à eux une approbation nationale. Du côté du MERCOSUR, chaque pays devra également approuver l’accord, mais il pourrait entrer en vigueur bilatéralement dès qu’un pays l’aura ratifié.
Le blocage possible de certains pays européens pourrait néanmoins ralentir son entrée en vigueur. Si l’Allemagne, l’Espagne et le Portugal soutiennent cet accord dans l’espoir de relancer leur croissance en augmentant leurs exportations vers le MERCOSUR, la France, quant à elle, rejette fermement le texte « en l’état ». Macron espère réunir une minorité de blocage, en ralliant au moins quatre États membres représentant plus de 35 % de la population européenne. L’issue du vote sur l’accord UE-MERCOSUR pourrait donc se révéler déterminante pour l’avenir des animaux d’élevage. Si cet accord est ratifié tel quel, sans aucune modification, il risquerait de menacer le bien-être animal à l’échelle mondiale
[1] ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/en
[2] Ibid.
[3] Mécanisme obligeant les producteurs du MERCOSUR à se conformer aux normes de production européennes
Pauline Abela
College of Europe Alumna - Animal Welfare